50 % ! Le prix des carburants en Russie a augmenté de 50% depuis le début de l'année 2025.

Tribune

Chaque fois que la Russie renforce la pression sur le front, bombarde des installations civiles ou fuit les négociations de paix, la réponse est la même : on lance un nouveau train de sanctions économiques. Nous en sommes actuellement au 18ème qui passe et le 19ème est sur les rails. Avant le prochain.

Economie Matin - 19 octobre 2025 - Par Jean-Christian Kipp

 

Cela a-t-il servi à quelque chose ? Rien de moins sûr. Le dispositif russe en Ukraine n’a fait que se renforcer, passant de 120 000 hommes au début de l’invasion à près de 700 000 aujourd’hui. Et les gains territoriaux croissent inexorablement depuis 2 ans. La situation aurait-elle été pire en l’absence de sanctions économiques ? Bien entendu. Mais une stratégie de guerre doit, dans les différentes mesures qui la composent, viser à changer le cours de la guerre, non à la faire perdurer. Sous peine de prolonger l’agonie, ici au rythme terrible de 1000 soldats des deux camps, sacrifiés chaque jour à l’autel de l’inefficacité.

L’argument semble calibré pour une époque qui n’aime rien tant que la simplification à l’extrême : les sanctions affaiblissent l’économie du pays, et par là même l’effort de guerre. L’idée est simple et forte, de « bon sens » pourrait-on dire ! Mais résiste-t-elle à l’analyse ? La Russie est le deuxième producteur mondial d’énergie. Dans une époque qui en demande toujours plus, pouvait-on imaginer que cette énergie ne trouverait pas preneur ? Elle a trouvé bien sûr, partout, sans même écarter l’Europe, par voie détournée et au prix fort !

Dans un monde allant vers la multipolarité, qui va s’aligner sur la stratégie de l’Occident ? Certainement pas les BRICS dont la construction et l’unité se fondent sur un seul critère qui les rassemble tous : l’opposition à la domination occidentale. Etablir un blocus autour de la Russie eut été plus avisé que d’espérer cette mondialisation des sanctions. Mais comment circonscrire le plus vaste pays de la planète ?

Le principe même des sanctions ne résiste pas à la réalité des choses. Le peuple russe est affecté, c’est certain : il se serre la ceinture, comme si souvent dans son histoire. Certes, l’économie russe souffre. Elle affiche cependant une croissance supérieure à celle de l’Occident, même corrigée de l’effort de guerre. Mais ce dernier, la cible réelle, n’en est pas diminué pour autant. Et de tous les budgets ce sera celui qui sera préservé en priorité, hubris oblige.

Conviction réelle ou écran de fumée

Ainsi aucun train n’a concrètement eu un effet permettant de distinguer un « avant » et un « après ». Or, le chef d’entreprise que je fus se rappelle que lorsqu’une stratégie ne produit pas quelques effets à court terme, ceux-ci émergent rarement plus tard. L’entreprise doit alors en changer. Il en va de son efficacité et souvent de sa survie. Mais en politique européenne, point de tel élan vital. Avec la régularité d’un métronome, depuis le début, les trains se suivent et se ressemblent. En vain. C’est à se demander si les gouvernants occidentaux croient réellement à l’efficacité de ces sanctions. Ou s’ils les décrètent pour ne pas être accusés de ne rien faire. A défaut de ne pouvoir suffisamment approvisionner le contingent ukrainien en artillerie, obus et drones essentiels à cette guerre de position, ni d’envisager sérieusement, au risque d’une guerre mondiale, l’envoi de troupes armées sur le théâtre des combats, ils affrètent des trains non d’hommes et de munitions mais de sanctions.

Incompétence ou duplicité ? Quoi qu’il en soit, les ministres déclament leurs certitudes avec ferveur, comme un recours outrancier à la pensée magique : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ! » avait prédit Bruno Lemaire le 1er mars 2022 ; « Prendre la Russie à la gorge » poursuivait de manière tout aussi péremptoire Jean-Noël Barrot le 15 mai 2025 !

Tout cela n’aurait-il pas les relents du post-colonialisme d’un continent qui, sans plus y croire, continue à agir, par reflexe, par tradition, comme s’il était encore la seule puissance dominante du monde, dont aucun pays ne pourrait sérieusement se passer ?

Ou est-ce par simple morale, celle de ne pas commercer avec un pays dont on désapprouve la conduite ?

C’est louable mais inefficace. Et pendant ce temps, des hommes meurent.

La Russie est la sixième économie du monde en parité de pouvoir d’achat. Cette puissance lui donne les moyens de résister. Mais à bien y regarder, l’inefficacité des sanctions, cette exclusivité occidentale, s’applique le plus souvent. La Corée du Nord, aux ressources limitées, en est un cas d’école. En fonction de la solidité de la cible, les dégâts seront plus ou moins importants, mais l’objectif rarement atteint. Les peuples, victimes expiatoires, en subiront toujours les conséquences en premier et l’effort de guerre toujours le dernier à fléchir.

Il ne reste plus qu’à espérer que ce train qui ne mène nulle part ne nous conduise pas pour autant dans le mur…

Jean Christian KippJean-Christian Kipp est à la fois reporter de guerre, aventurier, entrepreneur, mécène, et anticonformiste. Aventurier, il a participé à de nombreuses expéditions depuis les années 80. Il a été volontaire humanitaire en zone de guerre, puis reporter en couvrant notamment le conflit afghano-sovétique (1985 à 1989), les derniers jours des Khmers Rouges au Cambodge (1993), la naissance du mouvement Taliban (1994), les conflit syrien (2020), ukrainien (2022), arménien (2023), et les émeutes en Géorgie (2024). Il écrit régulièrement dans la revue de géopolitique Politique Internationale. Entrepreneur, Jean-Christian Kipp a créé une dizaine de sociétés, notamment dans le domaine de la santé. La vente de ces sociétés en 2020 a permis de créer le Fonds Odysseus, ce qui lui garantit une stricte indépendance. La vocation d’Odysseus est de promouvoir la liberté sous toutes ses formes. Il est vice-président de la Société des Explorateurs Français.