«La France reste le pays le plus centralisé d’Europe», expliquent Valérie Pécresse et Jean-François Vigier.

Tribune

La présidente de la région Île-de-France et le président du groupe de travail décentralisation au conseil régional, également président du groupe UDI au conseil régional, demandent à l’État d’accorder davantage de pouvoir aux collectivités locales, en s’inspirant de nos voisins européens. Ils plaident aussi pour que l’on prenne en compte les spécificités propres aux régions.

Figaro Vox - 23 août 2023 - Par Valérie Pecresse

Si les émeutes de juin ont suscité autant d’amertume et d’inquiétude chez les Français, c’est au fond parce qu’elles portaient en elles la marque d’une faillite, celle de l’État régalien, autant que celle de l’État-providence. Ce, alors même qu’il est devenu un Léviathan omnipotent, recordman des prélèvements obligatoires et de la dépense publique. Le gouvernement a découvert médusé que le «quoi qu’il en coûte» qui a cramé la caisse pendant six ans ne permettait pas d’étouffer un incendie et de garantir la paix sociale.

Ce qui résonne comme un paradoxe masque en réalité un lien causal: l’omnipotence de l’État est la cause même de son impuissance. L’État glouton perd en agilité au fur et à mesure qu’il grossit, et c’est parce qu’il entend se mêler de tout qu’il est de plus en plus inefficace. Nous n’en pouvons plus de voir l’État perdre pied dans les territoires alors qu’il se disperse dans l’accessoire, en étouffant par exemple les élus locaux par un contrôle a priori et a posteriori au moindre ravalement de façade dans une école primaire. Résultat: l’État assume de plus en plus mal les missions régaliennes qu’il est pourtant le seul à pouvoir assurer.

Alors que nos voisins allemands et espagnols ont confié aux collectivités locales un bloc de politiques publiques extrêmement vaste, qui comprend l’ensemble du système éducatif, économique et de soins, la France reste le pays le plus centralisé d’Europe. Les grandes lois de décentralisation seront bientôt des quinquagénaires sans héritières. La timorée loi 3DS du premier quinquennat Macron annoncée comme un acte III de la décentralisation a illustré au fond l’incapacité du président de la République à lâcher prise.

Quarante responsabilités nouvelles

De cette «grande loi», il n’en est guère ressorti grand-chose. Rien, sauf une disposition passée sous les radars, mais qui pourrait bien déclencher un grand vent de libertés locales. Celle qui crée un droit de saisine des Régions, qui leur permet de demander à l’État l’exercice de compétences nouvelles, ou la modification de dispositions législatives et réglementaires s’appliquant dans un territoire.

En Île-de-France, nous voulons être la première collectivité à exercer ce droit de saisine: le 20 septembre, en Conseil régional, une délibération demandera au gouvernement un bloc de quarante responsabilités nouvelles que nous souhaitons assumer en lieu et place de l’État, pour rendre nos services publics plus efficaces et moins coûteux.

"Nous avons la conviction que le sursaut républicain viendra d’un grand mouvement de libertés locales et de responsabilisation de la société"

La régionalisation de Pôle emploi et des aides aux PME en font évidemment partie: l’accompagnement des demandeurs d’emploi serait plus pertinent et adapté s’il était géré par une Région qui dispose déjà de la compétence formation professionnelle, orientation et développement économique. Face à l’incapacité de l’État à recruter des enseignants et à remettre sur pied l’Éducation nationale, nous demandons une véritable gouvernance partagée du système éducatif, comme en Allemagne: la gestion totale des lycées professionnels ; et la création d’écoles primaires régionales sous contrat avec l’État et de lycées régionaux autonomes dans les quartiers prioritaires de la ville, avec une liberté et une autonomie assumée dans le recrutement des enseignants et le projet pédagogique.

Le transfert des routes nationales et des autoroutes à Île-de-France Mobilités est aussi devenu une évidence pour créer davantage de synergies avec les transports en commun. Confier à la Région la présidence de l’AP-HP, qui gère les hôpitaux franciliens, et de l’agence régionale de santé serait un premier pas vers la régionalisation complète de notre système de soins, pour mieux lutter contre désertification médicale.

Rompre avec l’uniformité de la norme

Au-delà de ce bloc de compétences nouvelles, nos 40 propositions engagent aussi un deuxième choc de décentralisation: nous allons demander à l’État de modifier la loi pour l’adapter à nos spécificités. Nous devons rompre avec le culte séculaire de l’uniformité de la norme franco-française. À situations différentes, traitements différents: l’application de règles similaires partout en France creuse les inégalités et affaiblit les territoires. Il est indigne que des travailleurs essentiels de la Région capitale n’aient pas les moyens de s’y loger: nous demandons à ce titre la fin du smic national et la fixation d’un smic francilien par la Région, qui sera adapté au coût de la vie très élevé en Île-de-France. Même raisonnement pour l’assurance-chômage: comment comprendre un taux de chômage encore élevé dans la Région capitale alors que tant de postes sont à pourvoir?

Nous demandons l’expérimentation d’une régionalisation de la gouvernance des règles de l’assurance-chômage. Idem pour la rénovation énergétique des logements: la réglementation du diagnostic de performance énergétique n’a pas vocation à être uniforme sur le territoire national, ce qui implique également de transférer les moyens de l’Agence nationale de l’habitat avec MaPrimeRénov’ pour nous laisser dans la Région la plus dense de France accélérer la rénovation des passoires thermiques. La réglementation des taxis et des chauffeurs VTC doit également échoir à Île-de-France Mobilités, dans une logique de pilotage global des transports comme à Londres. La liberté de créer une véritable police régionale des transports francilienne doit aussi entrer en vigueur.

Ce que nous allons demander à l’État, c’est donc d’initier un choc de décentralisation dans lequel le gouvernement accepte de lâcher prise, prenant exemple sur ses grands voisins fédéraux européens, et recentrant son action sur le régalien. Nous avons la conviction que le sursaut républicain viendra d’un grand mouvement de libertés locales et de responsabilisation de la société.

Notre démarche n’est pas un acte de défiance à l’égard du gouvernement: c’est une main tendue pour initier en partenariat un choc de décentralisation puissant. L’État incapable de se réformer de l’intérieur laisserait les territoires agir en proximité pour apporter des réponses spécifiques, innovantes et différenciées aux réalités vécues de leurs citoyens, libérant les Français d’une bureaucratie qui les inhibe et les étouffe. Toutes les révolutions françaises ont commencé en Île-de-France: nous proposons au gouvernement de lancer la révolution girondine depuis l’Île-de-France.