Finances publiques
Menacé à son poste de Premier ministre, Michel Barnier a indiqué mardi qu’une censure ne ferait qu’empirer la situation économique de la France, et a même évoqué une « tempête » à venir. Menace en l’air ou réelle inquiétude ?
20 Minutes - 29 novembre 2024 - Par Jean-Loup Delmas
Malgré quelques concessions ces dernières heures, Michel Barnier est plus que jamais sur un siège éjectable avec les menaces de censure du Rassemblement national et de la gauche. Il a pourtant dégainé un nouvel argument, mardi, pour rester Premier ministre en 2025. S’il quitte Matignon, ce ne sera rien d’autre que l’apocalypse pour les comptes publics, déjà pas au mieux avec un déficit de 6 %. Au programme selon Michel « Cassandre » Barnier : « Une tempête probablement assez grave et des turbulences graves sur les marchés financiers » en cas de censure, prédit-il.
« Nous empruntons déjà très haut nos taux d’intérêt. Ils sont actuellement presque au niveau de la Grèce », avait-il ajouté mardi au journal de TF1. Une prophétie autoréalisatrice, puisque dès le lendemain, la France empruntait effectivement à des taux plus importants qu’Athènes. Faut-il pour autant croire cet oiseau de mauvais augure quand il nous annonce une pluie de grenouilles sur notre économie et l’eau de la Seine transformée en sang ?
Un enchaînement de mauvaises nouvelles
Pour les sept plaies d’Egypte, on a quand même un doute. Mais « la menace sur l’économie française est bien réelle, et il ne faut pas la sous-estimer », avertit Stéphanie Villers, macro-économiste. Même analyse chez Anne Sophie Alsif, cheffe économique au Bureau d’informations et de prévisions économiques (BIPE). Elle décrit des taux déjà catastrophiques : « Il y a un écart de 82 points avec l’Allemagne, contre une tendance historique à 40 points seulement. Ce sont déjà des taux d’emprunts extrêmement hauts, plus hauts même que l’Espagne ou le Portugal », deux pays pourtant connus pour leur gestion très latino olé olé des finances publiques. Si la tempête annoncée n’est donc pas encore tout à fait là, de belles bourrasques à 110 km/h se font déjà sentir.
Quant aux marchés, « ils prédisent une situation politique instable à long terme », poursuit Anne-Sophie Alsif. La charge de la dette - l’argent public utilisé uniquement pour rembourser les intérêts des précédentes dettes, qui ne sert donc à aucun service public ou aide - risque de fortement augmenter. Elle est aujourd’hui à 50 milliards, et pourrait passer à « 70, voire 80 milliards ». Ce qui, vous vous en doutez, ne serait pas du tout une bonne nouvelle. « Déjà qu’on n’arrive pas à faire 20 milliards d’économies, alors devoir en faire 30 de plus… », se désespère l’experte.
Histoire d’enfoncer le clou, l’Allemagne est en récession « et a annoncé qu’elle allait emprunter plus », appuie Stéphanie Villers. « Or, c’est un pays considéré comme ayant des actifs non risqués, et que les marchés vont largement préférer. »
Est-ce qu’on peut faire pire ? Oui, on peut !
Mais si la situation est déjà à ce point catastrophique, une censure de Barnier en plus ou en moins, ça empirerait vraiment les choses ? Et bien oui, clairement ! Anne Sophie Alsif pour la suite des mauvaises nouvelles : « La question n’est pas tant de la censure de Michel Barnier, les marchés sont assez indifférents à son cas personnel. Le problème, c’est que son remplaçant est bien incertain - de gauche, de droite, centriste, du Rassemblement national ? - et donc les mesures budgétaires à venir aussi. » Et ça, les marchés n’aiment pas du tout.
Stéphanie Villers illustre : « Lorsque vous faites un prêt à la banque, vous devez justifier d’un projet derrière, par exemple l’achat d’un logement. Ici, la France devrait emprunter sans justifier d’un budget derrière, et espérer que les marchés lui donnent de l’argent à l’aveuglette. C’est osé… » D’autant qu’avec un gouvernement jeté par-dessus bord, le budget 2024 serait reconduit faute d’en avoir validé un nouveau. Un budget qui a fait preuve de toute son inefficacité, causant en partie le dérapage public actuel.
Des mauvaises nouvelles, d’accord, mais à quel point ?
Alors, ça y est, des boules de feu vont tomber sur Bercy ? « Il n’y aura pas de banqueroute », calme Jacques Le Cacheux, professeur d’économie à l’université de Pau. « On a vu des taux d’emprunts encore pires en 2012 et ce n’était pas l’apocalypse. La dette française reste l’une des mieux notées au monde, et si elle est certes très importante, d’autres pays en ont une plus conséquente », comme l’Italie. Autre moyen de se rassurer, l’Union européenne. « La Banque centrale est beaucoup plus interventionniste et ne laissera pas tomber sa deuxième économie ». Une leçon durement apprise en 2012, on y revient toujours, lorsque la BCE avait traîné des pieds avant d’enfin rassurer les marchés. Mais attention : « la France joue sans cesse avec le feu et il faut arrêter de se penser intouchable », prévient Stéphanie Villers.
Quant aux taux qui sont désormais au-dessus de la Grèce, « on parle de la Grèce actuelle et non de la situation à l’époque », rappelle Jacques Le Cacheux. « C’est un symbole qui doit faire réagir, mais dépasser la Grece ne veut rien dire en soi », poursuit Anne Sophie Alsif.
Reste que sans signifier la mort de tous les premiers nés du pays, la censure du gouvernement serait un mauvais scénario pour le consommateur lambda. « Qu’on soit clairs : il n’y aura pas davantage de pouvoir d’achat ou de services publics en cas de crise financière », explique Anne Sophie Alsif. « Les impôts risquent d’augmenter fortement, et les taux d’intérêt pour les particuliers suivront ceux de la France », complète Stéphanie Villers. Pas l’apocalypse, mais pas le paradis.
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