
Politique
Taxe Zucman, ISF, réforme des retraites, condamnation de Nicolas Sarkozy… le Premier ministre, qui a reçu Le Parisien-Aujourd’hui en France à Matignon, revient sur l’ensemble de ces sujets.
Le Parisien - 26 septembre 2025 - Par Olivier Beaumont, Nicolas Charbonneau, Marion Mourgue, Thomas Soulié et Vincent Vérier
Nommé le 9 septembre, Sébastien Lecornu se sait attendu au tournant. Souhaitant installer son style, loin des « bavardages intempestifs » dit-il, le Premier ministre indique dans nos colonnes vouloir nommer son gouvernement « avant le début des travaux parlementaires ». Une formulation qui laisse la porte ouverte à des nominations à partir de mercredi, date de l’ouverture de la session ordinaire, sous réserve des autorisations données par la Haute autorité de la transparence pour la vie publique (HATVP).
Deux semaines après votre nomination, vous n’avez toujours pas tenu votre déclaration de politique générale, ni formé votre gouvernement, ni scellé d’accord sur le budget. Vous n’êtes pas pressé ?
SÉBASTIEN LECORNU. Je suis au travail. Je sens un certain décalage entre la vie politico-médiatique parisienne et les intérêts du pays : les bavardages intempestifs sont inutiles. La session ordinaire démarrera dans les temps à l’Assemblée nationale. Nos institutions fonctionnent, même s’il nous faut surmonter cette crise politique et parlementaire.
Vous avez confié aux syndicats, ce mercredi, que vous étiez un « Premier ministre faible ». Que faut-il comprendre ?
Il faut comprendre que nous sommes dans une démocratie parlementaire où pour la première fois depuis bien longtemps, le Parlement occupe la place centrale. C’est ce Parlement qui définira le budget de la Nation. Dans une démocratie parlementaire, le gouvernement est sous le contrôle et même la tutelle du Parlement.
Dire que le Premier ministre est sous tutelle, c’est fort…
Pas que le Premier ministre, tout le gouvernement ! Son rôle est de présenter une copie budgétaire, que les parlementaires débattront et modifieront ensuite. Je suis frappé de voir qu’un certain nombre d’acteurs économiques, sociaux et politiques, n’ont pas toujours intégré depuis un an que ce moment était le plus parlementaire de la Ve République.
Justement, ça change quoi pour votre futur gouvernement ?
Les ministres devront savoir négocier et revenir au travail parlementaire d’autrefois, c’est-à-dire le dialogue et aller chercher des compromis en séance jusque tard dans la nuit. Et je montrerai l’exemple. Ce que je veux faire, c’est remettre du bon sens. Dire, comme La France Insoumise, que l’on ne veut pas regarder le budget et censurer a priori, cela n’a pas de sens. L’Assemblée n’a jamais autant ressemblé au pays. Ceux qui réclament la dissolution sont ceux qui l’avaient déjà réclamée la dernière fois. Dès que les politiques ne sont pas capables de s’entendre entre eux, on va dire que c’est la faute du peuple ? Non, le peuple a raison. Et désormais chacun doit faire son travail. Je ferai le mien.
Vous dites qu’il faut des ministres forts qui savent négocier, c’est une critique des gouvernements précédents ?
Celles et ceux qui vont accepter d’entrer au gouvernement doivent partager les grandes orientations du socle commun et savoir négocier avec le Parlement mais aussi les partenaires sociaux et les collectivités locales. On ne peut pas avoir des ministres qui se contentent de dire « circulez, il n’y a rien à voir ». Sinon ça ne fonctionnera pas.
Y aura-t-il des personnalités issues du PS ?
Je ne veux pas de débauchage de personnalité issue d’une formation politique qui ne soutiendrait pas le gouvernement. Cela n’aurait aucun sens, il faut de la clarté pour pouvoir justement trouver des compromis avec les oppositions.
Ce gouvernement, justement, quand le connaîtra-t-on ?
Nous y travaillons avec le président de la République. Le gouvernement sera nommé avant le début des travaux parlementaires. Je souhaite continuer à travailler le projet de budget. Les ministres qui veulent rentrer au gouvernement vont devoir l’endosser. C’est le « quoi » avant le « qui ».
Vous battez quand même le record de durée entre la date de votre nomination et celle de l’annonce du gouvernement…
Le record c’est trois Premiers ministres en un an : et il faudrait continuer à faire comme le voudrait le microcosme ? Il faut faire les choses avec méthode et sérieux : c’est ce à quoi je m’emploie.
Comment allez-vous construire le budget ?
Je repars d’une feuille blanche, ce qui explique ce délai. Je présenterai un budget qui tiendra compte des premières consultations que j’ai eues avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales, et des formations politiques. C’est ce budget qui sera ensuite débattu et amendé par le Parlement à l’automne. En ce sens, nous savons déjà qu’à la fin cela ne sera pas le budget Lecornu : des compromis seront à trouver dans l’hémicycle. Il faudra passer de la liasse de tweets à la liasse d’amendements.
Quelles sont donc vos priorités ?
D’abord, la réduction des dépenses : l’argent public est précieux comme jamais. Je vais donc proposer une diminution de six milliards d’euros sur l’État et son train de vie. Cet effort important sur les ministères devra s’accompagner d’une réforme de long terme de l’État et de notre organisation territoriale via la décentralisation. Il y a des attentes sociales fortes dans notre pays, il est donc hors de question de préparer un budget d’austérité et de régression sociale. Pour l’année prochaine, les moyens consacrés aux retraites augmenteront de six milliards d’euros, ceux pour la santé augmenteront de cinq milliards d’euros.
Il n’y aura donc pas d’année blanche ?
Je présenterai le budget en temps et en heure.
Mais comment arriver à atteindre 4.6 % de déficit public l’an prochain, comme négocié avec Bruxelles, sans grand plan d’économies ?
Réduire le déficit pour maîtriser notre endettement, ce n’est pas seulement un engagement européen, c’est la condition de notre souveraineté. Cela commence par l’État qui doit donner l’exemple et cela passe aussi par une meilleure maîtrise des dépenses sociales et des collectivités territoriales. Ces efforts ne seront compris que s’ils sont partagés et justes. C’est le sens des propositions que je vais faire. Il faut aussi accepter d’engager aujourd’hui des chantiers de réformes qui ne rapportent rien à court terme, mais qui serviront à nos successeurs. Je souhaite aussi que l’on ait un projet de loi ambitieux de lutte contre les fraudes sociales et fiscales qui soit présenté au Conseil des ministres en même temps que la loi de finances et la loi de financement de la Sécurité sociale.

Donc on reste sur une trajectoire de 4.6 % en 2026 et 3 % en 2029 ?
Revenir à 3 % en 2029 c’est certes notre engagement vis-à-vis de nos partenaires, mais c’est surtout le seuil qui permet de faire baisser la dette et de ne pas payer toujours plus d’intérêts. C’est la condition pour préserver les politiques publiques essentielles pour les Français. Je présenterai un projet robuste aux alentours de 4,7 %, compte tenu du fait que j’ai décidé de ne pas imposer aux Français de renoncer à deux jours fériés sans être rémunérés. C’est pleinement compatible avec l’objectif de 3 % en 2029. Là encore, à la fin, c’est le Parlement qui décidera.
Mais si la France devait ne pas avoir de budget d’ici la fin de l’année, que chacun soit bien conscient que nous ne serions ni à 4,6, ni à 4,7 mais peut-être à 6 % ! Nul ne peut alors dire ce que deviendraient les taux d’intérêt qui ne concernent pas que l’État mais tous les foyers et toutes les entreprises de notre pays. Il faut aussi regarder tous les abus, toutes les dérives et toutes les fraudes ou optimisations. Personne ne peut comprendre que face à celles-ci, tout ne soit pas fait : ni faiblesse, ni faveur. Cela est vrai des particuliers comme des entreprises, des fraudes fiscales comme sociales, des recettes indues comme des dépenses injustifiées.
Il y a déjà eu plusieurs plans de lutte contre la fraude sociale et fiscale, comme celui de Gabriel Attal…
Oui, Gabriel Attal avait posé un plan solide. De manière globale, on ne peut plus vivre dans une société dans laquelle le citoyen contribuable n’a pas l’assurance que les règles sont respectées. Il faut tout regarder, dénoncer toutes les optimisations. Certains secteurs et ministères font l’objet d’investissements massifs que nous assumons et qui sont utiles pour le pays. Mais ils doivent donner des garanties d’exemplarité. Ce que j’ai commencé à faire avec nos industries de défense - et qui doit être poursuivi - doit être fait par exemple avec les professionnels de la transition énergétique. Au-delà de la fraude et des abus, il faut mettre fin à toutes les rentes. J’ai symboliquement commencé par celles des anciens premiers ministres. J’ai lancé une mission sur l’État efficace pour supprimer ou réformer les structures non indispensables.
François Bayrou plaidait pour 44 milliards d’euros d’économies. Ce sera moins avec vous ?
Je présenterai un budget transparent, avec l’évolution des dépenses, l’évolution des recettes et la réduction du déficit.
Est-ce que nous sommes au bord de la falaise comme le disait votre prédécesseur ?
Le FMI n’est pas aux portes de Bercy. Mais faire croire que l’on peut laisser dériver les choses sans incidence pour nos concitoyens, ce n’est pas vrai non plus. François Bayrou a eu raison de mener ce combat courageusement. J’ai dit aux Françaises et aux Français que nous allions y arriver, et je vais tout faire pour.
Est-ce qu’il faudra donner un petit coup de frein d’ici la fin de l’année, pour atteindre les 5,4 % de déficit ?
Tenir nos engagements pour 2025 est majeur pour notre crédibilité, c’est ce que je vais faire.
Venons-en aux principales revendications des syndicats et de la gauche. La taxe Zucman, c’est oui ou non ?
Nous avons les taux de prélèvements obligatoires les plus importants de l’OCDE. Faut-il encore augmenter les impôts globalement ? Je ne le veux pas. Est-ce qu’en revanche la répartition de la charge au sein des impôts actuels doit évoluer ? De toute évidence, oui. Il faut être sourd pour ne pas entendre que les Français nous demandent plus de justice fiscale. Le débat doit avoir lieu, et là encore c’est au Parlement à la fin de le trancher. Je ferai donc une proposition de budget dans laquelle certains impôts augmenteront, mais d’autres diminueront.
La taxe Zucman c’est donc non ?
Il y a une demande politique et sociétale de plus de justice fiscale, notamment pour redresser nos finances publiques. On ne peut pas balayer ce débat d’un revers de la main. Ensuite, est-ce que la taxe Zucman est la bonne réponse ? La seule réponse ? Personnellement, je ne le crois pas pour deux raisons. La première est le fait de taxer le patrimoine professionnel, et plus particulièrement l’outil de travail (usines, machines, brevets, etc.). Je suis frappé de voir que les impacts en termes d’emploi, d’investissement et de compétitivité ne sont pas suffisamment pris en compte dans ce débat : l’entreprise n’est pas que l’affaire du patron. La deuxième raison est que nous avons besoin de capitaux français pour défendre notre souveraineté économique vis-à-vis de certaines prédations étrangères. Enfin, il y a un débat technique car le Président du conseil d’analyse économique établit le rendement de cette taxe Zucman à moins de cinq milliards d’euros et non 15 ou 25 milliards comme parfois avancé. Au-delà de la dimension politique et économique, il y a donc aussi un débat technique. Enfin, pour être direct : si les Français expriment un besoin de justice fiscale, les contribuables, quelle que soit leur contribution, veulent s’assurer du bon usage de leurs impôts. On peut en appeler à leur patriotisme d’autant plus facilement que l’on chassera la mauvaise dépense publique.
On entend une petite musique sur un retour de l’impôt sur la fortune qui avait été supprimé en 2017. Est-ce une piste sérieusement envisagée ?
Le gouvernement ne l’envisage pas.
Autre sujet explosif : la réforme des retraites. Vos adversaires vous demandent d’y renoncer. Vous y êtes prêt ?
Cette réforme a eu d’abord pour objectif de conforter notre modèle de retraites par répartition et ceux qui proposent de l’abroger ne mettent pas pour autant, à ce stade en tout cas, un autre modèle sur la table. D’ailleurs, aucun gouvernement n’a jamais remis en cause une réforme des retraites d’un gouvernement précédent. Si d’autres modèles pour notre système de retraite doivent émerger, c’est un bon débat pour la présidentielle. Ceci étant dit, est-ce que pour autant je considère que la réforme Borne est achevée ? La réponse est non. Sinon, il n’y aurait pas eu de conclave et il n’y aurait pas encore sur la table les questions sur la pénibilité et sur les femmes.
Donc vous allez remettre la réforme sur l’établi ?
Personne ne veut d’un nouveau conclave. Pour autant, je ne veux pas dire aux femmes et aux personnes qui font un métier pénible qu’ils ne méritent pas que ces questions soient traitées.
Avec une suspension de la réforme actuelle ?
Ça ne réglerait aucun des problèmes que je viens d’évoquer et je rappelle que la réforme Borne portait des mesures utiles aux salariés : majoration de la retraite minimale de 100 euros par mois, création d’une assurance vieillesse pour les aidants, surcote des pensions pour les mères de famille dès 63 ans…
Concernant l’assurance chômage, êtes-vous favorable à une nouvelle réforme, comme le poussent certains au sein du bloc central ?
C’est un énorme sujet d’avenir. Pour l’assurance chômage, tout le monde convient que les ruptures conventionnelles peuvent donner lieu à des abus : je veux m’y atteler en priorité avec les partenaires sociaux. De manière globale, je veux faire confiance au dialogue social.
Donc, votre méthode c’est du cas par cas sur les retraites, sur l’assurance chômage aussi…
L’urgence c’est de sortir du « tout ou rien »… Mieux vaut une avancée rapide pour nos concitoyens, qu’une énième promesse renvoyée à je ne sais quand ! D’autant plus que l’élection présidentielle n’est plus si loin…
N’avez-vous pas peur de décevoir, alors que les attentes sont nombreuses et fortes ?
Ce qui déçoit les Français, c’est l’immobilisme ou les grandes promesses non tenues. Soyons pragmatiques.
Mais quand allez-vous envoyer la copie budgétaire au Conseil d’État ? La semaine du 6 octobre ?
Ce qui compte, c’est le dépôt du projet de loi de finances au Parlement. Tout doit être fait pour respecter le délai constitutionnel.
Dans votre calendrier, il y a le 2 octobre et l’appel à la mobilisation par l’intersyndicale. Êtes-vous inquiet ?
Je respecte celles et ceux qui manifestent ou qui font grève, c’est un droit constitutionnel. Je suis le Premier ministre qui dès sa prise de fonction a nourri le dialogue le plus fourni avec les partenaires sociaux. Et je vais continuer dans cet état d’esprit car j’ai la conviction qu’il n’y a pas de progrès social dans le désordre et l’instabilité.
Vous menez de front une double négociation : avec l’intersyndicale et avec le Parti socialiste qui vous appelle à vous « faire violence ». Vous y êtes prêt ?
Le budget qui sera voté ne sera pas le budget initial du gouvernement. J’en ai bien conscience. Je tends la main à tous les parlementaires, et en particulier à ceux du Parti socialiste, parti qui a donné deux présidents à la France. C’est un moment de responsabilité entre partis de gouvernement car personne n’aura raison seul. J’ai dit aux Français qu’on allait y arriver, il faut maintenant que tout le monde ait envie d’y arriver.
Donc vous excluez de recourir au 49.3 ?
Je souhaite ne pas être contraint de le faire. Le débat doit avoir lieu au Parlement et je participerai moi-même à certaines discussions.
Les parlementaires LFI et RN sont-ils exclus des négociations ?
Tous les députés sont détenteurs de la souveraineté nationale. Ils ont tous les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Cette semaine, vous avez reçu les deux rapporteurs d’un rapport sur l’aide médicale d’État pour les étrangers. Comptez-vous la réformer ou la supprimer ?
Il y a un rapport qui a fait des préconisations et il ne demande pas la suppression de l’aide médicale d’État, y compris pour des raisons évidentes de santé publique. En revanche, il propose des évolutions de certains critères ou une modernisation administrative pour lutter contre les fraudes. Il faut examiner cela dans le détail, en cherchant l’efficacité plutôt que les effets de manche…
D’après une information de Contexte, il existerait un plan avec le RN concernant la programmation pluriannuelle de l’énergie. Allez-vous mettre en place un moratoire sur les énergies renouvelables pour faire passer ce décret ?
Cette information est complètement fausse et mensongère : il n’est pas question de revenir sur nos ambitions énergétiques car la décarbonatation est une priorité pour notre souveraineté. Il faut sortir de certaines dépendances. En revanche, comme pour tout euro d’argent public dépensé, aucune rente ne sera tolérée, n’en déplaise à certains lobbys.
Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans de prison avec mandat de dépôt différé, dans le procès de l’affaire libyenne. Quel message envoyez-vous à l’ancien président ?
J’exprime mon amitié pour l’homme et sa famille. Je n’oublie pas ce qu’il a fait et donné pour notre pays.
Faut-il réformer l’exécution provisoire ?
Je ne commenterai pas une décision de justice, et je ne remettrai jamais en cause l’autorité judiciaire. C’est l’un des fondements de l’État de droit. Mais si une loi pose débat, il appartient au Parlement de s’en saisir.
Vous êtes peu connu des Français. Comptez-vous fendre l’armure ?
Mon tempérament, c’est la sobriété. En tant que ministre des armées, je sais combien il faut peser ses paroles. Nos compatriotes sont lassés de la communication creuse et superficielle, de tous ces bavardages. J’ai seulement 39 ans mais je ne me suis jamais reconnu dans tout ça. Je suis avant tout un élu local, d’origine populaire.
Vous parliez de votre parcours… Vous êtes au cœur d’une controverse sur vos études. Avez-vous validé votre Master de droit ?
J’ai validé ma maîtrise en droit, donc un Master 1. J’ai ressenti dans cette fausse polémique une forme de mépris social.
Vous vous dites libre, tout en étant un fidèle du président. Est-ce un paradoxe ?
Notre relation est faite de respect et de loyauté. Je ne pense pas que les Français accordent du crédit à ceux qui trahissent. Et c’est cette loyauté qui me rend libre.
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