Politique
Autorité, laïcité et uniforme : l'éphémère ministre de l’Education nationale sait plaire à la droite LR, quand les lepénistes applaudissent un ambitieux venu chasser sur leurs terres
L'Opinion - 10 janvier 2024 - Par Antoine Oberdorff et Nina Jackowski
La plasticité idéologique de Gabriel Attal autorise tous les paradoxes. En prenant la suite d’Elisabeth Borne à Matignon, ce pur produit du macronisme apparaît comme le nouveau chouchou de la droite, faisant presque oublier son passé de strauss-kahnien au Parti socialiste. « Attal agrège les renégats des deux camps. Sa seule doctrine, c’est l’opportunisme », tance le député écologiste Benjamin Lucas. Exit l’aile gauche , le nouveau Premier ministre est en odeur de sainteté chez Les Républicains après un passage éclair rue de Grenelle, où il a affiché un visage de fermeté. Lui n’a jamais trahi son camp, contrairement aux deux transfuges LR du gouvernement, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire.
Lors de sa nomination à l’Education nationale, il y a cinq petits mois, Elisabeth Borne voulait « un cogneur ». Le « jeune Gabriel » y a donc enchaîné les uppercuts du droit : de l’interdiction du port de l’abaya à l’expérimentation de l’uniforme, en passant par le harcèlement scolaire. L’opposition de gauche n’a eu de cesse de dénoncer une vision passéiste et martiale de l’éducation , celle de la France des Choristes. Désormais en charge du « réarmement civique » voulu par Emmanuel Macron, il devra bâtir des compromis avec la droite dans le contexte de majorité relative.
« Arme anti-Bardella ». Son « choc des savoirs » a été approuvé par la vice-présidente LR de l’Assemblée nationale, Annie Genevard, qui se réjouirait presque de l’arrivée d’un « jeune vieux briscard de la politique ». Selon elle, « toutes les grandes idées qui forgent la pensée d’Attal sont le fruit d’une réflexion que bâtit la droite depuis des années. Il a été sans ambiguïté sur la réaffirmation de laïcité et l’exigence des savoirs fondamentaux. Les Français ne s’y sont pas trompés ».
L’hypermédiatique ministre grimpe alors dans les sondages. Le vice-président du RN, Louis Aliot, conclut mardi matin sur RTL que sa popularité vient des mesures « pillées », cette fois à l’extrême droite. Peu importe l’origine des marqueurs, parie un stratège : « Quand on interdit l’abaya, on vient sur nos terres et la victoire nous revient ». Le camp présidentiel voudrait pourtant faire du nouveau locataire de Matignon « une arme anti-Bardella » d’ici aux européennes de juin.
Sa marque de fabrique se résume à sa faculté à saisir l’air du temps. D’un ministère de l’Education réputé pour être le cimetière des ambitions, il a su faire un tremplin, sans jamais empiéter sur le « domaine réservé » du chef de l’Etat. Loyauté oblige. « C’est quelqu’un qui sait lire les enquêtes d’opinion. Il sait mettre en mots, bien plus rarement en actes », résume le député LR Alexandre Portier. Encore porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal voulait faire de l’après-Covid un temps de « redéfinition du contrat social, avec des devoirs qui passent avant les droits, du respect de l’autorité aux prestations sociales ».
« Le plus malin ». En macronie, le RN se plaît à recenser sa panoplie d’ennemis : il y a là Gérald Darmanin le provocateur, Eric Dupond-Moretti le moralisateur, et, très vite, s’est distingué Gabriel Attal : le jeune loup venu chasser sur leurs terres. Fin avril 2023, celui qui est alors ministre délégué aux Comptes publics provoque Marine Le Pen en duel. Il lui reproche de se placer « systématiquement contre l’intérêt des classes moyennes » et l’invite à en débattre. « C’est lui qui a le mieux compris les ravages de la politique d’Emmanuel Macron. L’aveu, c’est le début de la guérison », réagit-elle en marge du 1er mai.
Dix jours plus tard, Gabriel Attal coupe l’herbe sous le pied lepéniste. Il lance une offensive contre la fraude fiscale et sociale à la veille de la présentation du même projet potassé par le député Franck Allisio. « Il nous marque à la culotte. Il court après Marine Le Pen, mais il court moins vite », fustige alors l’élu. En privé, la figure montante dénonce le parti des mensonges et des privilèges. Une fois endossé le costume de ministre de l’Education nationale, le tsunami Attal emballe à nouveau les cœurs lepénistes. Avec l’abaya et l’uniforme, il devient « le plus malin » des « Macron bis ».
Sur la forme aussi, l’ex-socialiste tranche. « Il ne nous agresse pas, c’est le moins sectaire », assure un ténor lepéniste. Le « monsieur Education » du RN, le député Roger Chudeau, l’a rencontré l’an dernier avec la commission des affaires culturelles et éducatives. « J’avais une chronique vidéo, la minute de l’anti-Pap [du nom de l’ex-ministre de l’Education Pap Ndiaye] et Gabriel Attal m’a dit avoir été très amusé par l’une d’elles », raconte l’élu qui honnissait son prédécesseur. Un stratège du parti glisse un ultime baiser de la mort : « Si on avait que des Attal au gouvernement, on serait dans la merde. »
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