Réformes

L’interruption de la réforme des retraites aurait des conséquences économiques désastreuses alors que la France est déjà parmi les pays dont le taux d’emploi des 60-64 ans est parmi les plus faibles d’Europe

l'Opinion - 13 octobre 2025 - par Marc Vignaud

Les faits - Le Parti socialiste réclame une « suspension » de la réforme Borne comme prix de la non-censure. Ce qui revient à arrêter définitivement l’augmentation de l'âge de départ à la retraite. Ce mardi, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Sébastien Lecornu est très attendu sur le sujet.

L’arrêt de la réforme des retraites. Voilà le prix de la non-censure socialiste pour le budget 2026. Au nom de la stabilité politique, Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu semblent prêts à l’envisager.

Pour la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, très hostile au texte porté par Elisabeth Borne en 2023, le jeu en vaut évidemment la chandelle, y compris sur le plan économique. Selon le gouvernement, un arrêt du recul de l’âge coûterait de l’ordre de 500 millions d’euros l’année prochaine, puis 3 milliards en 2027. « Quand on compare au prix d’une dissolution estimée [...] à 15 milliards, je pense que c’est un coût tout à fait accessible pour avoir une stabilité politique », a affirmé la leader syndicale au micro de France Inter, le 8 octobre. Mais elle compare des choux et des carottes : d’un côté, elle parle d’une perte de PIB ponctuelle, de l’autre, d’un manque à gagner direct et croissant pour les finances publiques.

Instabilité. La numéro 1 de la CFDT s’appuie sur une évaluation de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) sur le coût de l’instabilité politique. Au moment de la censure de Michel Barnier et du recours à une « loi spéciale » en guise de budget, ce coût avait été estimé à 0,3 point de PIB. A peu près 15 milliards d’euros. Selon les nouvelles prévisions de l’OFCE qui seront dévoilées prochainement, une réédition de cet épisode pourrait générer une facture similaire en 2026.

Mais la comparaison de Marylise Léon sous-estime largement le coût économique d’une suspension de la réforme des retraites qui décale progressivement l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans et accélère l’augmentation vers 43 ans de la durée d’assurance requise pour une retraite à taux plein. Car ses bienfaits mettent du temps à se matérialiser.

Dans le rapport commandé par François Bayrou pour préparer son fameux « conclave », la Cour des comptes avait estimé le manque à gagner du maintien de l’âge légal de départ à 63 ans (contre 64 ans) à 13 milliards d’euros par an à l’horizon 2035 pour l’ensemble des finances publiques.

L’arrêt des compteurs à 62,9 ans coûterait encore plus cher. Il faudrait aussi rajouter le prix de l’annulation de l’accélération de la réforme votée par les socialistes sous le mandat de François Hollande.

Et tout cela alors que le seul déficit du système de retraite devrait déjà atteindre 15 milliards en 2035, même sans remise en cause de la réforme et jusqu’à 30 milliards en 2045, selon les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR).

Taux d’emploi. Dans une société vieillissante, l’augmentation de l’âge de départ permet non seulement de limiter le nombre d’années passées à la retraite et donc de diminuer les dépenses consacrées aux pensions, mais aussi de faire rentrer de l’argent dans différentes caisses du système de Sécurité sociale via les cotisations des seniors en emploi. De quoi financer les besoins grandissants du système de santé…

Le blocage de la réforme des retraites serait d’autant plus délétère que la faiblesse du taux d’emploi des 60-64 ans constitue déjà une des principales causes de la déliquescence des finances hexagonales. A 42,4 %, ce taux d’emploi accusait un retard de 11 points par rapport à la moyenne de l’Union européenne en 2023. C’est ce que rappelle l’ancien conseiller gouvernemental Eric Weil, dans un excellent livre paru le 9 octobre, intitulé Retraites, un blocage français.

"Ce serait un choc d’offre négatif terrible dans un pays où on manque de production"

Anthony Morlet-Lavidalie, économiste chez Rexecode.

Reculer l’âge légal de départ à la retraite permet-il réellement d’augmenter le taux d’emploi des seniors ? C’est en tout cas ce qui s’est produit après la réforme d’Eric Woerth en 2010. Le décalage de deux ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite, de 60 à 62 ans, s’est traduit par une augmentation moyenne du maintien en emploi de 1,7 an.

« Dans l’ensemble, résume Eric Weil, cette réforme a décalé l’âge effectif de retraite tout en maintenant largement les seniors, même modestes, en emploi. » Elle n’était pourtant pas aussi favorable aux plus fragiles que celle d’Elisabeth Borne, puisqu’elle a reculé l’âge de l’annulation de la décote à 67 ans en cas de trimestres manquants, pénalisant ceux qui subissent les carrières les plus hachées.

En cas d’arrêt de la réforme des retraites de 2023, conclut l’économiste Gilbert Cette, dans une interview aux Echos, « le pays serait plus pauvre, alors que le PIB par habitant de la France est déjà nettement plus bas que celui des pays nordiques et scandinaves, de l’Allemagne ou des Pays-Bas ». Anthony Morlet-Lavidalie, économiste chez Rexecode, abonde : « Ce serait un choc d’offre négatif terrible dans un pays où on manque de production ».

Mauvais signal. Tout cela dans un pays qui alloue déjà près d’un euro de dépense publique sur quatre aux pensions ! Avec 13,9 % du PIB consacré aux retraites, la France est le pays de l’Union européenne qui y affecte le plus d’argent derrière l’Italie et la Grèce, malgré une démographie plus favorable. Près de 4 points de plus que la moyenne. « Cela réduit les marges de manœuvre pour financer d’autres priorités, essentielles à notre avenir, telles que l’éducation, la santé, la défense, la transition écologique ou encore la recherche et développement », prévient Eric Weil.

« Interrompre la réforme des retraites enverrait un très mauvais signal, ajoute Anthony Morlet-Lavidalie. La Commission européenne nous laisse du temps pour réduire notre déficit sur un horizon plus long de sept ans, notamment parce que la France s’est engagée à faire des réformes, à commencer par celle des retraites. »

"Ce sont les assurés aux pensions les plus modestes qui profitent le plus de la réforme"

Eric Weil, auteur de Retraites, un blocage français

Est-ce néanmoins nécessaire pour des raisons sociales ? Grâce à plusieurs garde-fous, près de quatre Français sur dix, souvent les plus fragiles, n’auront pas à décaler leur âge de départ à cause de la réforme de 2023. Et pour ceux qui devront partir un peu plus tard, l’effet sera globalement positif sur leur niveau de pension ! Celle des futurs retraités nés en 1984 augmentera en moyenne de 2,5 %, pour un décalage moyen de seulement six mois, selon le Conseil d’orientation des retraites.

Même en tenant compte du fait que les retraites seront versées six mois de moins, l’augmentation des pensions atteindra encore 0,9 % en moyenne pendant toute la durée de la retraite. Et, comme le rappelle Eric Weil, « ce sont les assurés aux pensions les plus modestes qui profitent le plus de la réforme » grâce à la revalorisation de la retraite minimale.

Autant dire que la France n’est pas prête de solder la facture d’un potentiel arrêt prématuré de la réforme des retraites.