Énergie
Encore inconnue il y a deux ans, Catherine MacGregor tient les rênes d’Engie alors que le géant du gaz affronte la pire crise de son histoire.
Le Point - 17 septembre 2022 - Par Michel Revol
Il faut bien l'avouer, on est un peu déçu. Catherine MacGregor nous avait donné rendez-vous au siège d'Engie, début septembre, en pleine crise. Quelques jours plus tôt, le principal fournisseur de gaz français avait encaissé un nouveau coup dur, Gazprom ayant coupé les livraisons de gaz à Engie sous prétexte d'un différend commercial. La pénurie guette, les cours s'envolent, les accusations de « superprofits » se multiplient à l'encontre des énergéticiens. Le géant du gaz affronte la pire crise de son histoire. C'est certain, la nouvelle directrice générale, nommée il y a un an, sans aucune expérience de ce genre de tempête, sera sur le pied de guerre, courant à droite, à gauche, téléphone à l'oreille, avec à peine quelques minutes pour parler d'elle. Ce qu'elle ne prend aucun plaisir à faire, de toute façon : « Ma vie n'a aucune importance », confiait-elle d'ailleurs quelques semaines plus tôt, pas très encline à se livrer dans la presse.
Nous voici donc au 24e étage de la tour Engie, à la Défense. On passe devant une salle où trône une vaste table de réunion, jonchée de téléphones. C'est là que se réunit la cellule de crise, mais, pour l'heure, c'est le calme plat. Même chose dans le bureau de Catherine MacGregor. C'est comme si on pénétrait dans un salon de démonstration Ikea. Tout est apaisé, épuré, spacieux : un simple bureau en bois blanc, une ou deux bibliothèques avec pots de fleurs et quelques livres et, au sol, une jolie moquette gris clair.
Remplissage des réservoirs. La directrice générale d'Engie, elle, va bien, merci. Elle a passé d'assez bonnes vacances, a fêté en août ses 50 ans et vient de se mettre à la gym tous les matins. Il y a bien quelques réunions de la cellule de crise, mais, à l'entendre, pas de quoi fouetter un chat. La situation semble sous contrôle. Tout sourire, Catherine MacGregor s'étonne même qu'on s'en étonne. Certes, avoue-t-elle, « cette crise est d'une grande complexité, car elle touche tous les sujets, l'industrie, les particuliers, nos collaborateurs, les investisseurs ». Mais elle est là pour ça. « Quand vous êtes CEO [directrice générale, NDLR], votre boulot est de gérer les situations difficiles. » Son entourage apprécie. « Elle n'hystérise pas la crise », observe un collaborateur.
Catherine MacGregor n'est pas seule aux commandes. Dans la pièce voisine, Jean-Pierre Clamadieu veille. Le président d'Engie est un vieux routier du monde des affaires. Mais la directrice générale a su agir pour que le bateau affronte sans dommage les vents contraires. Dès le début de la crise de l'énergie, à la sortie de l'hiver, elle accélère le remplissage des réservoirs de gaz naturel et envoie l'un de ses bras droits, Didier Holleaux, frapper à la porte des fournisseurs capables de suppléer le géant russe, comme le norvégien Equinor. « Un leader se révèle dans les crises, et Catherine a su prendre les bonnes décisions », salue Gérard Mestrallet, l'un des pontes du capitalisme français et architecte du groupe Engie, qu'il a présidé jusqu'en 2018.
Vingt-cinq ans dans l'énergie
7 août 1972 Naissance au Maroc.
1995 Diplômée de Centrale Paris.
1995 Entre chez Schlumberger.
2019 Nommée directrice générale de Technip Energies.
2021 Prend ses fonctions de directrice générale d'Engie.
Un « sans-faute ». Comme à peu près tout ce que Paris compte de grands patrons, Gérard Mestrallet est bluffé par le « sans-faute » de Catherine MacGregor, parfois regardée de haut à son arrivée aux commandes d'Engie. Il est d'autant plus étonné qu'il n'en avait jamais entendu parler quelques semaines avant sa nomination. À quelques mois près, en se penchant à la fenêtre de son bureau, l'ex-patron d'Engie aurait pourtant pu apercevoir Catherine MacGregor. Après une longue carrière chez Schlumberger, sur les plateformes pétrolières au large d'Aberdeen (où elle a rencontré son mari écossais, dont elle est séparée), au Congo et en France, la centralienne arrive au début de l'année 2019 chez TechnipFMC. Son bureau est situé à la Défense, juste en face de la tour Engie ! Elle est recrutée pour mener à bien un « spin-off », c'est-à-dire la division en deux de TechnipFMC, dont la partie française doit être introduite en Bourse.
L'opération est importante. Quelques semaines après sa nomination, Catherine MacGregor sollicite donc un rendez-vous avec Emmanuel Moulin, le directeur de cabinet de Bruno Le Maire à Bercy. La jeune femme tape dans l'œil du second du ministre de l'Économie. Lui vient une idée : et si cette ingénieure, qui s'est imposée dans le monde très masculin du brut et des plateformes pétrolières, pouvait être l'oiseau rare capable de diriger Engie ?
La société, détenue en partie par l'État, est alors dans une situation compliquée. En février 2020, le conseil d'administration a évincé la directrice générale, Isabelle Kocher. Sa mésentente avec ses présidents successifs, Gérard Mestrallet puis Jean-Pierre Clamadieu, est de notoriété publique, et le gouvernement est fatigué par toutes ces querelles. Un triumvirat assure l'intérim. Au sein d'Engie, on veut en finir avec cette direction provisoire. « C'était difficile à vivre, on ne savait jamais qui devait prendre les décisions, si elles étaient ou non définitives », raconte un haut dirigeant d'Engie.
Mettre de l'ordre. Au début de l'année 2020, la chasse est lancée. La recruteuse Brigitte Lemercier se met en quête du mouton à cinq pattes. Bercy souhaite qu'il soit issu de l'industrie, afin de sortir du sempiternel vivier des grands corps de l'État. Il faut aussi qu'il soit rompu au monde de l'énergie, et de sexe féminin (Isabelle Kocher était alors la seule directrice générale du CAC 40). Engie, de son côté, plaide pour un candidat capable de mettre de l'ordre dans l'entreprise. Kocher l'avait en effet copieusement chamboulée : elle avait délaissé le gaz (activité historique d'Engie) puis découpé la société en de multiples - jusqu'à 25-- business units (directions). « On n'y comprenait plus rien », peste un dirigeant. Les cadres de l'énergéticien souhaitent aussi que leur futur patron vienne de l'extérieur de l'entreprise, de façon à tourner la page des années de tourments.
À Bercy, Emmanuel Moulin suggère à Brigitte Lemercier de rencontrer cette jeune femme au nom écossais, bien que née au Maroc de parents profs français. Mais Catherine MacGregor décline la proposition. Elle s'est engagée avec Technip, elle n'a pas envie de lâcher l'entreprise en route. « Je me disais aussi qu'Engie recherchait quelqu'un de très politique et je ne me sentais pas prête pour ça. » Un premier tour de candidats a lieu ; aucun ne convient.
Vieille maison. Comme au Goncourt, les têtes pensantes de l'entreprise (et Bercy) lancent un deuxième tour, juste avant l'été. MacGregor est à nouveau sollicitée. La patronne de Technip Energies a changé d'avis. D'abord parce que l'introduction en Bourse de la nouvelle société est gelée à cause de la crise du Covid. Mais aussi parce qu'elle a regardé le dossier d'un peu plus près. « J'ai compris qu'il fallait apporter de la normalité à Engie, apaiser sa gouvernance, mais aussi mettre en musique une nouvelle stratégie. Il fallait donc quelqu'un de très opérationnel. Je me suis dit : ça peut matcher avec moi. »
Catherine MacGregor débarque à la rentrée 2020 dans la tour de la Défense, quatre mois avant sa prise de fonctions. Parmi les troupes, c'est la surprise : personne n'a jamais entendu parler d'elle. « Dès qu'on a su que c'était elle, on a tous été chercher son nom sur Google ! » se marre un membre du comité exécutif. Catherine MacGregor, qui a passé plus de vingt ans dans des sociétés anglo-saxonnes, a quelques préjugés en tête : Engie, cette veille maison issue de Gaz de France et de Suez, sera ardue à bouger. Elle s'attend à y passer des jours et des week-ends. « J'avais prévu de multiplier l'échelle du temps par quatre ! » se souvient-elle.
Diplomate. Le travail est toutefois un peu mâché. Jean-Pierre Clamadieu et le conseil d'administration ont déjà fixé la feuille de route : accélération dans les renouvelables, retour aux cœurs de métier (gaz et infrastructures gazières), limitation des services avec la vente d'Equans (une structure ad hoc regroupant la plupart des services aux particuliers et aux entreprises)… En conséquence, le maelström des vingt-cinq directions sera réduit à quatre. À MacGregor de jouer.
La nouvelle CEO ne perd pas de temps. Pendant trois mois, elle échange avec une centaine de cadres d'Engie, mais aussi avec des financiers, des investisseurs et des responsables politiques, dont Bruno Le Maire, avec lequel elle s'entretient souvent. Elle écarte certains membres du comité exécutif, en promeut de nouveaux, sans qu'aucune trace de sang ne tache les murs. Catherine MacGregor sait y faire. Elle est diplomate et affable, n'oubliant pas de fêter d'un SMS les anniversaires de ses équipes.
Poing sur la table. Amatrice de Scrabble, sœur de la directrice des éditions J'ai lu, elle dénote aussi dans le monde policé du business, qu'elle découvre petit à petit. Elle truffe ses phrases de « vachement », peut lâcher que « ça a merdé », ou emploie des phrases à la Audiard, comme « il faut savoir compter les haricots ». La nouvelle patronne sait aussi quand il faut taper du poing sur la table. La cinquantaine de dirigeants d'Engie réunis au printemps autour d'elle peut en témoigner. Catherine MacGregor est alors très remontée. Le nombre d'accidents du travail est en hausse. « Ce n'est pas acceptable, je vous l'ai déjà dit. S'il y en a qui n'ont pas compris, ça va se terminer par des sanctions. » Ce jour-là, Catherine MacGregor ne souriait pas du tout.
Chacun s'accorde toutefois à dire que la greffe a bien pris. Le calme est revenu dans la maison. Celle qui a été, un temps, la seule femme dirigeante du CAC 40 - Christel Heydemann chez Orange et Estelle Brachlianoff chez Veolia l'ont rejointe dans ce cercle très restreint - a trouvé un modus vivendi avec le président, Jean-Pierre Clamadieu. Le duo fonctionne bien parce que, contrairement à Isabelle Kocher, Catherine MacGregor reste à sa place. Elle applique à la lettre la stratégie du conseil d'administration, sans jouer des coudes. Elle sait aussi se reposer sur plus expérimenté qu'elle, comme Jean-Pierre Clamadieu ou… Gérard Mestrallet. Tous les trois mois environ, elle partage un petit déjeuner avec l'ancien patron de GDF Suez pour évoquer le marché du gaz, les tensions internationales, Vladimir Poutine…
+ 72,3 %
Augmentation du chiffre d'affaires entre les premiers semestres 2021 et 2022 (43,2 milliards d'euros)
+ 75,3 %
Augmentation de l'Ebit (bénéfices avant intérêts et impôts) entre les premiers semestres 2021 et 2022 (5,3 milliards d'euros)
173 000
collaborateurs
Nouveau monde. À son arrivée chez Engie, quelques critiques ont pourtant fusé. Comment une ingénieure qui a fait toute sa carrière dans le pétrole pourrait-elle réorienter la société vers le vent, le solaire et l'hydrogène ? Catherine MacGregor renverse l'argument. « D'une certaine façon, je quitte l'ancien monde pour aller vers le nouveau », observe-t-elle un matin de juillet dans le van qui l'emmène visiter un parc solaire au pied de la montagne Sainte-Victoire, non loin d'Aix-en-Provence. « Je le dis aux jeunes : Engie, c'est the place to be. Vous allez changer le monde ! »
La crise du gaz et l'envolée consécutive des revenus d'Engie arrivent d'ailleurs à point nommé pour faire écho à cette promesse. Catherine MacGregor a une réponse toute simple aux critiques dénonçant les « superprofits » des énergéticiens : « Je comprends le malaise que cela peut engendrer et la perte de pouvoir d'achat pour de nombreux ménages. Mais, l'important, c'est ce qu'Engie fait de cet argent. Notre raison d'être est avant tout d'accélérer la transition énergétique. » Les profits dégagés seront donc investis, Engie entend multiplier les projets éoliens et solaires. La quinqua est ambitieuse : elle entend passer, en dix ans, de 31 gigawatts installés en 2020 en France et dans le monde (éoliennes et photovoltaïque) à 80 gigawatts.
Acquisitions. Comme pour les premiers de la classe à qui tout réussit, Catherine MacGregor est désormais attendue au tournant. Engie est encore un petit acteur de l'énergie à l'échelon mondial. La société doit grossir. Elle a les moyens pour cela. La directrice générale a participé à la belle vente d'Equans à Bouygues, pour 7,2 milliards d'euros, qui s'ajoutent aux 3,4 milliards encaissés lors de la vente des parts dans Suez.
Mais s'il est « facile » de vendre, MacGregor sera surtout jugée sur sa capacité à faire de belles et pertinentes acquisitions. « Et, là, Engie ne sera pas seul sur le marché », prévient Mestrallet. Catherine MacGregor pourra y songer le week-end. C'est le seul moment où cette patronne qui fuit les mondanités et le milieu parisien du business se pose un peu, avec ses deux filles, pour réfléchir à l'avenir d'Engie. Elle le fait dans la petite maison qu'elle vient d'acheter dans le Vexin, tout près de Paris, un lieu où la crise du gaz paraît bien loin§
Consultez notre dossier : Crise de l'énergie : tout savoir
KHANH RENAUD POUR « LE POINT » (x3)
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