Entre la droite et l’extrême droite françaises, les signes de rapprochement, idéologique et politique, se multiplient. Vraie main tendue ou piège ?
L'Opinion - 10 juillet 2025 - Par Nina Jackowski et Christine Ollivier
Les faits - Jordan Bardella a dénoncé un « acharnement » contre son parti après la perquisition du siège du RN dans le cadre d’une enquête pour financement illicite des campagnes électorales du parti d’extrême droite en 2022 et 2024. Promoteur de « l’union des droites », le milliardaire Pierre-Edouard Stérin a été entendu en juin 2024 par la justice pour son rôle présumé dans un système de prêts électoraux au profit du RN en 2020 et en 2021, selon Le Monde.
La scène était impensable il y a seulement deux ans. Nicolas Sarkozy, dernier président de la République de droite, recevant Jordan Bardella, chef du Rassemblement national, parti d’extrême droite, pour un rendez-vous qualifié de cordial par les deux parties. Certes, l’ancien patron des Républicains ne décide plus du destin de son camp et ses proches jurent qu’il ne faut pas y voir un sens politique. Mais pour tous ceux qui se souviennent que Nicolas Sarkozy a été le premier à plaider pour une alliance entre LR et la macronie – qui siègent aujourd’hui au sein du même gouvernement –, le symbole est troublant.
Cette rencontre datée du 1er juillet n’est-elle que le reflet de la curiosité d’un vieux lion qui a flairé un nouvel animal politique ? Ou est-elle symptomatique d’un rapprochement en cours vers une « union des droites », qui passerait du stade de fantasme à celui de début de réalité ? « Sarkozy a fait entrer Bardella dans l’arc républicain. Pour nous, c’est énorme », exulte un conseiller UDR, le parti d’Eric Ciotti. « Ça a déculpabilisé pas mal de gens », soupire un ténor LR. « Jordan a usé de toutes les flatteries pour que Sarkozy veuille le rencontrer », grince un lepéniste, saluant un « bon coup ».
Terreau. L’entrevue intervient sur un terreau déjà fertile de rapprochements plus ou moins assumés entre droite et extrême droite. Terminé le temps où une rencontre fortuite avec un élu frontiste valait excommunication du parti de Jacques Chirac. Le 24 juin, des élus LR – les députés Anne-Laure Blin, Philippe Juvin et le porte-parole du parti, Jonas Haddad – côtoyaient devant les caméras Jordan Bardella, Eric Ciotti, Marion Maréchal ou la zemmouriste Sarah Knafo. Tous conviés au « sommet des libertés » co-organisé par des structures de Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin, deux hommes d’affaire promoteurs d’une « union des droites ». Sans que cela fasse lever un sourcil au sein de la direction de LR.
« Il existe désormais un bloc de droite qui peut se rassembler, non seulement sur les questions migratoires et identitaires, mais aussi sur l’économie. Aucun des présents n’ignore ce que cela implique d’être là », louait alors Sarah Knafo. Celle qui dînait, aux côtés d’Eric Zemmour, le mois précédent à Bruxelles avec Pierre-Edouard Stérin, regrettait toutefois l’absence du président de LR, Bruno Retailleau, ou du maire de Cannes, David Lisnard. Tout comme Jordan Bardella, pour qui « l’affiche n’était pas assez valorisante », râle un proche.
« Dans un régime parlementaire normal, on aurait fait alliance depuis longtemps, affirme un cadre UDR. La différence idéologique entre LR et le RN est beaucoup plus faible qu’entre le MoDem et Horizons ». D’ailleurs, les députés LR ont voté plus souvent avec ceux du RN qu’avec le socle commun sous cette législature, selon un décompte de Politico.
Malaise. Alignés sur les sujets régaliens, les deux partis ne se distinguent encore que sur le terrain économique, où la droite trouve le RN décidément trop... à gauche. « Marine Le Pen a un programme d’extrême gauche », martèle le chef des députés DR, Laurent Wauquiez. « C’est des trucs de droite », lâchait, méprisante, l’intéressée fin janvier, alors qu’elle était interrogée sur LCI sur la suppression de postes de fonctionnaires.
Du rejet des ZFE et du ZAN à la publication d’une tribune signée par Bruno Retailleau hostile aux énergies renouvelables, droite et extrême droite se retrouvent pourtant encore épaule contre épaule aujourd’hui, cette fois pour constituer un front anti-écologie. Pour certains Républicains, le « seuil d’alerte » a été franchi. Malaise dans les troupes. Prise sans consulter ses ouailles, l’initiative du Vendéen a jeté le trouble. Sur la méthode d’abord. Lors de la réunion de l’équipe dirigeante, mercredi, l’ancien Premier ministre, Michel Barnier, a réclamé que les sujets stratégiques fassent à l’avenir l’objet d’une concertation interne. Sur le fond, aussi. « Il y a une course à l’échalote avec le RN, s’inquiète un sénateur LR. A trop avoir les yeux rivés sur la stratégie du RN, on perd notre ADN ».
Après le départ fracassant d’Eric Ciotti, Les Républicains pensaient pourtant avoir enfin fait taire les accusations d’accointances avec l’extrême droite. Après tout, c’est seul ou presque que l’élu des Alpes-Maritimes a pactisé avec le RN. « Avec Eric, on s’est dit qu’on avait eu raison trop tôt », soupire Guilhem Carayon, vice-président de l’UDR. A l’époque, maints potentiels ralliés LR lui ont fermé la porte au nez.
Moins d’un an plus tard, la campagne interne Wauquiez-Retailleau a consacré le triomphe de la ligne la plus droitière du parti. Aux oubliettes, le cordon sanitaire chiraquien. Marginalisée, la droite sociale et anti-RN de Xavier Bertrand. La mode est à l’italienne Giorgia Meloni. Rares sont les voix qui, comme un ancien ministre LR, rappellent que « quand on prend Meloni comme référence, on parle de la droite de gouvernement qui finit sur le porte-bagage de l’extrême droite ». Et que le scénario italien fait surtout rêver à l’UDR : « Si on gagne, LR se transformera en Forza Italia qui tentera d’infléchir la ligne avec nous ».
« Gauchos ». Les macronistes, qui voyaient en Bruno Retailleau un partenaire tellement plus fréquentable que Laurent Wauquiez, tombent de leur chaise. Loin de consolider le socle commun, le ministre de l’Intérieur ne cesse depuis son sacre d’en saper les fragiles fondations. Parallèlement, il fait de LFI l’ennemi numéro un de la droite. Lors du conseil national, le 28 juin, le Vendéen a réservé ses flèches aux « gauchos ». Du parti à la flamme, il n’a pas été question. « Moi, je suis ni LFI, ni RN, et ce que j’entends dans les bouches des responsables LR, c’est ni LFI, ni LFI », s’agace un ténor LR.
Simple discours destiné à amadouer l’électorat très droitier pour faire passer la pilule d’accords locaux avec le socle commun aux municipales ? Ou vraie stratégie de préparation des esprits à une main tendue au RN ? Lors de la réunion de l’équipe dirigeante mercredi, seuls des deals avec Horizons ont été envisagés. Mais, interrogé sur CNews fin juin sur des « alliances qui iraient du bloc central au RN » pour contrer les Insoumis, le secrétaire général, Othman Nasrou, entretenait le flou : « Moi, je ferai toujours barrage à LFI ». Dans ces conditions, quelle serait la position de LR en cas de second tour LFI-RN ? « Débat purement théorique », balaie un cadre LR.
Le ministre ambitionne moins de s’allier avec le RN que de le grand-remplacer. Ses proches misent sur un effondrement du parti de Marine Le Pen à la présidentielle
Sous couvert d’anonymat, un député RN assure avoir été approché par des élus locaux de droite en vue des municipales, avec des listes clés en main, pour des villes de quelques milliers d’habitants. Ceux-ci craignent le poids du RN, mais savent que celui-ci a des difficultés à monter des listes partout. « L’enjeu pour nous, c’est l’entrisme », explique notre élu, prêt à conclure des accords.
Scission. Si le rapprochement avec le parti de Jordan Bardella « est une stratégie, elle est mortelle et elle conduit immanquablement à une scission », prévient un ténor LR. Car, de Xavier Bertrand à Michel Barnier en passant par Gérard Larcher, Valérie Pécresse ou Jean-François Copé, « l’union des droites » compte encore de solides adversaires. « L’union des droites, ça n’existe pas. C’est l’union de la droite avec l’extrême droite », tranche ainsi Xavier Bertrand. Si elle devait se concrétiser, elle déclencherait à coup sûr une fuite des cadres vers le parti d’Edouard Philippe.
Bruno Retailleau ne l’ignore pas. Il sait surtout que pactiser avec Marine Le Pen avant 2027 serait signer l’arrêt de mort de son parti. On a rarement vu une grenouille avaler un bœuf. « Ce n’est pas le RN qu’il ménage, ce sont ses idées, nuance un sénateur LR. Autour de Retailleau, ils sont convaincus que ce qu’a fait Sarkozy en 2007 peut se reproduire avec lui ».
Le ministre ambitionne donc moins de s’allier avec le RN que de le grand-remplacer. Ses proches misent sur un effondrement du parti de Marine Le Pen à la présidentielle. En cause : son inéligibilité depuis sa condamnation dans l’affaire des assistants parlementaires, dont elle a fait appel, et l’inexpérience du plan B, Jordan Bardella.
Mais à ce petit jeu, le RN a dix longueurs d’avance électorales. S’il réfute toute « union des droites », concept jugé aussi « ringard » que les figures de LR, lui aussi convoite les voix de tous les « patriotes ». Avec Jordan Bardella dans le rôle de poisson pilote. Dans son livre, le jeune dauphin multiplie les références à Nicolas Sarkozy et assume draguer la « droite orléaniste », quand Marine Le Pen maintient sa ligne « ni droite ni gauche ». La coalition RN-UDR, elle, n’en a que le nom. « Le parti dominant, c’est nous, c’est la règle », insiste un proche de la cheffe.
Pour autant, un conseiller lepéniste imagine accueillir à l’avenir des LR dans une coalition, par exemple « s’il nous manque 40 députés pour une majorité absolue ». « Il faut une approche pragmatique avec les LR, nous voulons une majorité stable sur nos principaux sujets », appuie un proche de Jordan Bardella, citant l’l’l’énergie et l’immigration. Signe que, au RN aussi, les esprits évoluent.