Le gouvernement entend faire des économies et lutter contre l’absentéisme dans la fonction publique en augmentant le nombre de jours de carence des fonctionnaires. Photo d’illustration Sipa/Mourad Allili

Dépenses publiques

Les annonces du gouvernement sur les jours de carence et la fin de l’indemnisation à 100 % sont justifiées mais… très risquées.

Le Point - 28 octobre 2024 - Par Sophie Coignard

"Épargner les milliardaires, taper sur les fonctionnaires"  (Ian Brossat, sénateur communiste de Paris) ; « fonctionnaire bashing » (Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU)… Et ce n'est qu'un début !

À peine le ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, avait-il annoncé ce dimanche le passage d'un à trois jours de carence pour les arrêts maladie des fonctionnaires et l'indemnisation de ceux-ci à hauteur de 90 et non plus 100 % que les manifestations d'indignation commençaient à pleuvoir.

Il s'agit pourtant d'aligner la situation des fonctionnaires sur celle des salariés du secteur privé. Rien de terriblement discriminant a priori. Surtout lorsqu'on prend connaissance des chiffres, énoncés par le ministre dans Le Figaro. En dix ans, le nombre de jours d'absence est passé de 43 millions à 77 millions, soit une hausse de 80 %. L'écart s'est creusé entre la fonction publique et le secteur privé, puisque, aujourd'hui, les fonctionnaires sont absents en moyenne 14,5 jours par an contre 11,6 jours pour les salariés du privé. Cet absentéisme a coûté 15 milliards d'euros à l'État en 2022. »

Ces données sont tirées d'un rapport sur la « revue des dépenses » publié en juillet dernier par les inspections des finances et des affaires sociales. Un document qui préconise comme « leviers d'économies budgétaires » l'instauration de ces deux jours supplémentaires de carence, pour 289 millions d'euros, et une indemnisation à hauteur de 90 et non 100 % du traitement, pour 900 millions d'euros. Soit au total près de 1,2 milliard de dépenses en moins, comme le prévoit le gouvernement.

Zones d'ombre

Toutefois, ce tableau apparemment rationnel comporte plusieurs zones d'ombre. Tout d'abord, l'exécutif présente cette double mesure comme une « réforme structurelle », ce qui est discutable. On peut aussi la considérer comme un coup de rabot de plus. D'autant que le jour de carence dans la fonction publique est un objet politique intermittent : instauré par Nicolas Sarkozy en 2012, il a été supprimé par François Hollande en 2014 et réintroduit par Emmanuel Macron en 2018.

Non sans un certain succès, selon une récente étude de l'Insee sur l'évolution des arrêts maladie du personnel de l'Éducation nationale. Celle-ci indique qu' « en raison de l'introduction du jour de carence dans la fonction publique, le nombre d'épisodes de CMO (congés pour maladie ordinaire) est inférieur de 23 % » à ce qu'il aurait été en l'absence de réforme dans ce ministère. Mais cette étude pointe aussi que « l'application du jour de carence est susceptible d'encourager les personnes malades à poursuivre leur activité professionnelle situation (qui) peut entraîner « une détérioration de l'état de santé » et « une hausse des dépenses publiques associées ».

Ensuite, le passage d'un à trois jours de carence représente une forte transgression, qui ne trouve pas sa légitimité dans un engagement électoral ou une évidence majoritaire : Nicolas Sarkozy, en 2012, ou Emmanuel Macron, au début de son premier mandat, en disposaient, ce qui n'est pas, euphémisme, le cas de Michel Barnier.

Enfin, les adversaires de cette mesure, et de la baisse de l'indemnisation de 100 à 90 %, en premier lieu les syndicats, ne manqueront pas de souligner qu'une telle mesure touche en premier lieu les classes moyennes, que le Premier ministre avait assuré vouloir épargner dans ses arbitrages budgétaires. S'ils parviennent à mobiliser leurs troupes, ces jours de carence pourraient se révéler très inflammables.