Dépenses publiques
L’Institut Montaigne dresse un inventaire précis des coupes possibles dans les dépenses pour redresser les comptes publics.
Le Figaro - 7 octobre 2024 - Par Julie Ruiz
« Sur le rétablissement des finances publiques, il y a un débat politique qui s’est concentré sur de mauvaises idées. » La directrice des études France de l’Institut Montaigne, Lisa Thomas-Darbois, ne mâche pas ses mots. Le cercle de réflexion publie ce mardi une étude qui passe au peigne fin les pistes d’économies potentielles permettant à la France d’assainir ses comptes publics. Mesures explosives sur les retraites, la santé, les niches fiscales… En tout, le rapport identifie près de 150 milliards d’euros d’économies réalisables d’ici à 2050, soit environ le montant du déficit public actuel.
L’objectif est non seulement de montrer, chiffres à l’appui, les gisements potentiels de réduction de dépenses. Mais il insiste aussi sur la prise de conscience nécessaire sur le sujet, si la France ne veut pas finir déclassée dans la compétition mondiale et si elle veut assurer la pérennité de son modèle social. « Pourquoi nous est-il à ce point impossible de nous emparer collectivement d’un sujet si crucial et prioritaire pour l’avenir de notre pays ? », peut-on lire dans l’introduction du document. « Nous avons tous collectivement accepté la situation financière délétère dans laquelle se trouve le pays. Les politiques, les syndicats, les fédérations, les entreprises, les citoyens : chacun entrave à sa manière les démarches d’économies », répond Lisa Thomas-Darbois. Et d’ajouter qu’« en France, une dépense, une fois réalisée, devient due ». Ainsi, les exécutifs successifs se contentent, pour rétablir les finances publiques, « de mesures symboliques » comme la lutte contre la fraude aux prestations sociales ou des mesures de « justice fiscale qui n’ont pas de sens économiquement ». « Au fond, les solutions sont connues, soupire l’experte. La France a de grands pôles de dépenses sur lesquels il y a évidemment des marges de manœuvre. »
En tête de ces pôles de dépenses figurent, sans surprise, les retraites, qui représentent à elles seules un quart de la dépense publique française, selon le think-tank. Pour alléger ce fardeau, le rapport propose deux mesures qui permettraient d’économiser une trentaine de milliards d’euros chacune, à plus ou moins long terme. La première consisterait à reculer l’âge minimal de départ à la retraite pour le porter progressivement à 66 ans d’ici à 2050, ce qui permettrait de récupérer 1 point de PIB sur la dépense publique, soit 30 milliards d’euros. Une deuxième mesure consisterait à geler toutes les pensions de retraite pendant quatre ans, pour un gain de 29 milliards d’euros d’ici 2029.
«L’offre de soins se dégrade»
Si la première option risque de susciter des résistances dans l’opinion publique, le gouvernement envisage de suivre partiellement la deuxième recommandation dans le prochain budget, en désindexant les retraites pendant six mois en 2025. Après une levée de boucliers menée notamment par les élus du Rassemblement national, le premier ministre a pourtant laissé entendre, vendredi dernier, qu’il pourrait recourir à « d’autres moyens » pour réaliser des économies. Une autre mesure, visant la suppression de la niche fiscale d’abattement de 10 % des pensions de retraite sur l’impôt sur le revenu, pourrait dégager environ 8,4 milliards d’euros d’économies d’ici 2028. Toutefois, « les mesures d’économies liées aux retraites sont politiquement très délicates à mettre en œuvre en raison d’une forte opposition des citoyens français et d’une stratégie électoraliste au sein de la classe politique », souligne le rapport. « L’impopularité politique de telles mesures s’explique notamment par des raisons électorales », insistent les auteurs. Un cinquième de la population française a plus de 65 ans, et son taux de participation électorale est élevé (79 % chez les retraités aux dernières élections législatives).
Autre mastodonte de la dépense publique, le système de santé français représente également un gisement d’économies potentielles. Le poids des dépenses de santé est beaucoup plus important en France que dans la plupart des pays de l’OCDE : la France occupe ainsi la troisième place pour les dépenses de santé rapportées au PIB parmi les pays de l’OCDE, après les États-Unis et l’Allemagne. Malgré ces dépenses, « la qualité perçue par les citoyens de l’offre de soins se dégrade », note l’institut. Au total, l’Institut Montaigne estime que les gouvernants pourraient réaliser des économies tout en renforçant l’efficience du système de soins, à hauteur de 28 milliards d’euros. Parmi les mesures proposées, figurent la création d’un système de tarification plus performant (2,9 milliards d’économies), l’augmentation du taux de prescription des médicaments génériques à 85 % (3 milliards), la réduction du coût des indemnités journalières (environ 3,2 milliards) ou encore la réduction de la durée des séjours en maternité après un accouchement (400 millions).
Les auteurs proposent une quinzaine de mesures pour réformer le système de santé tout en redressant les finances publiques. Pour ces réformes structurelles, « l’opinion publique ne serait peut-être pas le principal frein, mais plutôt le manque de cadre pour les organiser et les inscrire dans le temps long », remarque la directrice des études de l’Institut Montaigne. En effet, « l’ensemble de ces économies dépend de la mise en œuvre de multiples réformes conçues et adoptées de manière cloisonnée ». Or, « les tendances corporatistes de certains acteurs », « les difficultés d’accès aux soins de nombreux citoyens » ou encore « le changement des pratiques » ne peuvent être décidés dans le cadre d’un unique projet de loi, notent les auteurs. Pour pallier ces difficultés, « une politique de santé pluriannuelle » serait indispensable pour mener à bien ces réformes. Une contrainte majeure, surtout dans un contexte politique incertain.
Outre ces deux poids lourds, l’Institut Montaigne a identifié plusieurs pistes sur d’autres postes de dépense publique. Les dépenses locales, qui représentent la plus petite part de la dépense publique (environ 20 % du total, soit tout de même plus de 310 milliards d’euros par an), pourraient être réduites de 25 milliards d’euros d’ici 2030 en diminuant d’autant les dotations que l’État verse aux collectivités. « Plus une collectivité dispose de moyens financiers, plus elle a tendance à les dépenser », justifient les auteurs. Bien sûr, de telles économies ne pourraient être réalisées qu’au prix d’un arbitrage politique délicat. En tout état de cause, une « décision assumée de réduire » les moyens alloués aux communes, départements et régions risquerait « de créer un conflit ouvert », souligne l’étude.
En effet, chaque année, la question des dotations aux collectivités provoque déjà un bras de fer entre les élus locaux, qui estiment souvent que leur augmentation est trop modeste par rapport à leurs contraintes, et le gouvernement. Sur la question de la masse salariale, le rapport recommande également de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d’État pendant quatre ans, ce qui permettrait d’économiser 2,7 milliards d’euros. Sur l’emploi privé, des pistes d’économies sont recommandées notamment sur l’apprentissage (réduire les aides aux centres de formation de 10 % et diminuer le financement public des contrats) ou sur le chômage (plafonner les indemnités à 4000 euros ou réduire la durée d’indemnisation). L’apprentissage coûte aujourd’hui 13,5 milliards d’euros par an et les allocations chômage plus de 44 milliards, souligne l’Institut Montaigne.
Autre mine d’économies souvent évoquée, le « maquis des dépenses fiscales » est également passé au crible par l’Institut Montaigne. Les montants des niches fiscales et sociales sont en forte progression depuis une dizaine d’années (20 milliards d’euros entre 2013 et 2023, soit 28 %). De plus, « près des deux tiers des dépenses fiscales et niches sociales » ne sont pas « utiles et efficientes au regard des objectifs affichés au moment de leur mise en place », selon un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF). Au-delà d’une réorganisation de fond visant à fixer des plafonds plus contraignants et à mieux évaluer la pertinence de chaque niche dans le temps, le rapport désigne plusieurs niches fiscales et sociales allant à « l’encontre des grands objectifs nationaux », dont il faudrait envisager la suppression ou, a minima, la réduction.
«Collectivement irresponsable»
Le rapport propose de diviser par deux les « niches fiscales brunes », regroupant plusieurs avantages sur les énergies fossiles, pour un gain de 4,1 milliards. La suppression des niches fiscales sur la restauration et les travaux de rénovation, ainsi qu’une division par deux du crédit d’impôt recherche – une niche dédiée à l’innovation, âprement défendue par les entreprises – rapporterait jusqu’à 6 milliards d’euros. Mais comme le dit la célèbre formule, dans chaque niche fiscale se trouve un chien qui aboie. « Ce genre de mesures provoque souvent un véritable défilé à Bercy de représentants de fédérations en colère, de lobbies qui exercent des pressions pour préserver leurs avantages », explique Lisa Thomas-Darbois. « Prises individuellement, ces revendications sont souvent légitimes. Le problème, c’est que leur addition est collectivement irresponsable. » Les pistes chiffrées dans ce rapport sont en fait des économies « déjà identifiées », insiste l’économiste.
« Pour mener des réformes vraiment efficaces, il faut une volonté gouvernementale et accepter d’être critiqué », poursuit Lisa Thomas-Darbois. Pour l’instant, Michel Barnier semble l’avoir bien compris. « J’accepte d’être impopulaire », a-t-il d’ailleurs déclaré en détaillant son plan de redressement des finances publiques dans le budget 2025. Ce texte doit être présenté par le gouvernement ce jeudi, alors que les finances publiques sont à la dérive. En 2024, le déficit public devrait dépasser les 6 % du PIB, loin de la prévision gouvernementale de 5,1 %. Pour éviter un scénario catastrophe à 7 % en 2025, le premier ministre prévoit d’inscrire un effort budgétaire colossal de 60 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2025. « Il a raison de le faire, mais la situation serait plus encourageante si le premier ministre pouvait s’appuyer sur un fort crédit politique et la possibilité d’inscrire ces économies dans la durée », conclut Lisa Thomas-Darbois.
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