Proposition soutenue par France Défis
La question du statut
La France compte 21% d’agents publics dans la population active (25% si on totalise l’ensemble des actifs payés sur fonds publics) là où l’Italie en dénombre 14%, la Suisse 11% ou le Royaume-Uni 9,5%. Elle fait figure d’exception car, quand les autres pays d’Europe gèlent les salaires, baissent leurs effectifs, suppriment leurs statuts à vie ou les réservent aux agents ayant des missions régaliennes, l’hexagone garantit des augmentations de salaire pour ses fonctionnaires, crée de nouvelles primes et continue à embaucher à vie des effectifs publics et ce malgré un déficit public de plus en plus élevé.
Certains services publics, certaines activités publiques impliquent, c’est vrai, des sujétions particulières qui justifient, pour les personnels concernés, un statut plus contraignant que le droit commun : par exemple, des restrictions au droit de grève et à la liberté d’expression, ou une plus grande soumission aux nécessités du service. En échange de ces contraintes, il est légitime d’accorder une protection particulière aux agents. Mais ces situations sont l’exception, les autres sont très proches des métiers que l’on peut trouver dans le secteur privé et ne requièrent pas de sacrifices particuliers.
Jusqu’à 1996, dans les administrations, les salariés soumis au droit du travail coexistaient avec les contractuels de droit public. La jurisprudence dite « Berkani »(Du nom d’un aide de cuisine au Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de Lyon ; décision du 25 mars 1996 du tribunal des conflits.), a mis fin à cette situation en disant que M. Berkani, et tous les autres non-fonctionnaires « travaillant pour le compte d’un service public à caractère administratif », sont des agents contractuels de droit public « quel que soit leur emploi ».
La France est donc aujourd’hui le seul grand pays développé où il existe une séparation totalement étanche entre le statut juridique des agents des services publics administratifs et celui des salariés du secteur privé. Cette sorte de ségrégation porte atteinte à l’unité même de la nation et aux fondements de la République. C’est exactement l’inverse qu’il faut faire : la bonne réforme, vers laquelle les auteurs du rapport Silicani ont bien vu qu’il fallait aller, mais sans oser le dire, est la diffusion la plus large possible du contrat de travail de droit commun dans les administrations publiques.
Cette diffusion aurait d’importants mérites :
- laisser grandes ouvertes les voies de passage du secteur public au secteur privé et vice versa ;
- simplifier la gestion des emplois ;
- faciliter l’innovation et le progrès par de meilleurs échanges des personnes et des pratiques ;
- mieux rémunérer les compétences utiles au service public ;
- égaliser la situation de ceux qui, dans le privé comme dans le public, exercent les mêmes métiers : éduquer, soigner, chercher, faire du nettoyage, préparer un repas, distribuer du courrier…
Une telle réforme a déjà été entreprise dans quasiment la totalité des pays européens avec l’approbation populaire
L’opinion européenne est de plus en plus sensible aux statuts privilégiés. Entre 1996 et 2001, le ministre Italien de la fonction publique, Franco Bassanini a mené une réforme qui a supprimé le statut de la fonction publique, avec l’introduction du contrat de droit privé pour 85% des fonctionnaires et agents publics. Seuls les magistrats, les préfets, les diplomates, les professeurs d’Université, l’armée, la police et la gendarmerie ont gardé un statut de droit public et l’accès à la Fonction publique se fait maintenant par concours national unique.
En Suisse, la nouvelle législation qui règle les relations de travail du personnel de la Confédération a été introduite en 2002. Le but de la réforme était de passer d’un statut particulier – celui de fonctionnaire – à un contrat proche d’un contrat de droit privé, en conservant certaines particularités. Cette loi fut combattue par les syndicats, qui soumirent la loi à un référendum populaire. Ils perdirent en votation populaire : plus de deux tiers de la société civile votante en Suisse ont ainsi approuvé l’abrogation du statut de fonctionnaire. Cet aval populaire suggère que la compréhension pour des statuts, des privilèges et des rentes particuliers est de plus en plus difficile à obtenir, d’autant plus que les fonctionnaires sont au service du citoyen.
Les instruments juridiques de cette évolution sont déjà disponibles
Ce sont, notamment :
- l’article 5 bis de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du service public de l’emploi qui soumet au code du travail quelque 45 000 agents d’un nouveau service public administratif, issu des Assédic et de l’ANPE.
L’article 5 bis a été introduit en 1991 dans le statut des fonctionnaires sous la contrainte du droit européen, parce qu’il n’était plus possible à la France d’interdire, de façon générale, l’accès des étrangers communautaires à sa fonction publique. Dans sa version modifiée par la loi du 26 juillet 2005, cet article ouvre librement l’accès des ressortissants des autres États membres à tous les emplois de l’administration française, sauf à ceux « dont les attributions, soit ne sont pas séparables de l’exercice de la souveraineté, soit comportent une participation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’État ou des autres collectivités publiques ».
Cette définition correspond à ce que l’on appelle aussi les « emplois de puissance publique ». Un avis du Conseil d’État du 31 janvier 2002 et divers décrets ont précisé le champ d’extension de ces emplois : ils seraient aujourd’hui près de 700 000, essentiellement dans les services chargés des missions régaliennes de l’État : défense, sécurité intérieure, justice, affaires étrangères, budget et finances, etc. Les gros bataillons de l’actuelle fonction publique (éducation, santé, collectivités locales notamment) ne sont donc pas constitués par des emplois de puissance publique.
Ce critère est clair : il identifie des fonctions réellement spécifiques par rapport à celles du secteur privé et qui justifient donc réellement un régime juridique spécial pour ceux qui les exercent ; il est déjà mis en œuvre de façon concrète. Pourquoi donc ne pas le retenir aussi pour tracer la limite entre les agents publics à statut (fonctionnaires ou contractuels de droit public) et les autres personnels du secteur public, qui seraient alors régis par le Code du travail ? Les auteurs du rapport Silicani ont écarté cette idée au motif qu’elle ne serait « manifestement pas envisageable », mais sans fournir aucune raison à cela.
Proposition de réforme
Article Unique
Les articles 2 et 3 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires sont ainsi rédigés :
« Art. 2 – La présente loi s’applique aux agents civils des administrations de l’État, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics y compris les établissements mentionnés à l’article 2 du titre IV du statut général des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, à l’exclusion des fonctionnaires des assemblées parlementaires et des magistrats de l’ordre judiciaire, qui ont vocation à occuper les emplois définis à la seconde phrase de l’article 5 bis, 1er alinéa.
Les autres agents sont régis par les dispositions du code du travail. »
« Art. 3 –Sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents de l’État, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics définis à la seconde phrase de l’article 5 bis, 1er alinéa sont, à l’exception de ceux réservés aux magistrats de l’ordre judiciaire et aux fonctionnaires des assemblées parlementaires, occupés soit par des fonctionnaires régis par le présent titre, soit par des fonctionnaires des assemblées parlementaires, des magistrats de l’ordre judiciaire ou des militaires dans les conditions prévues par leur statut. »
Agnès Verdier-Molinié
Source : Fondation IFRAP - 14 juin 2010
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