Six logiciels pour changer le monde

Al Gore - Editions de la Martinière

Dans cet ouvrage, qui fait suite au bestseller mondial Une Vérité qui dérange, Al Gore, ancien vice-président de Bill Clinton et candidat démocrate aux élections de 2000 face à George W. Bush, nous dévoile son "logiciel" pour changer le monde. Un modèle radicalement nouveau et réaliste. En chemin, il nous entraîne dans les méandres du pouvoir économique et politique, là où s'affrontent les forces du monde en devenir, et d'où doit émerger une véritable conscience mondiale écologiste et humaniste.

Vice-président des Etats-Unis sous l'ère Bill Clinton, de 1993 à 2001, Al Gore est mondialement connu pour son combat pour l'écologie, depuis notamment son documentaire Une vérité qui dérange. En 2007, il a reçu le prix Nobel de la paix pour ses efforts en vue d'"une meilleure compréhension du changement climatique". Depuis dix ans, Al Gore sillonne les États-Unis et le monde pour persuader ses concitoyens de l’urgente nécessité de réagir à cette crise écologique majeure.

 

 

Al Gore, entre politique et innovation

Concevoir notre futur a longtemps été relativement anxiogène. En 1920, l'écrivain russe Ievgueni Zamiatine signait, avec "Nous autres", un roman qui allait durablement influencer les milieux littéraires. "Nous autres" allait ainsi servir de matrice à deux autres de ces romans utopiques qui ont marqué, jusqu'à aujourd'hui, la pensée futuriste : que ce soit "Le meilleur des mondes" d'Aldous Huxley ou encore "1984" de George Orwell, les deux romans sont ponctués de références à l'oeuvre de l'auteur russe. Il est aujourd'hui établi qu'Orwell avait lu "Nous autres", et écrit à ce sujet avant même la publication de son célèbre "1984". Zamiatine, pour sa part, avait, dans "Nous autres", nourri son écriture de sa propre expérience de la révolution d'Octobre russe.

Que ce soit chez Zamiatine, Huxley et Orwell, ou chez d'autres auteurs comme Thomas More, H.G. Wells, Robert A. Heinlein, Arthur C. Clark, Isaac Asimov, Stanislas Lem, William Gibson, Philip K. Dick ou encore Ernest Callenbach, le regard de ces visionnaires sur le futur était bien souvent synonyme soit de dystopies - ou contre-utopies -, soit d'une idéalisation de l'avenir.

Dans son nouvel essai, Al Gore écrit à son tour sur le futur, un futur cette fois-ci plus immédiat, sur lequel il veut porter, résolument, un regard constructif. Connu pour son engagement dans la lutte contre le réchauffement climatique, le vice-président des Etats-Unis sous Bill Clinton, décide de dépasser, dans "The Future: Six Drivers of Global Change" ("Le Futur : six éléments moteurs du changement global"), ses domaines de prédilection pour engager une réflexion plus générale sur la marche du monde. Robotique, mondialisation, biotechnologies : le lauréat du Prix Nobel de la Paix 2007 passe au crible les innovations d'aujourd'hui pour décrypter les potentialités du monde de demain. Dans cet ouvrage, le politicien, également familier du secteur privé, identifie six forces motrices émergentes susceptibles de radicalement modifier la marche du monde, ainsi que l'image que l'homme s'en fait.

Ainsi, dans "Earth Inc."("Terre Inc."), Al Gore décide de dépasser la vision traditionnelle d'un phénomène trop souvent, selon lui, abusivement désigné comme "mondialisation". Il s'agirait en effet de ne plus définir la mondialisation comme la "simple interconnexion d'économies nationales", mais comme la base d'une nouvelle forme d'organisation des rapports sociaux, des flux de capitaux, du rapport gouvernants-gouvernés, ou encore du travail, notamment sous l'effet des nouvelles technologies. Sans pour autant nier la nature même de la mondialisation et ses effets perverses, Al Gore voit en la mondialisation la possibilité d'améliorer le quotidien des hommes à l'échelle globale, notamment par le recours au "robosourcing" - cette possibilité de déléguer certaines tâches répétitives aux systèmes automatisés. Il rejoint sur ce point Roland Olbrich, économiste allemand déjà interviewé par Arte Future, qui voit dans l'utilisation raisonnée des nouvelles technologies une opportunité exceptionnelle de réformer notre vision du travail et, in fine, de gagner en autonomie.

​Selon Al Gore, si la communication numérique ou encore les avancées informatiques permettent de relier les pensées et sentiments de milliards de personnes, ces innovations oeuvrent avant tout à l'ouverture de nouveaux horizons par le biais des technologies connectées. Un peu à la manière de Kevin Warwick, professeur de cybernétique britannique qui s'est implanté une puce électronique sous la peau pour pouvoir commander son propre ordinateur à distance, le Démocrate voit dans cette interconnexion des technologies une possibilité majeure d'évolution.

Nouvelles technologies, nouveaux décideurs ? Comme illustré par les "révolutions arabes", cette utilisation collective, massive, des nouvelles technologies de communication et d'information (NTIC) peut concourir à la formation de nouveaux centres de pouvoir. Ainsi, selon l'homme politique, la notion traditionnelle de "gouvernance d'Etat" va peu à peu être supplantée par une gouvernance partagée, non seulement avec les marchés, mais également avec les acteurs privés - entreprises comme citoyens -, qui vont acquérir une place toujours plus décisive.

Cette évolution de la notion même de pouvoir devra inévitablement s'accompagner, comme Al Gore l'expose dans son chapitre intitulé "Outgrowth" ("Excroissance"), d'une réforme profonde des modèles économiques actuels. Obsolescence programmée, surconsommation, épuisement des ressources naturelles : il sera capital de réorienter nos modes de vie vers des modèles de croissance plus durables.

Dans "The Reinvention of life and death" ("La Réinvention de la vie et de la mort"), autre passage-clé de "The Future: Six Drivers of Global Change", Al Gore revient sur ces révolutions fulgurantes que connaissent certains secteurs, comme la génomique, la biotechnologie ou encore les neurosciences. En connaissant un développement exponentiel, ces domaines suscitent non seulement de nouveaux espoirs, mais nous invitent également à nous interroger, comme le fait le Professeur Israël Nisand, sur l'indispensable réflexion bioéthique qui doit accompagner ces changements.

Enfin, fidèle à ses convictions écologiques, Al Gore nous invite, dans son dernier chapitre intitulé "The Edge" ("Le fil"), à réflechir sur la façon dont ces avancées technologiques ont radicalement modifié notre relation aux écosystèmes. Si, comme rappelé dans "Outgrowth", il s'avère nécessaire de prendre conscience du caractère fini de nos ressources naturelles, nombre d'innovations ont également permis certaines avancées majeures, notamment dans les systèmes de production d'énergie, l'agriculture, ou encore la construction. 

Les talents de conteur d'Al Gore étaient déjà connus du public depuis le documentaire "Une vérité qui dérange", sorti en 2006. Conférencier à l'écran, il renouvelle cette promesse à l'écrit, avec ce livre. "The Future" est toutefois mieux qu'un ouvrage bien écrit. Tout comme l'avait démontré son documentaire sur le changement climatique, l'essai comprend suffisamment de matière à réflexion pour influencer durablement notre vision des évolutions à venir. Beaucoup des questions posées par le livre révèlent déjà une actualité toute particulière - preuve supplémentaire que le futur a, de fait, déjà commencé.

Par Benjamin Krieg & Kay Meseberg -Arte Future