Tribune
La Chronique de David Lisnard : Affirmons d’abord la finalité de la décentralisation : régénérer et oxygéner notre démocratie en enlevant de la pression sur le pouvoir central, et renforcer les services de proximité tout en défendant les contribuables.
L'Opinion - 12 avril 2023 - Par David Lisnard
Le président de la République a récemment affiché sa volonté de décentraliser. Comment ne pas tenter d’y croire, tant la nécessité est grande pour revitaliser notre vie démocratique et les services publics. Mais la prudence s’impose au vu des annonces tonitruantes déjà restées sans suite, y compris dans ce domaine quand Emmanuel Macron déclarait devant la presse en avril 2019 vouloir « changer notre démocratie, notre organisation pour garantir des décisions prises au plus près du terrain ».
Alors aujourd’hui, espérons moins d’emphase et plus de concrétisation que la loi 3DS adoptée en 2022 (dont la démarche que vient de lancer l’exécutif démontre qu’elle n’était pas la loi de décentralisation attendue). Dans ce contexte, en complément des utiles contributions des associations d’élus, dont bien sûr l’Association des maires de France (AMF), voici quelques principes qu’il me semble nécessaire d’appliquer pour réussir enfin la décentralisation.
Régénération. Affirmons d’abord sa finalité : régénérer et oxygéner notre démocratie en enlevant de la pression sur le pouvoir central, et renforcer les services de proximité tout en défendant les contribuables. Remarquons au passage qu’il s’est passé tout le contraire récemment. La capacité d’action locale a été amoindrie en droit et financièrement par la suppression d’impôts locaux, ce qui a engendré une forme nouvelle de tutelle de l’Etat alors que parallèlement les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les Français battent des records. Paradoxe ? Non, car tout ce qui enlève de la responsabilité, y compris fiscale, enlève de l’efficacité.
Une vraie décentralisation doit générer de la RESPONSABILITE. Il s’agit de permettre aux élus locaux d’agir, de savoir qui fait quoi précisément et d’en terminer avec un mouvement continu depuis quarante ans qui croise les compétences et dilue les responsabilités individuelles
Il en résulte un principe essentiel : une vraie décentralisation doit générer de la RESPONSABILITE. Il s’agit de permettre aux élus locaux d’agir, de savoir qui fait quoi précisément et d’en terminer avec un mouvement continu depuis quarante ans qui croise les compétences et dilue les responsabilités individuelles.
La responsabilité est renforcée par la PROXIMITE et déterminée par la LIBERTE d’action.
Cette responsabilité, gage de performance publique et de confiance civique, doit se traduire par l’application d’un autre principe : qui paye décide et qui décide paye. Ce qui permettrait d’en finir avec les transferts de charges non compensés et le blocage de projets locaux par des services extérieurs qui ne se manifestent que par des obligations d’études préalables et l’entrave tatillonne a priori, sans jamais en assumer la moindre conséquence, notamment financière.
Déconcentration. D’où ce principe : pas de décentralisation réussie sans déconcentration de l’Etat. Il est temps de mettre un terme à l’échec de la régionalisation des services de l’Etat. Le Préfet doit être le patron à l’échelle du département d’agents aujourd’hui éparpillés et sans ligne de conduite claire. Je vais jusqu’à proposer la suppression de certains de ces services et le transfert de leurs missions aux collectivités.
Hormis dans le domaine régalien, raison d’être de l’Etat, et tout ce qui concerne la garantie des libertés publiques et individuelles, le pouvoir réglementaire (décrets et arrêtés), pourrait être confié aux collectivités territoriales, à charge du pouvoir central de contrôler a posteriori leur bonne exécution
Décentraliser, c’est permettre au pouvoir local, émanation de la légitimité populaire, de décider. La décentralisation doit concerner la norme ; la loi se recentrer sur les dispositions d’ordre public et l’accompagnement des grands objectifs de politique nationale. Hormis dans le domaine régalien, raison d’être de l’Etat, et tout ce qui concerne la garantie des libertés publiques et individuelles, le pouvoir réglementaire (décrets et arrêtés), pourrait être confié aux collectivités territoriales, à charge du pouvoir central de contrôler a posteriori leur bonne exécution.
Il s’agirait d’une formidable évolution qui permettrait de gagner en pragmatisme, en vitesse administrative, en générant de l’émulation par la comparaison, totalement dans l’esprit de l’article 34 de la Constitution. Il en résulterait l’obsolescence bienvenue de textes dont les lois Maptam, Notre, 3DS, par lesquels « l’exécutif-legislateur » est allé bien au-delà des grands principes fondamentaux et a encombré dans le détail légal et réglementaire l’exercice des compétences des collectivités.
Autre principe fondamental : le respect de la SUBSIDIARITE. Cette notion héritée du thomisme réunit tout ce qui précède sur la responsabilité et la liberté et conditionne la dignité. Elle doit être d’abord horizontale (à chacun d’essayer de régler ses problèmes), puis verticale et ascendante (si le problème ne peut être réglé localement, le faire à une échelle plus grande). Il faudra pour cela que les technocrates centralisateurs renoncent à leur croyance de la pertinence systématique des grands ensembles.
Ce conformisme est destructeur dans les faits d’équité et de résultats. Ce qui porte atteinte à l’efficacité des pouvoirs publics n’est pas l’existence de petites communes, qui sont autant de réalités géographiques et historiques, démocratiques et humaines, mais la dilution des responsabilités et la juxtaposition des entités sur les mêmes missions.
Différenciation. Enfin, la décentralisation n’est pas la différenciation. Cette notion est soutenue de bonne foi par de nombreux élus qui veulent agir. Mais à mon sens, hormis pour des situations spécifiques comme Outre-mer, elle porte atteinte dans son principe à l’égalité et à l’indivisibilité de la République. Elle génère de l’arbitraire pour débloquer des situations qui résultent d’un système égalitariste et centralisé.
Le constitutionnaliste Benjamin Morel l’a parfaitement exprimé par son concept de « décentralisation asymétrique » : la différentiation territoriale « complexifie le droit […], risque de fragiliser l’exercice des compétences et de créer de l’insécurité juridique pour les élus locaux ». Elus qui ne veulent pas déroger mais décider ; c’est-à-dire disposer de compétences légales claires et de moyens d’action. Voilà quelques principes non exhaustifs qui permettraient une « vraie décentralisation » réformant en profondeur les pouvoirs publics dans le respect de la Ve République. Mais encore faut-il pour cela convaincre les étatistes qui gouvernent le pays depuis si longtemps qu’il est temps de faire confiance à leurs mandants. Ainsi va la France.
David Lisnard, est président de Nouvelle Energie et maire de Cannes.
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