« Il est possible que la clarification souhaitée par le président ne se matérialise pas. » (Jacques Witt/SIPA)

Point de vue

Si les élections législatives conduisent à nouveau à un Parlement sans majorité absolue, comme en 2022, il faudra se préparer à changer de logiciel afin d'éviter la paralysie, écrit Thierry Chopin.

Les Echos - 25 juin 2024 - Par Thierry Chopin (professeur au Collège d’Europe (Bruges))

En décidant la dissolution de l'Assemblée nationale, le président de la République a acté ou précipité une crise institutionnelle. La Constitution de la Ve République visait à assurer la formation d'un exécutif capable de décider, en donnant au président la légitimité du suffrage universel direct et en facilitant ainsi la formation d'une majorité législative autour de lui. Le quinquennat a renforcé cette logique par l'alignement des calendriers de l'élection présidentielle et de l'élection législative. La Constitution donne en outre à l'exécutif des pouvoirs exceptionnels en cas d'incapacité à trouver une majorité stable au Parlement.

Cette logique a volé en éclats. Le président semble avoir épuisé auprès de l'électorat la légitimité tirée de sa réélection et concentrer autour de sa personne le rejet fort d'une partie de la population. En outre, il ne dispose pas de majorité absolue au Parlement, ce qui a forcé son gouvernement à utiliser plus que jamais auparavant l'article 49.3. Il a tenté de solliciter l'appui des Républicains, y compris en faisant clairement évoluer son gouvernement vers la droite.

Sans succès. Il semble d'ailleurs avoir lui-même reconnu l'échec de cette stratégie et l'impasse institutionnelle en dissolvant l'Assemblée nationale, appelant une « clarification » de ses voeux, pour éviter de se trouver paralysé pendant les trois dernières années de son mandat et de devoir en porter la responsabilité.

Eclatement des camps

Il est néanmoins possible que la clarification souhaitée par le président ne se matérialise pas. Rien ne garantit en effet que les prochaines élections législatives donnent une majorité absolue à un camp ou à un autre. Le Rassemblement national bénéficie de la dynamique des Européennes. Mais les derniers sondages suggèrent que ce pourrait être insuffisant pour remporter une majorité absolue.

La majorité présidentielle est affaiblie, et même divisée, par le virage à droite du président. Elle souffre de son impopularité et est exposée à devenir la prochaine victime du dégagisme. Les Républicains sont partagés entre la tentation de l'union des droites, pour surfer sur la vague du Rassemblement national, et le rejet de l'alliance avec celui-ci. Ceci pourrait conduire à un nouvel éclatement de la droite traditionnelle.

Enfin, la gauche, même réunie dans un « front populaire », ne semble pas à ce stade disposer de l'arithmétique nécessaire pour gagner l'élection. Et l'expérience de la Nupes a montré les difficultés d'une telle alliance dont Raphaël Glucksmann s'est ostensiblement distancé au moment des élections européennes.

Changer de logiciel

Si les élections législatives conduisent à nouveau à un Parlement sans majorité absolue, comme en 2022, il faudra se préparer à changer de logiciel. Cela supposerait que des forces issues de la social-démocratie, du centre, de la droite modérée et aussi possiblement de l'écologie, faisant campagne sur leurs thèmes respectifs au moment de l'élection, envisagent la possibilité de travailler ensemble dans le cadre d'une coalition, si les résultats électoraux le rendent nécessaire, comme dans la plupart des pays européens ainsi qu'au Parlement européen.

 

La perspective et les coûts d'une nouvelle paralysie appellent en effet à un changement d'approche qui permette la prise de décision même dans une situation de fragmentation politique. En cas d'absence de majorité absolue, sachant que le président de la République ne pourra pas dissoudre de nouveau avant un an, une recomposition devrait s'opérer dans les prochains mois.

La France doit sortir de la crise institutionnelle où elle est plongée si elle veut éviter la paralysie dans un contexte économique, social et international qui ne l'autorise pas. Il serait utile pour les partis de le reconnaître et de s'y préparer, dans l'intérêt de notre pays, des Françaises et des Français. 

Thierry Chopin est docteur en science politique de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), professeur invité au Collège d'Europe (Bruges).