
Défense
La filière est appelée à produire plus et plus vite, pour renforcer les moyens des armées et soutenir l’Ukraine, agressée par la Russie.
Le Figaro - 3 septembre 2025 - Par Véronique Guillermard
Six mois après le grand rendez-vous organisé, le 20 mars, par les ministères de l’Économie et des Armées sur le financement de la défense, le monde de la finance se mobilise pour soutenir la base industrielle et technologique de défense (BITD), forte de 4500 petites et moyennes entreprises (PME et ETI) travaillant pour les grands groupes. La filière étant appelée à produire plus et plus vite, pour renforcer les moyens des armées et soutenir l’Ukraine, agressée par la Russie.
De nouveaux produits financiers sont lancés, en particulier à destination des épargnants individuels. Parmi les initiatives récentes, celle du gérant d’actifs Sienna Investment Managers (IM), qui a créé en septembre deux fonds défense : le premier, baptisé Héphaïstos, est réservé aux investisseurs institutionnels ; le second, Sienna dette privée Défense Europe, est destiné aux particuliers. Une première en France.
Agréé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) début septembre, Sienna Dette privée défense Europe est commercialisé, depuis la semaine dernière, par Meilleurtaux.com, sous forme d’unités de compte dans ses contrats d’assurance-vie. Le site ayant l’exclusivité en ligne jusqu’à la fin 2025. À partir de mi-octobre, le réseau France Mutualiste, puis, courant novembre, la Société générale et le Crédit Agricole, commercialiseront aussi ces unités de compte, via leurs produits d’assurance-vie et d’épargne retraite (PER). Sienna IM a pour objectif de lever 500 à 1 milliard d’euros, via le fonds Hephaïstos, et entre 100 et 150 millions, via le fonds retail.
Des unités de compte «kaki» dans l’assurance-vie et les PER
À peine lancés, les deux fonds avaient déjà collecté 270 millions fin septembre. « C’est un succès qui démontre que les épargnants sont prêts à soutenir cette industrie stratégique, qui est duale (civile et militaire, NDLR) et dont les fondamentaux – hausse des budgets de défense en France et en Europe ; forte visibilité avec des carnets de commandes fermes représentant plus de dix ans d’activité - sont solides », estime Xavier Collot, directeur général « Actifs cotés et hybrides » chez Sienna IM.
L’objectif est de financer un spectre très large de besoins
Xavier Collot, directeur général « Actifs cotés et hybrides » chez Sienna IM
L’argent collecté sera investi directement dans les entreprises, sous forme de prêt. « L’objectif est de financer un spectre très large de besoins : le fonds de roulement (BFR), la formation de nouvelles recrues, l’investissement dans de nouvelles machines, dans la R&D et l’innovation », détaille Xavier Collot. L’argent irriguera l’économie locale, en « drainant l’épargne, partout en France, les PME et ETI de la défense étant installées dans tous les territoires ». Sienna IM prévoit également de lancer un autre fonds, cette fois d’épargne salariale, dédié à la souveraineté.
De son côté, Tikehau Capital a décidé d’amplifier sa stratégie en faveur des industries de souveraineté, à travers toute la chaîne de valeur. Le groupe de gestion d’actifs alternatifs a lancé Tikehau Défense et Sécurité (TDS), proposés aux particuliers, également sous forme d’unités de compte dans des contrats d’assurance-vie et des PER. Celles-ci sont commercialisées depuis septembre par la Société générale Assurances, CNP Assurances et le groupe CARAC. Ces derniers en ont l’exclusivité pendant un an. Puis le produit sera distribué par d’autres assureurs, banques et réseaux mutualistes. « TDS vise une collecte de 500 à 800 millions à terme et offre un rendement net de 9 à 10% », précise Henri Marcoux, directeur général adjoint de Tikehau Capital.
L’argent collecté alimentera les fonds Aerofund 2 (successeur d’Aerofund 1, créé en 2019 pour aider les PME aéronautiques fragilisées par la crise sanitaire) et Cyber Brienne 4. Ces derniers injectant des capitaux frais dans les entreprises, via des prises de participation. Objectif ? Renforcer les fonds propres, apporter des ressources pour investir en production et R&D, développer les ventes, recruter et, dans certains cas, mener des opérations de consolidation.
Une réponse aux délais de paiement trop longs
Tikehau a, par exemple, participé à la création de WeAre, né de la fusion de cinq PME familiales (90 millions de ventes cumulées), spécialisées dans la mécanique de précision. Puis à son rapprochement, en 2022, avec Mecachrome, spécialiste de l’usinage de haute précision. Codétenu par Tikehau Capital (64%) et Bpifrance (36%), le nouvel ensemble a donné naissance à groupe solide « multitechnologies », qui a réalisé plus de 600 millions de ventes en 2024, avec 5000 salariés. « Nous n’avons pas attendu le 20 mars dernier ! insiste Henri Marcoux. Le virage stratégique vers les industries de souveraineté – aéronautique, défense, cyber et numérique – a été pris dès 2019. Nous sommes actionnaires de plus de 30 PME et ETI, toutes ayant partiellement une exposition défense et employant plus de 25 000 salariés en France. Ce qui représente 2,3 milliards d’actifs sous gestion, dont 35% dans la défense. »
D’autres initiatives récentes visent à soutenir la filière. Ainsi, mi-septembre, Bpifrance a noué un partenariat avec Crédit mutuel Arkea afin de lancer «Advance Defense+ », qui mobilise une enveloppe de 500 millions, financée à 50/50. Il s’agit de répondre au lancinant problème des délais de paiement, jugés trop longs par de nombreux sous-traitants. Le dispositif offre aux donneurs d’ordre « la possibilité de régler leurs fournisseurs par anticipation, avant la date d’échéance contractuelle de la facture, grâce à un crédit de trésorerie dédié », explique Bpifrance. Les maîtres d’œuvre ayant ainsi la possibilité de « différer le paiement des factures pour préserver les liquidités, tout en assurant à leurs sous-traitants un paiement à l’échéance ». Ainsi, les PME disposent de trésorerie pour financer leur BFR et les hausses de cadence de production.
Autre mouvement inédit, l’octroi par la Banque européenne d’investissement (BEI) d’un prêt de 450 millions à Thales, destiné à financer un programme de R&D dans l’aéronautique et les radars militaires. Le groupe français est devenu le premier acteur de la défense à bénéficier de la nouvelle politique de la BEI, désormais autorisée à financer cette industrie de souveraineté. En France, comme en Europe, les lignes ont bougé. « Il y a un vrai changement de la part de la finance, longtemps tétanisée par les critères ESG (environnement, social et gouvernance, NDLR). Les banques sont plus détendues sur la défense », relève un industriel de l’armement. Mais « il reste encore beaucoup à faire pour convaincre que, sans défense, pas de paix, pas de sécurité, pas de croissance économique et encore moins de durabilité… »
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