Politique
Depuis des semaines, les troupes du parti nationaliste empilent les arguments en faveur d’une censure du gouvernement. Mais la décision reste dans les mains de Marine Le Pen.
Le Figaro - 20novembre 2024 - Par Paul Laubacher
Depuis plusieurs jours, la formule est prononcée par tout ce que le Rassemblement national compte de cadres ou d’élus. Le dernier en date ? Jordan Bardella, président du parti nationaliste, sur BFMTV lundi soir. « Si le cap du gouvernement se poursuit, alors il prend le chemin de la censure », dit-il, interrogé sur l’attitude qu’aura le groupe parlementaire du RN si jamais le premier ministre Michel Barnier décidait d’utiliser l’article 49.3 pour faire adopter le budget. Une formule trouvée par le député RN Jean-Philippe Tanguy début octobre, qui permettait d’ancrer tôt dans l’opinion que le RN pouvait censurer le gouvernement et laisser entendre que ce dernier serait responsable de sa propre chute.
Que décidera finalement le parti nationaliste ? C’est évidemment Marine Le Pen, présidente du groupe, qui aura le dernier mot sur le vote des 125 députés du RN. Mais que veut-elle vraiment ? « Nous n’accepterons pas que le pouvoir d’achat des Français soit encore amputé. C’est une ligne rouge. Si cette ligne rouge est dépassée, nous voterons la censure », assure-t-elle mercredi sur RTL. Parmi les mesures « inadmissibles » citées par Marine Le Pen, l’augmentation des taxes sur l’électricité, censée rapporter plus de 3 milliards d’euros.
En réalité, au sein du RN, la petite musique de l’inévitabilité de la censure commence à être jouée. Il y a déjà le fond du problème. Pour le parti nationaliste, le budget a tout pour être inacceptable, et, de toutes les manières, il n’aurait jamais été question de voter pour. Mais ce que cherchaient les troupes de Marine Le Pen, c’était au minimum d’être entendu par Michel Barnier, ou même Antoine Armand, le ministre de l’Économie. Mais « jamais le gouvernement n’a répondu sur notre contre-budget, jamais il ne nous a contactés, jamais il ne nous a écoutés », s’agaçait un proche de Marine Le Pen, début novembre. Et ce n’est pas le rendez-vous de lundi matin entre le premier ministre et la chef de file des députés RN qui pourrait calmer les ardeurs des troupes nationalistes.
«Notre électorat est révolutionnaire»
Pour Marine Le Pen et ses députés, la censure est aussi une question de calendrier. Quel meilleur autre moment que le budget pour renverser le gouvernement ? « On ne le fera pas au moment d’une loi immigration, ou de la loi sur la fin de vie », commence à anticiper un élu mariniste. « On censure Barnier dans un an, au prochain budget ? Ce sera trois mois avant les élections municipales. On ne pourra pas le faire à ce moment-là », veut croire un autre. Dans la tête des cadres RN, voilà l’idée du fusil à un coup, qui ne peut être tiré que maintenant.
On a un problème de calendrier avec Retailleau, s’il reste jusqu’en 2027, deux ans, à Beauvau, c’est trop court pour un mauvais bilan, mais assez long pour imprimer dans l’opinion
Un stratège RN
Les députés RN font aussi face à leurs électeurs. « Notre électorat est révolutionnaire, il veut que l’on censure le gouvernement », pointe un cadre. Sébastien Chenu, député RN du Nord, l’autre bras droit de Marine Le Pen au Palais Bourbon, a bien noté la chute express de popularité de Michel Barnier chez les sympathisants du RN. Et malgré une éventuelle frilosité des « nouveaux électeurs » venus de la droite traditionnelle, comme les cadres supérieurs et les retraités, vis-à-vis de l’instabilité politique, Marine Le Pen répète souvent à ses troupes : n’oubliez pas les ouvriers, « fidèles » au RN depuis des années.
Dans le futur choix du parti nationaliste, tout n’est pas qu’une question de budget. Selon plusieurs cadres, Jordan Bardella s’est rangé à la censure. Dans son viseur ? Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur. « On a un problème de calendrier avec Retailleau, s’il reste jusqu’en 2027, deux ans, à Beauvau, c’est trop court pour un mauvais bilan, mais assez long pour imprimer dans l’opinion », analyse un stratège RN. Censurer Michel Barnier permettrait de couper l’herbe sous le pied du poids lourd du gouvernement.
Mettre à exécution le plan élaboré ?
Un cadre imagine la suite des événements si jamais le groupe RN votait la censure déposée par les forces de gauche. « C’est la fin du procès (de l’affaire des assistants parlementaires du RN, NDLR) on censure le gouvernement, Michel Barnier est renommé à Matignon et hop, c’est Noël. On commence une nouvelle année et les Français se disent : rien n’a changé, c’est toujours la même chose. C’est bon pour nous », veut-il croire. Une manière de dédramatiser l’enjeu de la censure, et même ses conséquences.
Les cadres assurent qu’une censure du gouvernement est décorrélée des sévères réquisitions du parquet dans le procès des « assistants parlementaires »
Pourtant le RN a un objectif clair derrière une éventuelle censure du gouvernement de Michel Barnier. « Ce n’est pas seulement pour se faire plaisir », répète Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN. Le but en soi n’est seulement de renverser le gouvernement, mais de faire d’une pierre, deux coups. « Il faut que la censure rejaillisse sur Emmanuel Macron », estime un stratège mariniste. L’idée derrière est de provoquer un débat sur la démission du chef de l’État, « seul responsable » de l’instabilité gouvernementale. D’autant plus que certains proches de Marine Le Pen commencent à penser que jamais Emmanuel Macron, ou Michel Barnier, ne mettra en place la proportionnelle à la prochaine élection législative.
Les cadres assurent qu’une censure du gouvernement est décorrélée des sévères réquisitions du parquet dans le procès des « assistants parlementaires ». Marine Le Pen risque une peine d’inéligibilité avec effet immédiat. Elle attend le jugement, qui doit être rendu début 2025. Un calendrier judiciaire qui l’empêche d’aborder l’année sereinement. Avec cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête, Marine Le Pen voudra-t-elle mettre à exécution le plan élaboré par ses troupes ? Ira-t-elle à rebours de ses cadres ? Pour la première fois, la candidate « naturelle » nationaliste est face à un dilemme inconfortable.
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