
Société
Après avoir perturbé les vacances de Noël en 2022 ou celles de février en 2024, deux syndicats appellent encore les cheminots à débrayer dans une période très sensible pour les voyageurs : le pont du 8 Mai.
Le Figaro - 5 mai 2025 - Par Jean-Yves Guérin
C’est un refrain trop souvent entonné par les cheminots qui met les Français en colère. Quand des vacances ou des grands ponts s’annoncent, les salariés de la SNCF se mettent en grève plus souvent qu’à leur tour. Cette année, ce sont les départs et les retours du pont du 8 Mai qui vont être perturbés à cause d’un mouvement social durant toute la semaine. La CGT-cheminots appelle conducteurs et contrôleurs (chefs de bord) à poser leur sac de lundi à mercredi, Sud-Rail, le mardi 7 pour les conducteurs et les 9, 10 et 11 mai côté contrôleurs. Avec comme conséquence inévitable des trains annulés et des voyageurs qui resteront à quai. D’autant plus que le collectif CNA, regroupant un tiers des contrôleurs sur sa page Facebook, est aussi partie prenante de ce mouvement social aux mêmes dates que Sud-Rail.
Résultat, le trafic ferroviaire connaîtra bien des perturbations à partir de lundi, même si SNCF Voyageurs promettait dimanche une semaine « aussi normale que possible ». « Nous sommes loin d’une semaine noire , il n’y aura pas de semaine à l’arrêt », a insisté son PDG, Christophe Fanichet. De lundi à jeudi, les circulations seront normales sur les TGV mais pourront être perturbées sur certaines lignes régionales ou en Île-de-France. L’inconnue porte surtout sur le trafic du grand pont du 8 Mai, dont les prévisions seront affinées au fil de la semaine. Consciente de la gêne occasionnée, la SNCF promet d’essayer de « proposer à chaque client de voyager le jour prévu vers sa destination ».
Ce sont des millions de passagers qui se retrouvent, une fois de plus, pris en otages d’une saga annuelle. Avec ses rebondissements, ses annonces de dernière minute, ses espoirs déçus et son lot de résignation…
François Delétraz, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut)
« Ce sont des millions de passagers qui se retrouvent, une fois de plus, pris en otage d’une saga annuelle. Avec ses rebondissements, ses annonces de dernière minute, ses espoirs déçus et son lot de résignation… », soupire François Delétraz, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). C’est qu’il y a un air de déjà-vu dans ces débrayages : Noël 2019, Noël 2022, février 2022, février 2024… À chaque fois, les départs en vacances ont viré au casse-tête à cause d’une grève à la SNCF.
L’opérateur ferroviaire historique avait acté depuis quelques jours que cette grève de mai aurait lieu. En fin de semaine dernière, il n’y a pas eu de négociations de la dernière chance entre la direction et les syndicats pour éviter la grève in extremis. Mercredi, son PDG, Jean-Pierre Farandou, déplorait déjà dans un message interne à tous les collaborateurs l’effet de ce mouvement social : « Avec ces grèves, l’image de la SNCF va être durement affectée. Le “SNCF bashing” va repartir de plus belle. » Un effet désastreux alors qu’après Trenitalia, présent sur le Paris-Lyon et bientôt le Paris-Lyon-Marseille, d’autres concurrents veulent lancer des TGV en France.
Pourtant Christophe Fanichet se disait encore « confiant » début avril pour éviter ce mouvement social. C’est qu’il estimait avoir répondu en grande partie aux revendications des contrôleurs en colère. D’abord sur la question des conditions de travail : cette population estimait ne pas avoir suffisamment de visibilité sur son planning entre jours travaillés et jours de repos. « Désormais, ils auront leur planning sur les six prochains mois contre les trois prochains mois jusqu’ici », souligne-t-on chez SNCF Voyageurs. Pas suffisant, selon le CNA : « Avec le nouveau logiciel qui organise notre planning, nos horaires de travail sont sans cesse changés au dernier moment, explique un de ses cofondateurs. Ça rend très compliquée la vie familiale et sociale alors que nous travaillons déjà le soir et le week-end. »
Groupes de travail et audit
Là aussi, la direction ne reste pas les bras croisés. Elle a lancé un audit sur le sujet dont les conclusions seront connues en septembre. Elle a également lancé un groupe de travail pour améliorer cet outil de gestion des plannings. Mais elle tient à relativiser l’ampleur du phénomène : « Sur 100 journées d’un chef de bord, 67 ne font l’objet d’aucune modification ; 30 de modifications avec plus d’un mois d’anticipation et 3 de modifications de dernière minute dues à des aléas (météo, matériel roulant en panne…) », explique-t-on chez SNCF Voyageurs. Sur le plan des rémunérations, les syndicats ont aussi une longue liste de courses : pour les conducteurs, ils demandent une augmentation de 100 euros mensuels de la prime de traction. Pour les chefs de bord, une hausse de 100 euros de la prime de travail, l’équivalent de la prime de traction.
Sur ces sujets, SNCF Voyageurs oppose une fin de non-recevoir : pas question pour elle d’entamer de nouvelles négociations sur les salaires alors même qu’elle a accordé 2,2 % d’augmentations pour l’année 2025 lors des négociations annuelles obligatoires (NAO). Cette surenchère et ce maximalisme des contrôleurs s’expliquent probablement parce qu’ils ont beaucoup obtenu lors des dernières grèves très suivies qu’ils ont lancées : ainsi, en 2022, lors du week-end de Noël, un TGV sur trois avait été annulé. Pour mettre fin à ce mouvement, le groupe avait promis 200 embauches supplémentaires de contrôleurs, un meilleur déroulement de carrière et l’augmentation de leur prime annuelle de 600 euros à 720 euros. À chaque mouvement social, cette congrégation chouchoutée obtient quelque chose car elle a un pouvoir de nuisance. « Les contrôleurs ne sont pas les personnes les plus mal traitées dans l’entreprise, soulignait il y a une quinzaine de jours le ministre des Transports, Philippe Tabarot. Ils ont eu 17 % à 18 % d’augmentation ces trois dernières années. »
Pour en finir avec ce cercle vicieux où les mouvements sociaux à des périodes de grands départs incitent souvent la SNCF à céder aux revendications, certains recommandent d’encadrer le droit de grève dans les transports, d’interdire de débrayer lors des journées sensibles (vacances, ponts…). Une piste privilégiée par Philippe Tabarot quand il était sénateur. Il avait soutenu la proposition de loi d’Hervé Marseille (Union centriste) qui prévoit d’interdire la grève trente jours par an. Adoptée en avril 2024 au Sénat, elle n’a jamais été examinée à l’Assemblée nationale. « On tirera les enseignements, une fois ce conflit passé, de ce qui peut être amélioré », soutient-on dans l’entourage de Philippe Tabarot. Peu probable néanmoins que le ministre s’empare de ce texte très abrasif alors que le gouvernement n’a pas de majorité claire au Parlement.
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