Donald Trump a chargé le patron de Tesla de réduire les coûts dans l'administration fédérale. (Evan Vucci/Ap/SIPA)

Entreprises

En 2018, Elon Musk a décrété « l'enfer productif » et campé dans deux usines de Tesla pour revoir les processus, boulon par boulon. Toutes ses entreprises subissent des phases de mise sous tension radicale.

Les Echos - 14 novembre 2024 - Par Solveig Godeluck

« Bienvenue ! Bienvenue ! Bienvenue dans l'enfer productif ! C'est là que nous allons rester pendant au moins six mois. » En juillet 2017, Elon Musk, parcouru de « pouffements maniaques », selon son biographe Walter Isaacson, a tenu un drôle de discours face à 200 employés et fans de Tesla. Ils étaient venus se réjouir avec lui du lancement de la production du Model 3. Mais lui, conscient de l'énormité de la tâche à accomplir, a annoncé la mise sous tension du constructeur automobile. Sans délais, sans états d'âme.

C'est ainsi qu'Elon Musk a pris l'habitude de réduire les coûts dans ses entreprises, de SpaceX à Tesla en passant par X : il débarque comme une tempête et retourne tout. Il y a de la casse à l'arrivée. Mais l'entrepreneur milliardaire est aussi réputé pour fabriquer les navettes spatiales et les voitures plus efficacement que ses rivaux, en réduisant les coûts dès la conception. Une philosophie qu'il ne manquera pas de chercher à appliquer en tant que super-consultant de la future administration Trump.

Elon Musk ne sera pas membre du gouvernement, mais il va prendre la tête d'un « département à l'Efficacité gouvernementale » taillé à sa mesure, en cogestion avec l'entrepreneur Vivek Ramaswamy. Il pourra donc transmettre ses recommandations à l'Office de gestion budgétaire et au Budget. Il sera loin d'avoir la latitude d'action permise dans ses entreprises, mais son souci obsessionnel du détail et son mépris du bien-être des équipes donnent une idée de la méthode Musk, et de l'électrochoc qu'il cherche à produire.

Une centaine de microdécisions par jour

Dans son livre (Fayard, 2023), Walter Isaacson raconte la réalité de « l'enfer productif » dans la giga-usine de batteries de Reno au Nevada, puis dans l'usine d'assemblage de Fremont en Californie. A chaque fois, Musk a élu domicile sur place, dormant au motel du coin, voire sous son bureau ou sur le toit de l'usine. Un engagement 7 jours sur 7, avec quelques heures de sommeil par nuit, des employés privés de congé pour Thanksgiving…

Pour mettre sous tension l'usine de Reno, il a rameuté un commando de fidèles : Antonio Gracias, un administrateur de Tesla spécialiste de l'optimisation des processus industriels ; Mark Juncosa, un ingénieur de SpaceX ; Steve Davis, le patron de The Boring Company… Les sceptiques, les mous et les malchanceux qui étaient là au mauvais moment ont été virés sans ménagement.

Dans l'usine Tesla de Fremont Tesla, en Californie, Elon Musk a multiplié les microdécisions : une centaine par jour, dont 20 % de mauvais choix, a-t-il estimé auprès de Walter Isaacson. Elles ont eu en fin de compte un impact énorme.
Dans l'usine Tesla de Fremont Tesla, en Californie, Elon Musk a multiplié les microdécisions : une centaine par jour, dont 20 % de mauvais choix, a-t-il estimé auprès de Walter Isaacson. Elles ont eu en fin de compte un impact énorme.Jeff Chiu/AP/SIPA

Dans l'usine Tesla de Fremont Tesla, en Californie, Elon Musk a multiplié les microdécisions : une centaine par jour, dont 20 % de mauvais choix, a-t-il estimé auprès de Walter Isaacson. Elles ont eu en fin de compte un impact énorme.Jeff Chiu/AP/SIPA

Elon Musk savait qu'il fallait doubler la cadence pour produire 5.000 Tesla par semaine, ou périr. Les vendeurs à découvert pariaient sur l'échec de Tesla, qui était à l'époque incapable de couvrir ses coûts et avait besoin d'un miracle productif pour y parvenir. Dans l'usine de Fremont, Elon Musk a gardé les yeux rivés sur l'écran affichant les flux du circuit de production. Dès qu'une station passait au rouge, signe d'un ralentissement, il s'y rendait pour trouver une solution. Il a multiplié les microdécisions : une centaine par jour, dont 20 % de mauvais choix, a-t-il estimé auprès de Walter Isaacson. Elles ont eu en fin de compte un impact énorme.

Dérobotiser pour mieux optimiser

Si visser quatre boulons prenait trop de temps, alors il fallait en mettre deux. La pièce en question a été renvoyée aux ingénieurs pour qu'ils en révisent le design. Il a aussi découvert qu'un robot visseur était réglé sur 20 % de sa vitesse maximale et qu'il était programmé pour visser deux fois en arrière avant de visser en avant - des contraintes qu'il a supprimées en réécrivant vite fait le code.

Puis il a fait ôter des capteurs de sécurité qui arrêtaient la chaîne de production en cas de danger, et qui étaient trop sensibles à son goût. Le taux d'accidents chez Tesla, où les syndicats ne sont pas les bienvenus, est supérieur de 30 % à la moyenne de l'industrie.

Il a aussi enlevé des robots dans ses usines. Cela peut surprendre, venant d'un adepte de l'automatisation et du créateur d'une entreprise qui fabrique des robots, Optimus. Mais Elon Musk estime qu'il faut d'abord remettre en question l'intégralité du processus productif. C'est ce qu'il appelle son « algorithme » en cinq étapes, à suivre pas à pas : remettre en question toutes les instructions et spécifications ; enlever un maximum de composants et de procédures ; simplifier ce qui reste ; accélérer chaque procédure ; automatiser. Appliquée au gouvernement, la première étape devrait déjà faire couler pas mal d'encre.

Solveig Godeluck (Bureau de New York)