Économie
Cette mesure phare de Nouveau Front populaire, qui figure parmi ses priorités, fait largement débat. Pénuries, effet d'aubaine… Ses potentiels effets néfastes à long terme sont pointés du doigt.
Le Figaro - 8 juillet 2024 -
Peu après l’annonce des résultats provisoires du second tour des élections législatives dimanche à 20h, donnant au Nouveau Front populaire (NFP) une majorité relative de députés dans la future Assemblée, Jean-Luc Mélenchon a rappelé, depuis le QG de La France insoumise (LFI), les priorités du programme de la gauche unie. Parmi elles figure en bonne place «le blocage des prix» qui, à côté de «l'abrogation de la retraite à 64 ans» ou de «l'augmentation du Smic», constituent des mesures qui, «dès cet été, [...] peuvent être prises par décret sans vote», a estimé le leader des Insoumis.
«Bloquer les prix des biens de première nécessité dans l'alimentation, l'énergie et les carburants par décret» arrive en effet en première position des mesures d’urgence réclamées par le NFP dans son programme. Une proposition qui rappelle forcément quelque chose. Elle figurait déjà dans le programme de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), l’alliance de gauche créée pour les législatives 2022, sous l’appellation «Bloquer immédiatement les prix des produits de première nécessité (essence, alimentation, énergie)». Pourtant, cette mesure, si elle doit effectivement protéger le pouvoir d'achat des ménages à court terme, est loin de faire l’unanimité parmi les économistes. Ses potentiels effets néfastes à long terme étant pointés du doigt.
La principale critique porte sur le risque de pénuries que porte en elle cette mesure. «L'État peut interdire à une entreprise d'augmenter ses prix, mais il ne peut pas l'obliger de travailler à perte, ce qui impliquerait une baisse de production et donc des pénuries», alerte ainsi le cabinet de conseil économique Asterès, d'obédience libérale. L’Institut Montaigne, un think tank lui aussi libéral, fait la même démonstration, sur le volet énergie : «Les producteurs nationaux pourraient réduire leur production afin de réduire leurs pertes», quand «les producteurs étrangers pourraient réorienter leur offre vers d'autres pays, de même pour les distributeurs ayant un réseau international», écrit-il. Il en serait de même pour l’alimentation, juge Éric Dor, directeur des études économiques à l’IÉSEG School of Management : «Les gros distributeurs type Carrefour ou Auchan possèdent des implantations dans les pays voisins. Plutôt que de vendre leurs stocks à prix contraints en France, ils pourraient décider de les écouler là-bas», développe l’économiste, qui pointe également un potentiel mécanisme d’évitement de ce blocage, via «des hausses reportées sur d’autres produits aux tarifs non bloqués».
Une compensation coûteuse de l’État nécessaire ?
L’organisation altermondialiste Attac, pourtant classée à gauche et soutien du NFP, alerte elle aussi sur ce risque de détraquage de l’équilibre économique : «À long terme, un tel contrôle pourrait mener à des pénuries», estime-t-elle, jugeant qu’il «doit être accompagné d'une politique de réserve et de précaution». «Nous referons une politique de stocks, ainsi qu’une politique de régulation des prix agricoles, via des prix planchers et rémunérateurs aux agriculteurs qui permettront de soutenir la production agricole. Tout cela va permettre d’éviter les pénuries alimentaires», répond l’Insoumise Aurélie Trouvé, réélue députée de Seine-Saint-Denis à l'occasion des législatives.
Bloquer les prix contraindra simplement les entreprises à faire des marges plus raisonnables
La France Insoumise (LFI)
Pour éviter l’écueil des pénuries, l’État pourrait être forcé de compenser les pertes des industriels engendrées par le blocage des prix. Comme ce qu’avait fait le gouvernement avec le «bouclier tarifaire» sur l’énergie. Mais dans ce cas, la facture risque d’être salée. Les dispositifs d’aide aux consommateurs sur l’électricité, le gaz et les carburants mis en place entre 2021 et 2024 ont en effet coûté près de 36 milliards d'euros nets aux finances publiques, a chiffré la Cour des comptes en mars dernier. S’agissant du blocage des prix des biens de première nécessité proposé par le NFP, il coûterait près de 20 milliards d'euros aux caisses de l'État, affirme-t-on au cabinet du futur ex-ministre de l’Économie Bruno Le Maire. L’Institut Montaigne estime lui son coût à 24 milliards d’euros par an. Dans ce cas, «un blocage des prix financé par l'État reviendrait à faire payer au contribuable ce qu'aurait gagné le consommateur», note Asterès.
Mais «nous n’avons pas l’intention de compenser la baisse des superprofits , qui par ailleurs seront taxés», répond la députée LFI-NFP Aurélie Trouvé, qui soutient que cette mesure sera neutre pour les finances publiques. Le bloc de gauche affirme que ce blocage des prix pèsera uniquement sur les entreprises. «Bloquer les prix contraindra simplement les entreprises à faire des marges plus raisonnables», précise LFI sur son site, les Insoumis n’hésitant pas à citer une étude du FMI de juin 2023, qui indique que les profits ont contribué à 45% de l'inflation entre 2022 et 2023 en Europe.
Effet d’aubaine
«Dans une économie de marché, ça ne peut pas fonctionner, considère l’économiste Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Si vous bloquez les prix et que les coûts de production augmentent, un problème de rentabilité se posera forcément pour les entreprises, car elles ne pourront pas absorber cette hausse avec des prix fixés. D’où l’obligation de compensation.» Aurélie Trouvé défend, elle, le programme du NFP comme «un programme global», dont d’autres pans doivent permettre d’éviter ces risques : «Nous ne voulons pas mener uniquement une politique de demande, mais aussi une politique de l’offre, avec des aides aux entreprises conditionnées au maintien sur le sol français, ou encore un pôle public bancaire qui agirait sur les financements des entreprises, avec la possibilité que l’État participe au capital.»
Un effet d’aubaine du blocage des prix souvent cité serait qu’il profiterait à tous les Français, sans distinction de revenus. Et même davantage aux plus riches, si l’on en croit un calcul du cabinet Asterès, réalisé en 2022 et basé sur l'hypothèse d'un blocage des prix de l'énergie et d'un panier de biens de consommation courante (céréales, lait, œufs...). Si le gain moyen de pouvoir d’achat annuel s’élèverait à 631 euros par ménage, il serait deux fois plus élevé pour les 10% les plus riches (821 euros) que pour les 10% les plus modestes (368 euros). Pour Mathieu Plane, de l’OFCE, le risque d’une mesure «anti-redistributive» est plus prégnant s’agissant des carburants ; les plus riches étant ceux qui en consomment le plus, et donc ceux qui profiteraient le plus d’un blocage des prix à la pompe. «Les classes populaires sont les catégories pour lesquelles la part de produits de base dans leurs dépenses totales est la plus importante», défend Aurélie Trouvé. Éric Dor, de l’l'IÉSEG, juge préférables «des aides au revenu, ciblées sur les personnes qui en ont vraiment besoin».
De potentiels obstacles juridiques
L’efficacité même d’un blocage des prix est questionnée par certains économistes. «À quel niveau seront fixés les prix ? Si vous les mettez au niveau actuel, cela ne changera pas grand-chose, car les prix augmentent de façon modérée, voire dans certains cas ils baissent même», observe l’économiste. Le cabinet Asterès va plus loin, estimant qu’«un blocage des prix alimentaires reviendrait, en réalité, à empêcher certaines baisses, à l'inverse de l'objectif affiché de soutien au pouvoir d'achat». Du côté du NFP, les modalités pratiques de ce blocage n’ont pas encore été définies. Quoi qu’il en soit, Aurélie Trouvé défend un dispositif pour le futur, qui permettra de fixer «un plafond en cas de prochaine flambée des prix».
Si vous bloquez les prix et que les coûts de production augmentent, un problème de rentabilité se posera forcément pour les entreprises, car elles ne pourront pas absorber cette hausse avec des prix fixés
Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision à l'OFCE
Au-delà de ses effets économiques, serait-il vraiment faisable juridiquement de bloquer les prix de l’énergie, des carburants et tout un panier de biens de consommation courante ? Oui, mais il faudrait probablement modifier la loi actuelle. Car si l’article L410-2 du Code du commerce ouvre la porte à une réglementation des prix, l’État ne peut intervenir qu’en cas de «situation de crise, circonstances exceptionnelles, calamité publique ou situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé», et ce au maximum pour six mois. Ce que le gouvernement avait fait pendant la crise du Covid avec les prix des masques et du gel hydroalcoolique. Mais une telle loi «pourrait se heurter aux traités relatifs à l'Union européenne», estime l’Institut Montaigne, au motif qu’elle risquerait de pénaliser les importations de produits européens vers la France.
Il y a également une autre manière de voir cette mesure phare du programme du NFP, en mettant de côté toutes les considérations juridiques et économiques. Alors que le pouvoir d’achat reste la préoccupation numéro un des Français, «un blocage des prix peut contribuer à créer un environnement plus sécurisant pour les personnes», indique au Monde Sandra Hoibian, directrice générale du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc). C'est symbolique, mais cela peut vouloir dire : on vous entend, on sait que le quotidien est compliqué. Cela répond à une attente sociale».
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