Le groupe parlementaire RN à l'Assemblée nationale - Sipa Press

Politique

Tiraillé entre deux électorats, une base contestataire et un public en quête de stabilité, le RN louvoie pour ne pas décevoir l’un ou l’autre en cas de motion de censure à l’issue des débats budgétaires

L'Opinion - 1er décembre 2024 - Par Nina Jackowski

Marine Le Pen a regretté dimanche que le gouvernement ne veuille pas « bouger sur des éléments qui nous paraissent inadmissibles », citant comme « ligne rouge absolue » la désindexation partielle des retraites par rapport à l’inflation, après des déclarations du ministre des Comptes publics Laurent Saint-Martin au Parisien. Michel Barnier pourrait actionner lundi l’article 49.3 de la Constitution, s’exposant alors à une motion de censure. Elle serait discutée au plus tôt mercredi et pourrait le faire tomber si le RN joignait ses voix à celles de la gauche.

Dimanche, veille de l’ultimatum. Les journaux de fin de semaine servent d’arène. « Nous restons constructifs », s’adoucit Marine Le Pen dans la Tribune Dimanche. « Revenir [sur le budget de la sécurité sociale] serait s’asseoir sur le Parlement, la démocratie et la délibération dont nous respectons le compromis », sermonne le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, dans le Parisien. Michel Barnier fait figure de grand absent. La machine s’emballe.

La cheffe de file de l’extrême droite avait averti le Premier ministre jeudi dans Le Monde : s’il veut éviter la censure, le Savoyard a « jusqu’à lundi » pour retirer ses « lignes rouges » du PLFSS. Marine Le Pen lèvera ou baissera le pouce dès la semaine prochaine, en cas d’application de l’article 49.3 de la Constitution. La déclaration de Laurent Saint-Martin suspend son geste. Le gouvernement « a mis fin à la discussion », déplore la leader, quand Jordan Bardella déplore sur X son « entêtement et sectarisme ».

Acmé. En fin de journée, la pression est à son acmé contre Michel Barnier. Mais les jeux sont encore ouverts. « Les dés ne sont toujours pas jetés », assure François Durvye, conseiller économique de la « patronne », qui admet que « la fenêtre se rétrécit ». 72 heures après avoir fait monter les enchères avec son ultimatum, la cheffe avait pourtant abattu son ultime carte. Dans le journal dominical, elle exhorte le gouvernement à lui donner « quitus » sur la désindexation des pensions de retraite « ou » sur le non-déremboursement des médicaments, et non plus les deux, comme elle le réclamait jusqu’ici. De même, « s’il n’est pas d’accord avec notre manière de les financer, cela ne me poserait aucun problème », concède l’élue. « Cela s’appelle être adulte et rationnel, chacun fait de petits pas », explicite un proche, osant exhorter Matignon à ne pas céder à « l’irrationalité ».

De petits pas pour éviter le grand saut ? La censure est un pari risqué. Marine Le Pen le sait, et le martèle depuis le premier jour. Mais ses troupes sont tiraillées. Nombre de députés lui rapportent que les remontées de terrain ne sont pas bonnes. Leur base, davantage antisystème, appelle à renverser la table. 62 % de leurs sympathisants se prononcent en faveur d’une motion de censure, selon un sondage Ifop pour Sud Radio paru jeudi.

Reste leur électorat de conquête. Les classes moyennes, chefs d’entreprise et retraités, les sympathisants des Républicains, tous sont davantage attachés à l’ordre et à la stabilité. Ils ne sont que 25 % de soutiens LR ou 35 % de retraités à vouloir renverser le gouvernement Barnier, selon le même sondage. Qui choisir ? La pièce est en l’air. L’état-major du RN s’efforce de ne pas la faire tomber d’un seul côté. Il faut multiplier les gains, ou du moins limiter les pertes.

Malheur. Remontons le film. Au départ, l’entourage de Marine Le Pen jure, la main sur le cœur, qu’elle ne veut pas renverser le gouvernement Barnier. Une censure et après ? Le coût politique et financier serait immense. Il lui faut juste être traitée. « Si on définit des lignes rouges excessives, le risque est qu’elles deviennent écarlates », justifiait début octobre le cadre Jean-Philippe Tanguy.

A leur grand malheur, Matignon regarde ailleurs. Aucune rencontre n’est programmée entre Michel Barnier et la « patronne ». Elle se sent délaissée. « Peut-être qu’on aurait dû la susciter. Secouer le pommier pour que les fruits tombent plus tôt », s’interroge aujourd’hui un proche. Le RN perd en plus sa place de première force d’opposition au profit de la gauche, signale le baromètre annuel Verian pour Le Monde paru lundi dernier, sans pour autant gagner en crédibilité. Marine Le Pen serait-elle en passe de perdre sur les deux tableaux ? Au procès des assistants parlementaires, la cheffe se sent tout aussi méprisée. Et renoue avec des accents antisystèmes.

Le ton monte. En une semaine chrono, il lui faut redorer ses deux facettes. D’abord, l’aspect social. A l’issue d’une rencontre avec le locataire de Matignon lundi dernier, suivi d’un « 20 heures » où celui-ci n’annonce rien ou presque, le couperet devient brûlant. « La censure est sûre à 90 %, lâche alors un cadre. Marine voulait faire une “Wauquiez”, avec un copyright et un gros gain de respectabilité, pas ces trois miettes. » Une référence à l’annonce du leader de la droite d’un compromis sur les retraites au « 20 heures » de TF1.

Pignouf. Le parti à la flamme, lui, n’a droit qu’à la vague promesse d’un « travail » sur la proportionnelle mené par Pascal Perrineau. « Ils vont juste nommer un pignouf », avait parié Marine Le Pen auprès de son entourage. « On ne se laissera ni enfumer, ni mépriser par ceux qui nous considèrent comme des beaufs. Ce devrait être un dialogue bilatéral, mais on se retrouve à négocier comme une COP29 », fulmine un proche. Eux exigent une victoire sur le pouvoir d’achat, sinon rien. Les députés RN sont réunis en urgence jeudi pour durcir le ton.

Au même moment, Michel Barnier apparaît en session-rattrapage dans le Figaro. Surprise : il annonce renoncer à augmenter les taxes sur l’électricité, et précise ses intentions sur la proportionnelle et l’aide médicale d’État. « Victoire ! », sont chargés de relayer les lepénistes. Avec plusieurs bémols : le RN n’est pas crédité de ces évolutions, d’autres sont exigées, et les pistes de financements ne sont pas précisées.

Or, ce dernier point est crucial. Le parti en quête de crédibilité veut convaincre de son sérieux. Depuis une semaine, le gouvernement fait peser sur lui la responsabilité d’un « scénario à la grecque » en cas de non-adoption du budget. Cette petite musique les électrise. Marine Le Pen se fend d’une tribune dans Le Figaro, et Jean-Philippe Tanguy riposte par une conférence de presse dédiée mardi. Le même jour, le cadre Renaud Labaye met en garde le chef du pôle parlementaire du Premier ministre, Matthieu Labbé : hors de question que le gouvernement tente de leur mettre le déficit sur le dos !

Dimanche en fin de journée, une piste de financement a en tout cas été écartée. A la demande du gouvernement, le Sénat a validé in extremis la suppression de hausse de la taxe sur le gaz, malgré les vives protestations de la gauche. Un énième pari risqué... pour donner des gages au RN.