Économie
Le CAC 40 a repris lundi 1,1 %. Les scénarios les plus redoutés par les investisseurs - une majorité absolue par le Nouveau Front populaire ou le RN - semblent écartés.
Le Figaro - 01 juillet 2024 - Par Danièle Guinot et Hervé Rousseau
Un soulagement. Après un mois de juin calamiteux dans le sillage de la dissolution, la Bourse de Paris a retrouvé quelques couleurs au lendemain du premier tour des élections législatives. Le CAC 40 a débuté la séance en nette hausse, lundi, gagnant plus de 2,5 % dans les premiers échanges. Une fois l’euphorie retombée, l’indice phare a terminé la séance sur un gain de 1,09 %, à 7 561,13 points.
omme prévu, le Rassemblement national (RN) est arrivé en tête à l’issue du premier tour. Le score du camp mené par Jordan Bardella est toutefois ressorti légèrement inférieur aux prévisions des derniers sondages, réduisant ainsi ses chances d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Cela a rassuré en partie les marchés, qui ont aussi apprécié les résultats en demi-teinte du Nouveau Front populaire.
À l’issue de ce premier tour, « l’hypothèse d’une majorité absolue du Nouveau Front populaire semble totalement écartée. Et elle paraît plus difficile à atteindre pour le RN », explique Alexandre Baradez, stratégiste chez IG. « Les mesures les plus radicales envisagées et redoutées par les investisseurs ont désormais peu de chances de se concrétiser, ce qui est également de nature à apaiser les tensions des dernières semaines », ajoute Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM.
Éclaircie sur le marché obligataire
La pression est également légèrement retombée sur le marché obligataire. L’écart (spread) entre le taux de la dette souveraine française (OAT) à 10 ans et celui de l’emprunt d’État allemand, qui donne une idée de l’inquiétude des investisseurs vis-à-vis de la dette publique de la France, s’est quelque peu réduit : il est retombé lundi à 74 points de base, après avoir franchi les 85 points de base vendredi, ce qui ne s’était plus vu depuis 2012. « Les marchés parient aujourd’hui sur un Parlement divisé à l’issue du deuxième tour des élections, ce qui à leurs yeux réduirait les risques de dérapage budgétaire, décrypte Kevin Thozet, membre du comité d’investissement chez Carmignac. Un tel scénario limiterait sûrement le potentiel de croissance de la France et empêcherait de mettre en place des réformes. Mais les investisseurs le voient comme un moindre mal pour les finances publiques. »
La dette souveraine française devrait rester sous pression jusqu'à l'issue du deuxième tour et au-delà
Matthieu de Clermont, directeur de portefeuille obligataire Senior
D’autres hypothèses sont avancées. « Les investisseurs jouent un scénario à l’italienne », avance Emmanuel Cau, analyste chez Barclays. Selon eux, si le RN obtient une majorité relative, il aura peu de marges de manœuvre budgétaires et sera contraint de renoncer à ses mesures les plus onéreuses. Un peu comme l’a fait Giorgia Meloni en Italie. » Sur le marché des changes, l’euro a également profité lundi de la tendance et repris un peu de couleurs face au dollar (+ 0,39 %, à 1,0755 dollar pour 1 euro).
Mais cette embellie est très fragile. « La dette souveraine française devrait rester sous pression jusqu’à l’issue du deuxième tour et au-delà, estime Matthieu de Clermont, directeur de portefeuille obligataire Senior chez Allianz Global Investors (GI). La dynamique est négative. À moyen terme, il y a peu de chances que l’écart de taux entre la dette allemande et la française se réduise massivement. Il devrait donc rester plus important qu’avant la dissolution. » D’autant qu’en octobre les agences de notation Fitch et Moody’s vont actualiser leur notation de la dette française. Et elles pourraient la dégrader, comme S&P l’a fait fin mai. La France est également sous la loupe de Bruxelles, qui a engagé une procédure pour déficit excessif.
Rachats à bon compte lundi
Dans cette période d’instabilité politique, la défiance des investisseurs devrait également rester forte sur les marchés d’actions. Selon les spécialistes, le rebond de lundi à la Bourse de Paris est d’ailleurs essentiellement technique. « Les investisseurs ont vendu la rumeur et acheté la nouvelle », lance un gérant. Après la dissolution, des hedge funds, majoritairement américains, ont spéculé à la baisse sur le CAC 40. « On a constaté environ 10 milliards d’euros de flux vendeurs sur le CAC 40 », note Pictet AM. Or, ces fonds agissent à très court terme.
Après avoir empoché leurs bénéfices, ils profitent de la faiblesse des cours pour racheter des actions françaises à bon compte. Les valeurs qui conduisaient le rebond lundi étaient d’ailleurs celles qui avaient le plus souffert après la dissolution de l’Assemblée nationale : les banques, les services aux collectivités (« utilities »), les concessionnaires autoroutiers ou encore l’audiovisuel, envoyé au tapis par le projet du RN de privatiser les acteurs publics.
Ce rebond est toutefois loin d’effacer la dégringolade des dernières semaines. En juin, le CAC 40 a dévissé de 6,42 %, enregistrant sa plus forte baisse mensuelle des deux dernières années. Après avoir enchaîné les records et culminé à plus de 8 259,19 points en séance, le 10 mai, l’indice phare de place de Paris a terminé le premier semestre en territoire négatif. De leur côté, les trois grandes banques françaises cotées en Bourse, Société générale, BNP Paribas et Crédit agricole, perdent encore en moyenne 10 % depuis la dissolution de l’Assemblée nationale. « Ces établissements détiennent beaucoup de dette souveraine française et l’évolution de leurs cours de Bourse est très liée à celle de l’OAT », souligne Simon Outin, directeur de la recherche crédit pour le secteur bancaire chez Allianz GI.
Séances houleuses à venir
Pour les spécialistes, l’éclaircie à la Bourse de Paris risque donc d’être de courte durée. Les prochaines séances s’annoncent houleuses. La Bourse devrait être ballottée au gré des arrangements entre partis et des déclarations des responsables politiques. « Les tractations vont s’intensifier entre les deux tours des élections législatives et l’échiquier politique risque de connaître d’importantes évolutions dans les prochains jours », estime un gérant. « Avec le retrait du projet de réforme de l’assurance-chômage, la majorité sortante tente déjà de rassembler autour d’elle », note le stratégiste d’IG.
Pour le moment, les marchés préfèrent voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, mais, peu à peu, « la perspective d’une Assemblée nationale divisée entre trois grands blocs risque de se renforcer, avec à la clé une France difficile à gouverner, voire ingouvernable », ajoute ce spécialiste. « Les investisseurs devront probablement faire face à un Parlement sans majorité et à un malaise politique durable en France dans un futur proche », confirment les gérants de Franklin Templeton.
Un immobilisme difficilement compatible avec la situation budgétaire très dégradée de la France. Dans ce climat hautement anxiogène et inédit, la Bourse de Paris risque de décrocher encore par rapport au reste de l’Europe. L’indice large européen, l’Eurostoxx 600, a ainsi gagné près de 7 % sur les six premiers mois de l’année, tandis que le CAC 40 a pratiquement fait du surplace (+ 0,24 %). Sans parler des marchés américains : le Nasdaq a progressé de 18,5 % depuis le début de l’année, et le S&P 500, de 15 %.
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