
Société civile
Trop d’impôts, des salaires qui stagnent, un accès à la propriété de plus en plus illusoire… Partie d’un compte X anonyme baptisé @NicolasQuiPaie, la révolte des jeunes actifs gronde. Les Nicolas ne veulent plus payer pour les autres : leurs aînés mais aussi ceux qui abusent de la générosité du modèle social français.
Le Figaro - 11 juillet 2025 - Par Ghislain de Montalembert, pour Le Figaro Magazine
Mais qui est donc ce mystérieux «Nicolas qui paie» dont tout le monde parle ? Depuis quelques semaines, la question est sur toutes les lèvres, dans toutes les conversations. S’agirait-il d’un brillant polémiste en herbe ? D’un collectif contestataire un brin libertarien ? D’une discrète officine derrière laquelle se dissimulerait un homme d’affaires influent, soucieux de peser dans le débat de la prochaine élection présidentielle ? Ou tout simplement d’un cadre anonyme, écœuré par le poids des impôts et des cotisations qu’il paye mois après mois ? Les hypothèses les plus fantaisistes fusent mais le mystère reste entier : personne ne connaît à ce jour l’identité de ce Fantomas de la toile dont le compte X rassemble plus de 55.000 abonnés – pour se protéger, il a accepté de répondre à nos questions par mail, sans dévoiler son identité. Il y a quelques jours encore, ils n’étaient que 30.000 ; et l’hiver dernier, seulement un petit millier. Incontestablement, la machine s’emballe. C’est sans doute le signe que @NicolasQuiPaie a vu juste.
Une colère virale
De ce personnage fictif qui porte l’un des prénoms les plus répandus de la génération née en France à la fin des années 1980 et au début des années 1990, on sait juste qu’il a la trentaine, qu’il est cadre sans doute – au vu de sa cravate et de la chemise aux plis impeccables portée par son avatar sur X – et surtout, qu’il en a assez de payer pour les autres sans jamais – ou si peu – bénéficier du modèle social français qu’il contribue très largement à financer. Dans son collimateur : Bernard et Chantal, 70 ans, dont il se plaint de payer les croisières à l’autre bout du monde, et qui votent pour François (Hollande) et Emmanuel (Macron), lesquels ont augmenté la dépense publique et la dette comme jamais, quoi qu’il en coûte à la France ; mais aussi Guillaume, 39 ans, qui travaille dans un média public, jalouse les salariés du privé et soutient SOS Méditerranée ; ou encore Karim, qui détrousse Nicolas de temps à autre et envoie son argent vers l’Afrique. C’est avec ce mème baptisé « Le contrat social », né en 2020 sur le compte X d’un certain @sidounours (abondamment relayé par le compte @bouli), que Nicolas s’est fait un prénom. Depuis, le mystérieux propriétaire du compte @NicolasQuiPaie n’a de cesse d’inonder les réseaux sociaux de stickers plus ou moins sarcastiques invitant à « privatiser l’audiovisuel public », à « rendre aux actifs le fruit de leur travail » ou encore, dernièrement, à célébrer la date du 17 juillet, jour de la libération fiscale.
« À partir de cette date, Nicolas arrête de travailler pour l’État et commence enfin à bénéficier du fruit de son travail », explique-t-il. « On n’est jamais trop nombreux pour dénoncer le fardeau de la fiscalité en France », commente Benoît Perrin, président de Contribuables associés, l’association qui a lancé le principe de cette fête nationale des contribuables, il y a déjà plusieurs années. Pour Benoît Perrin, « Nicolas qui paie » (« Promis, ce n’est pas moi », glisse-t-il) s’inscrit dans le sillage d’une constellation de sites estampillés « libéraux » apparus récemment, de façon spontanée, sur les réseaux sociaux. « Certains se sont créés dans le sillage de l’élection de Javier Milei à la présidence de l’Argentine ; d’autres sont nés en réaction à l’apparition d’influenceurs peu scrupuleux, de plus en plus nombreux à se vanter de leur capacité à profiter des failles de l’État providence. Certains font des milliers de vues en se filmant sur la plage ou en train de faire du ski alors qu’ils sont officiellement en arrêt maladie. »
Aujourd’hui, j’ai une capacité d’emprunt de 160.000 euros, donc très limitée pour un appart confortable alliant sécurité, projet de vie de famille avec 1 ou 2 enfants et proximité de Paris
Un jeune internaute sur la plate-forme Reddit
De quoi exaspérer les jeunes actifs qui, pendant ce temps, triment comme des forcenés ! D’autant que beaucoup, parmi eux, ont le sentiment que leurs efforts ne sont pas récompensés à leur juste valeur. Le travail ne paie plus, ou pas assez. « Cela fait 15 ans que le revenu des actifs est en quasi-stagnation. Crise financière de 2008, crise de la zone euro, crise Covid… Aucune génération, depuis la Seconde Guerre mondiale , n’a connu une telle succession de crises majeures en seulement 15 ans, explique l’économiste Maxime Sbaihi, expert-associé à l’Institut Montaigne et auteur des Balançoires vides (Éditions de l’Observatoire, 2025). Aujourd’hui, du fait d’une productivité disparue et de cotisations record, le travail ne permet plus d’élever son niveau de vie. C’est la première fois que cela arrive depuis la fin de la guerre. Dans les années 1970, on pouvait doubler son niveau de vie avec son salaire en l’espace de 15 ans. Désormais, il faut 80 ans de travail pour parvenir au même résultat ! Quelque chose s’est cassé ; la promesse de vivre mieux que ses parents, qui animait les générations depuis la période des Trente Glorieuses, ne se vérifie plus. Les trentenaires ont beau appartenir à une génération parmi les plus éduquées de l’Histoire, le marché du travail ne leur propose quasiment plus que des salaires qui progressent moins rapidement que l’inflation et même les retraites. Pour les actifs, nombreux à partager la colère des Nicolas, l’heure de la désillusion a sonné : beaucoup ressentent désormais, au quotidien, une certaine forme de déclassement. »
Un sentiment que renforcent les difficultés qu’éprouvent beaucoup de jeunes actifs pour se loger. Pas question pour eux d’accéder au logement social ou subventionné : ils perçoivent un salaire qui les en prive, sans pour autant gagner assez bien leur vie pour espérer devenir propriétaires, notamment dans les grandes villes où les prix n’ont plus rien à voir avec ceux qu’ont connus leurs parents. Le taux des propriétaires est en baisse chez les jeunes. Faut-il s’en étonner alors que le pouvoir d’achat immobilier a été divisé par 2 depuis les années 2000 ? Selon une étude des Notaires de France, les Français ont perdu près de 20 mètres carrés de pouvoir d’achat immobilier depuis 1999. Beaucoup, parmi ceux que l’on appelle les millennials (la génération Y, née entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990), ne seront jamais propriétaires alors que leurs parents (les boomers), qui ont bénéficié de prix plus abordables, l’étaient. D’où un sentiment d’amertume de plus en plus partagé…
D’autant que les boomers, en revendant leurs biens, ont souvent fait de magnifiques plus-values. « Je compare souvent le niveau de vie actuel avec celui de nos anciens, pour ma part, mes parents et grands-parents. Et cela me déprime, confie un jeune internaute sur la plate-forme Reddit. Je me rends compte que pour un simple achat immobilier, il faut gagner 3 à 5 fois plus aujourd’hui que ce que devaient gagner nos anciens à l’époque, surtout en l’Île-de-France. À 27 ans, j’ai un salaire fixe net avant impôt de 2400 euros mais je me sens tellement en dessous du niveau de vie qu’avaient mes grands-parents ou parents quand j’étais petit. Aujourd’hui, j’ai une capacité d’emprunt de 160.000 euros, donc très limitée pour un appart confortable alliant sécurité, projet de vie de famille avec 1 ou 2 enfants et proximité de Paris. »
Hériter à 65 ans
Pour tous ces jeunes actifs, hériter de leurs parents est peut-être le seul espoir d’accéder un jour à la propriété. Mais là encore, la situation se complique du fait de l’allongement de l’espérance de vie. Si on héritait vers 30-35 ans à la Libération, c’est plutôt aujourd’hui vers 60 ou 65 ans. Résultat : le patrimoine est de plus en plus concentré entre les mains des plus âgés. Selon une récente étude de l’observatoire Hexagone, le patrimoine moyen des retraités est près du double (autour de 210.000 euros) de celui des quadragénaires (111.000 euros). « On voit de plus en plus de retraités qui héritent de retraités, souligne Maxime Sbaihi. Les plus de 60 ans, qui représentent 25% de la population, détiennent 60% du patrimoine immobilier et 60% du patrimoine financier. La courroie de transmission du patrimoine s’est cassée. Aucune autre génération n’a connu ce phénomène. »
Dans un tel contexte, la question des retraites est brûlante aux yeux des Nicolas, qui se sentent les dindons de la farce d’un système par répartition qui les force à cotiser massivement pour payer les pensions de leurs aînés ; alors qu’eux-mêmes ne percevront peut-être que des retraites en peau de chagrin. « Un baby-boomer né en 1955 touchera à la retraite deux fois plus que ce qu’il a cotisé, explique François Pierrard, président-fondateur de l’observatoire Hexagone. Les jeunes actifs n’auront pas cette chance ! Selon un sondage que nous avons réalisé en mars 2025, 1 Français sur 6 estime que les jeunes d’aujourd’hui n’auront pas de retraite. »
Guerre des générations
La facture des retraites flambe alors que les générations du baby-boom partent à la retraite et que les actifs censés assurer le versement de leurs pensions par leurs cotisations sont de moins en moins nombreux du fait de la chute de la natalité. Dans une récente étude, l’observatoire Hexagone a tiré la sonnette d’alarme : il n’y a jamais eu aussi peu de naissances en France depuis la Seconde Guerre mondiale ! C’est plutôt gênant pour un système dont le fonctionnement repose sur la solidarité intergénérationnelle et la démographie. Selon la Cour des comptes, le rapport entre le nombre d’actifs et de retraités devrait continuer à se dégrader dans les années à venir. Alors qu’il était de 2 actifs pour 1 retraité en 2005, il est passé à 1,77 en 2025 et pourrait tomber à 1,54 d’ici à 2045 si aucune mesure n’est prise.
« Les prélèvements payés par les actifs au bénéfice des plus âgés n’ont jamais été aussi élevés, insiste François Pierrard. Au-delà des dépenses publiques de santé, dont bénéficient les retraités , les cotisations retraite absorbent 28% du salaire brut des actifs, soit l’un des taux nominaux les plus élevés d’Europe. Et encore, les cotisations ne parviennent pas à assurer l’équilibre du système. Sur les 400 milliards d’euros que pèsent les pensions de retraite, seulement 250 milliards sont financés par les cotisations, le reste provenant des impôts via diverses écritures comptables, comme par exemple les surcotisations prélevées sur le traitement des fonctionnaires. Ces “rustines” laissent croire que l’équilibre du système pourrait être préservé. Mais au final, quel que soit le tour de passe-passe utilisé, c’est toujours le contribuable qui règle la note. »
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