Tribune

Notre classe politique, à l’exception de la droite républicaine – ce n’est pas partisan que de le dire mais un constat – réclame « encore un instant Monsieur le Bourreau !», que celui-ci se nomme FMI, Commission européenne, Vladimir Poutine ou Donald Trump.

L'Opinion - 26 juillet 2024 - Par David Lisnard*

Sans surprise, la grenade à fragmentation dégoupillée avec la dissolution de l’Assemblée nationale, continue à produire ses effets (ma précédente tribune a décrit la première séquence). Les membres épars de notre corps politique gisent désormais dans l’enceinte du Palais-Bourbon, où une minorité bruyante se hurle majoritaire contre l’évidence des voix et des sièges ; où elle met en demeure le chef de l’Etat de nommer un Premier ministre ; où ses partenaires de la veille dans « le petit théâtre antifasciste » sont pris d’une pudeur soudaine de Tartuffe et vont jusqu’à réclamer la dissolution d’un parti pour qui ils invitaient à voter deux semaines plus tôt ; où la loi est dévoyée pour permettre à des ministres de voter en tant que députés ; où, contre les dispositions expresses de son règlement, le bureau de l’Assemblée ne comporte aucun représentant de sa principale formation ; et où cette dernière elle-même, en assurant l’élection à ce même bureau de ses pires adversaires (du moins proclamés), aura pratiqué la politique du pire qui est toujours la pire des politiques.

Pour couronner le tout, le président de la République appelle ingénument à une « trêve politique » à l’occasion des Jeux olympiques : aspiration assurément partagée par la grande majorité des Français, avides de beau sport et de bon repos, mais qui a été précisément contrariée par ces soudaines élections législatives, survenues en plein cœur de l’été et remettant le feu au paysage politique par la décision du même Président.

Ce spectacle est d’autant plus affligeant que tous ces protagonistes ne jurent que par « Etat de droit », « Démocratie », « Tradition républicaine », « Unité nationale » et autre « Esprit de responsabilité ».

Bouderie civique. Voilà amplement de quoi, si tel n’est pas déjà le cas à en juger par le tout dernier sondage sur l’image catastrophique des partis politiques dans l’opinion, dégoûter nos concitoyens de la chose publique, renforcer la bouderie civique qui accompagne depuis deux décennies la crise de la représentation et condamner le beau sursaut participatif des dernières élections à faire long feu. On est même enclin à se demander si tel n’est pas le but recherché par certains qui, incapables de convaincre une majorité de Français, ne détesteraient pas expulser de facto du corps électoral le tiers d’entre eux en ignorant leur vote.

La forte probabilité d’une nouvelle dissolution dans un an, au train où vont - ou plutôt ne vont pas - les choses, l’idée que désormais le calendrier électoral n’a plus rien de sûr, la perspective de 2027 : tout concourt à s’enfermer dans la combinazzione et à mettre de côté les vraies urgences du pays

Devant la multiplication des arrière-pensées et des coups de billard à trois bandes, les commentateurs s’épuisent à trouver des logiques sous-jacentes et encore plus des voies de sortie. La forte probabilité d’une nouvelle dissolution dans un an, au train où vont – ou plutôt ne vont pas – les choses, l’idée que désormais le calendrier électoral n’a plus rien de sûr, la perspective de 2027 : tout concourt à s’enfermer dans la combinazzione et à mettre de côté les vraies urgences du pays. Notre classe politique, à l’exception de la droite républicaine – ce n’est pas partisan que de le dire mais un constat – réclame « encore un instant Monsieur le Bourreau !», que celui-ci se nomme FMI, Commission européenne, Vladimir Poutine ou Donald Trump.

Dans ce contexte menaçant, qui n’attendra certainement pas que nous voulions bien régler nos grandes et petites querelles, et de ce chaos politique lui-même, un sursaut est à notre portée, à la fois nécessaire et possible. Peu importe la méthode, qu’elle passe par un « pacte législatif » ou une participation directe au gouvernement, même si j’incline à penser que l’on s’assure mieux d’une politique quand on la met soi-même en œuvre ; sans parler du pouvoir règlementaire qui représente une partie substantielle de l’action publique. 

La force de nos institutions, du moins pour ce qu’il en reste, est de pouvoir gouverner, même sans majorité, dès lors que n’existe pas de majorité alternative. C’est tout le sens du mécanisme de la motion de censure dans notre Constitution.

Coalition. Dès lors, une coalition parlementaire du bon sens et de la bonne volonté pourrait porter un programme d’urgence nationale pour l’année qui vient. Certes, il n’y aura pas de majorité absolue à l’Assemblée pour la soutenir mais, à bien y réfléchir, mesure par mesure, il n’y aura pas davantage de majorité absolue pour s’y opposer, compte tenu de l’opinion d’au moins deux tiers des Français sur tous ces sujets ; et compte tenu du rapport des forces réel et non fantasmé au Parlement (n’oublions pas le Sénat).

Quelques mesures s’imposent dès lors que l’on prend en compte l’impératif existentiel de notre souveraineté, menacée par nos vertigineux déséquilibres internes comme par les redoutables menaces extérieures.

Quelle majorité absolue s’opposerait au rétablissement rapide et déterminé de l’ordre public par une politique pénale enfin rigoureuse et par la réforme de la justice des mineurs ?

Quelle majorité absolue s’opposerait à une reprise en main des comptes publics, à un coup d’arrêt à l’emballement fiscal et au « n’importe quoi qu’il en coûte » ?

Quelle majorité absolue s’opposerait à la restriction drastique des flux migratoires et au changement de paradigme en faveur d’une immigration choisie ?

Quelle majorité absolue s’opposerait à la priorité donnée à la production par l’investissement et le travail ?

Quelle majorité absolue s’opposerait à une reprise en main des comptes publics, à un coup d’arrêt à l’emballement fiscal et au « n’importe quoi qu’il en coûte » ?

Quelle majorité absolue s’opposerait à la mise en place d’un système de retraite par capitalisation obligatoire pour enfin assurer un revenu dynamique aux futurs retraités, sortir de l’inéquité générationnelle actuelle, assainir les comptes de la nation, doter le pays d’un fonds souverain pour financer l’économie, rendre chaque individu propriétaire du fruit de son travail ?

Quelle majorité absolue s’opposerait à la liberté scolaire des parents, des enseignants et des chefs d’établissements pour arrêter la spirale de notre déclassement éducatif et « l’assignation à ignorance » des catégories populaires ?

Et enfin, quelle majorité absolue s’opposerait, face à la vaste offensive désormais coordonnée des impérialismes autoritaires contre les démocraties, à l’engagement résolu de notre politique étrangère aux côtés des plus exposés : Ukraine, Israël, Arménie, Taïwan ?

Ce programme d’urgence nationale est un engagement de responsabilité indispensable avant que le peuple français ne revienne trancher les divergences politiques de fond. Et il le fera d’autant plus volontiers et avec d’autant plus de clarté que le pays aura évité le pire, retrouvé un minimum de sérénité et posé les bases d’un redressement national

Ce programme d’urgence nationale est un engagement de responsabilité indispensable avant que le peuple français ne revienne trancher les divergences politiques de fond. Et il le fera d’autant plus volontiers et avec d’autant plus de clarté que le pays aura évité le pire, retrouvé un minimum de sérénité et posé les bases d’un redressement national.

Alors viendra le temps d’un grand projet qui écartera d’autant plus la tentation des extrêmes qu’il saura être radical. Un grand projet de libération des énergies individuelles et civiques pour lequel il existe bel et bien, j’en suis convaincu, une majorité absolue dans notre pays. Ainsi va la France.

*David Lisnard est président de Nouvelle Energie, maire de Cannes.