Chloé Morin. - Serge Picard/Agence VU - La politologue Chloé Morin (photo d'archives AFP/Joel SAGET)

Politique

Alors que de nombreux pays européens se montrent rompus aux pratiques de la coalition gouvernementale, la politologue Chloé Morin déplore que la France vive « dans l’obsession du face-à-face, du duel et du “tout ou rien” »

L'Opinion - 26 septembre 2025 - Par Chloé Morin

L’actualité politique nous offre de plus en plus souvent des curiosités dans lesquelles l’analyste s’efforçant d’être raisonnable a presque honte de tenter encore de chercher un sens. Le débat sur la dissolution est l’une de ces curiosités-là. La logique voudrait que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et que ceux qui refusaient de dissoudre en 2024 y restent défavorables un an après. Que nenni. Nous sommes la France, enfin ! Le pays où la morale dépend du temps qu’il fait, et des têtes disponibles à couper. Le pays où les lois de la gravité politique ne s’appliquent pas. Le pays qui ne manque jamais de boucs émissaires pour le décharger de ses propres responsabilités.

L’Assemblée n’a jamais été si représentative de ce que nous sommes. Mais voilà : nous ne voulons pas être représentés, nous voulons gagner.

Imaginaires. Depuis 2005, le peuple reprochait à ses dirigeants d’avoir peur de lui. De ne jamais tenter le retour aux urnes. Arrive la dissolution. Où personne ne gagne tout à fait. Donc, dans nos imaginaires forgés par De Gaulle et Napoléon, tout le monde a perdu. L’Assemblée n’a jamais été si représentative de ce que nous sommes. Mais voilà : nous ne voulons pas être représentés, nous voulons gagner.

Que nos élites politiques, médiatiques et économiques aient eu peur de l’instabilité, ou de l’arrivée des extrêmes au pouvoir, cela peut se comprendre. Elles ont de toute manière troqué depuis longtemps leur sens de la démocratie et leur respect du peuple pour le confort de l’entre soi. Les prolos votent mal, chacun le sait. Que le RN et LFI souhaitent accélérer une arrivée au pouvoir que le prolongement des courbes rend possible, tout cela est normal aussi. Mais que les partis allant des écologistes aux républicains ne voient pas que le théâtre algorithmique les condamne à une invisibilisation prochaine, et qu’il serait donc peut-être temps de se mettre d’accord sur l’essentiel à préserver, plutôt que se livrer à une diplomatie des couteaux dans le dos et à des parties de billards à douze bandes… J’avoue ne pas comprendre la logique à l’œuvre.

A moins qu’elle consiste à accélérer le suicide, en croyant que la mort en sera ainsi moins douloureuse. Logique ! Oui, mais, me direz-vous, Emmanuel Macron est responsable de tout ! Certes. Nous le haïssons. Nous le trouvons hautain, et trop souriant ; trop intelligent, mais mauvais stratège ; il a trop décidé, mais pas assez changé le quotidien ; nous détestons son impuissance aujourd’hui, autant que nous détestions son omniprésence hier. Nous lui reprochons d’avoir dissous hier. Nous voudrions donc, en toute logique, qu’il dissolve aujourd’hui. Bref : nous, Français, sommes parfaitement rationnels.

Coup de dés. Nous aimons d’ailleurs nous dire que nous sommes uniques. Le clamer, le psalmodier dans nos discours de sommet, l’inscrire dans nos manuels d’histoire. Comme si l’unicité était un monument sacré qu’il faudrait à tout prix conserver. Et il faut bien reconnaître que nous nous donnons beaucoup de mal pour le rester. Nous résistons aux coalitions, aux équilibres troubles, aux compromis parlementaires. Nous préférons le coup de dés solitaire à la danse collective.

Pendant ce temps, nos voisins européens pratiquent l’art du compromis comme on respire :
– en Allemagne, les coalitions CDU-SPD, CDU-Verts s’enchaînent.
– aux Pays-Bas, les arc-en-ciel gouvernementaux se succèdent.
– en Italie, le jeu des majorités mouvantes est la norme.
– en Suède, les blocs se recomposent à chaque élection.
– en Belgique, on jongle avec les majorités communautaires depuis des décennies.

Et nous ? Nous vivons dans l’obsession du face-à-face, du duel, du « tout ou rien ». Finalement, la clarification voulue par Emmanuel Macron il y a un an a peut-être eu lieu : Ciotti est passé au RN, les LR sont obligés d'être responsables, et le PS est sous pression, obligé de décider entre son gauchisme rédhibitoire et sa culture de gouvernement. Oui mais voilà, nous ne voulons pas de clarté. Nous voulons rester français : préférer le chaos qui nous fait râler au compromis qui nous ferait tenir. Notre identité nationale, c’est de transformer chaque merdier en monument. Et d’y organiser des visites guidées.

Chloé Morin est Directrice générale et fondatrice de l’institut POLLitics, Chloé Morin est spécialiste de l’analyse de l’opinion et de la communication politique. Dans un essai publié début 2025, La Broyeuse (Editions de l’Observatoire), elle a dénoncé l’hystérisation du débat public.