Retraites
Du travail et de la retraite. Une lettre ouverte au président, par Anne Mansouret…
Causeur.fr - 3 mai 2023 - Par Anne Mansouret
Monsieur le président de la République, nous appartenons, vous et moi, à cette catégorie de chanceux qui ont pu suivre le conseil de Confucius : « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie. » Cette citation, je l’ai répétée à l’envi dans mes interventions de vice-présidente, au cours de mes 15 ans de mandats départementaux et régionaux, lors des remises de diplômes ou d’inaugurations dans les collèges, les lycées et les formations en tous genres. J’ai fait mien ce principe tout au long de ma vie, refusant de poursuivre l’exercice d’une activité professionnelle dès lors que je n’avais plus passionnément envie de m’y consacrer. C’est ainsi qu’à 77 ans, après 10 ans dans les services aux particuliers et aux entreprises, 15 ans dans la communication et 20 ans de politique, je suis aujourd’hui taulière, propriétaire et gestionnaire de meublés de tourisme, c’est-à-dire au boulot 7/7 et 350 jours sur 365 par an ! J’ai programmé ma retraite à 85 ans.
Vivre ou survivre
Seulement voilà : comme vous et une partie de la population que j’évalue aujourd’hui à plus ou moins 30% de nos compatriotes actifs, j’ai pu « choisir ». Choisir les études que j’aimais, choisir les propositions et l’environnement qui me convenaient, choisir de prioriser mes vies professionnelles successives plutôt que ma vie familiale. Mais choisir est un privilège.
Les faits sont têtus, et les études concordantes : environ un tiers de la population active travaille dans des secteurs peu valorisants et mal rémunérés. Ils font partie des exécutants dans l’industrie, le bâtiment ou les services aux collectivités et à la personne. Ils travaillent pour survivre. Un second tiers se rend au travail sans plaisir ni rejet particulier. Mais leur vie professionnelle est un moyen, pas une fin. Leur salaire, seulement la possibilité de faire face financièrement à leur vie personnelle, aux crédits, à leurs besoins quotidiens et à leurs vacances. Enfin 30% des actifs, après avoir le plus souvent suivi un cursus d’études supérieures ou être sortis de grandes écoles, s’en va bosser avec enthousiasme. Ils ont souvent la trentaine, appartiennent aux catégories socioprofessionnelles très aisées et ont acquis un statut confortable dans une fonction d’encadrement, ou ont « créé leur boite » dans un secteur où « ils s’éclatent » Ces derniers, Monsieur le président, vous les connaissez. Ils vous entourent au quotidien dans l’exercice de vos responsabilités, et ce sont les mêmes futurs « premiers de cordée » que vous rencontrez dans vos déplacements, prétendument au cœur des « territoires ». Je vous ai beaucoup observé, au cours de ces plongées dans la France des villes moyennes : vous dites des mots, vous prononcez des discours, vous serrez des mains, vous touchez l’épaule ou la nuque de certains, mais vous n’avez pas l’intuition, ni surtout l’expérience des autres. Et ça se voit. Au steeple-chase politique, vous avez sauté les étapes, ingrates certes, mais indispensables, du quotidien d’un candidat et d’un élu. Cet agenda local qui vous amène à connaître des milliers de parcours humains, à travers des milliers de porte-à-porte, des centaines et des centaines de permanences, de réunions de quartiers, de fêtes populaires, de commémorations patriotiques et de repas d’anciens… Parce que la politique est une science fondamentalement humaine. C’est une vocation, et si ce n’est pas une profession, c’est un métier. Je dirais même un artisanat.
Un président pédagogue
A défaut d’avoir pratiqué ce contact humain, à défaut d’avoir écouté, des années durant, ces travailleurs ou ces demandeurs d’emploi modestes et ordinaires, vous n’avez pas pu comprendre leur opposition frontale à la réforme qui leur était imposée. Vous n’avez pas perçu la détresse de ces femmes et de ces hommes qui n’exercent pas un métier dangereux ou dont la pénibilité est reconnue, mais pour lesquels le travail est une contrainte. Ceux-là même qui défilent contre le report à 64 ans de l’âge de la retraite. Vous pensez qu’ils n’ont pas compris ; ou qu’on leur a mal expliqué ; ou qu’ils n’ont pas le bagage intellectuel et culturel, les compétences nécessaires pour admettre le caractère indispensable de cette mesure en termes économiques et financiers, en termes de déficit budgétaire ? Mais là n’est pas le problème. En tous cas, là n’est pas leur problème.
De même que le travail n’est pas synonyme pour tous d’épanouissement, la retraite ne marque pas, pour presque deux tiers de nos compatriotes, la fin de leur vie professionnelle, mais au contraire, son aboutissement. Oui, cela peut paraître aberrant ; et j’avoue que si j’avais continué à vivre dans le 8ème arrondissement de Paris à conseiller des VIP, je ne l’aurais pas cru… Mais, à partir de 50 ans, le travailleur « français moyen » rêve de sa retraite, économise pour sa retraite, se projette à la retraite ! Se lever plus tard. Se consacrer (ou pas) à des loisirs associatifs. S’occuper (ou pas) de ses petit-enfants. Bricoler, entretenir son jardin ou promener son chien… Quelle que soit son espérance de vie, personne, voyez-vous, personne n’est prêt à renoncer à ces deux ans de liberté en bonne santé.
Alors, « quoi qu’il en coûte », Monsieur le président de la République, vous vous grandiriez en renonçant à cette réforme dont les Français ne veulent pas et dont vous subirez les effets pendant quatre ans dans un climat social accablant. Cessez de vous adresser aux privilégiés, à ces yuppies auxquels (comme vous) tout a réussi (ou presque). Qu’importe l’exemple des Allemands, des Espagnols, des Néerlandais, des Italiens, ou les ukases de Madame Von der Leyen… Vous finirez par faire prendre en grippe l’Europe à tous nos compatriotes, à force d’éradiquer les acquis sociaux pour nous imposer les critères financiers de l’Union ! Je vous prie de croire, Monsieur le président de la République, en l’expression de ma très haute considération.
Évreux, le 1er mai 2023
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