Photo d'illustration. - Sipa Press

Réformes

La France ne pourra réformer le financement de ses retraites qu'à petites touches, estime l'économiste Patrick Artus

L'Opinion - 4 février 2025 - Par Muriel Motte

 

La France, championne d’Europe des dividendes au deuxième trimestre 2024, soulignait le gestionnaire d’actifs Janus Henderson il y a quelques mois ! L’année s’est terminée sur la même lancée, c’est-à-dire sur des records. Jamais les groupes cotés à Paris n’ont reversé autant d’argent à leurs actionnaires, révèlent les calculs des auteurs de la lettre Vernimmen. Plus de 98 milliards d’euros leur ont été distribués, dont une petite partie (25,5 milliards d’euros) sous forme de rachat d’actions. L’essentiel, 72,8 milliards d’euros, a été le fait de dividendes dont le montant a encore progressé d’une année sur l’autre (+ 8,6 %). Les très rentables géants du CAC40 ont comme toujours réussi à surfer sur une conjoncture internationale complexe, c’est ce que l’on attend de leaders mondiaux.

Quel dommage que les Français en profitent si peu ! Ils le pourraient s’ils étaient, d’une manière ou d’une autre, davantage présents dans le capital de leurs champions. Hélas, faute d’actionnariat tricolore suffisamment musclé et de fonds de pension dignes de ce nom, « la moitié des sociétés françaises du CAC 40 sont détenues majoritairement par des non-résidents », note la dernière enquête sur le sujet de la Banque de France, seuls 6 d’entre eux comptent moins de 30 % d’investisseurs étrangers dans leur tour de table. La participation de ces derniers dans les plus belles entreprises de l’Hexagone dépasse 1 000 milliards d’euros. Ce sont donc les fonds de pension et les gérants d’actifs étrangers qui profitent d’abord de la bonne santé des géants du CAC 40.« Il est trop tard ». Cinq ans après la publication par l'économiste Patrick Artus de son étude décrivant les rendements comparés d’un modèle de répartition - 1 euro investi en 1982 générait 1,93 euro en 2019, soit un rendement réel de 1,8 % par an - et les gains issus de la capitalisation - un rendement moyen de 8% par an, en supposant un investissement moitié en Bourse et moitié en dettes - rien n’a vraiment changé. La crise du modèle social français fait évoluer le discours politique à (très) petits pas, mais de toute façon « il est trop tard pour basculer dans un modèle de capitalisation », commente Patrick Artus. Pourquoi ?

« Ce n’est plus le bon moment : le vieillissement démographique fait progressivement reculer le prix des actifs (immobilier, bourse), car il y a plus de vendeurs que d’acheteurs. L’Europe du nord s’est réformée en pleine ascension démographique, explique-t-il. Par ailleurs, changer de système de retraite implique une double cotisation pendant des décennies, le temps d'épuiser le quota des bénéficiaires de la répartition ». Le Chili a expérimenté une autre solution en affectant des recettes de privatisations à l’amorçage de son système de capitalisation, difficile d’imaginer une formule aussi radicale aujourd’hui en France.

Si l’on veut faire bénéficier les institutionnels français des dividendes de nos grands groupes, « le plus simple serait d’autoriser les assureurs à détenir davantage d’actions, ce qui implique de modifier les règles Solvability II » poursuit-il. Ce n’est donc pas si simple. Quant à introduire une dose de capitalisation, « on peut davantage flécher l'épargne salariale vers les Plan épargne retraite (PER), en limitant les possibilités de sortie pour en augmenter la duration, suggère-t-il. Ou encore mettre en place des systèmes de cotisation optionnelle à de nouveaux fonds de pension, mais cela exige un effort d'épargne supplémentaire ». La France ne réglera pas son problème de retraite d’un simple coup de chapeau.