«L’Europe a les moyens de résister à cette nouvelle guerre froide économique et technologique. Et pourtant, aucunresponsable politique entendu ces derniers jours ne sait dépasser la colère pour proposer des solutions». FrançoisBOUCHON / Le Figaro

Tribune

Par-delà l’accord, néfaste pour l’Europe, conclu entre l’UE et les États-Unis, il est temps de penser aux moyens de bâtir notre propre puissance, estime l’ancien premier ministre. Il dresse une série de mesures pour réinstaurer un rapport de force face à Trump.

FigaroVox - 29 juillet 2025 - Par Gabriel Attal

 

Dimanche, l’Union européenne a conclu un accord avec les États-Unis. Cet accord, peut-on s’en réjouir ? Non.

Non, parce qu’il n’a pour objet que de «limiter la casse» dans la guerre commerciale absurde enclenchée par les États-Unis. Ne faisons pas mine de le découvrir aujourd’hui : les discussions ont été engagées face à la menace américaine de droits de douane, dans une situation par nature déséquilibrée. Alors oui, il est impossible de se réjouir de cet accord.

Mais cessons de perdre du temps à vilipender tel ou tel. Personne ne peut affirmer avec certitude qu’il aurait obtenu mieux. Tout cela est du temps perdu qui nous éloigne de l’essentiel, car ce ne sont pas les personnes ou leurs capacités qui sont en cause, c’est la structure même de l’Europe. Trop fragile, trop faite de plus petits dénominateurs communs, trop pénalisée par la crainte de certains à l’idée de voler de leurs propres ailes en faisant le choix d’un avenir européen. C’est cela qui nous affaiblit.

Le mal est plus profond que les droits de douane. Le rapport Draghi l’a montré : notre désindustrialisation et ses conséquences nous feront sortir de la carte du monde si nous ne réagissons pas. Et la bataille de l’intelligence artificielle devrait mobiliser aujourd’hui toutes nos forces. Le moment montre que ce n’est plus la confrontation États-Unis-Europe qui dicte le destin du monde. C’est bien la confrontation États-Unis-Chine qui condamne toutes les autres parties du monde à devenir des pions dans ce nouveau jeu mondial.

Plutôt que de nous diviser sur cet accord dont chacun sait qu’il n’est pas bon, plutôt que de continuer à théoriser notre propre impuissance, pensons à l’avenir et aux moyens de bâtir notre propre puissance

Gabriel Attal

Malgré tout cela, j’en suis convaincu : oui, l’Europe a les moyens de résister à cette nouvelle guerre froide économique et technologique. Et pourtant, malgré l’immensité des défis, aucun responsable politique entendu ces derniers jours ne sait dépasser la colère – légitime – pour proposer des solutions – vitales. Or, tout l’enjeu est de dépasser la double tétanie européenne : la tétanie de certains États face au défi de la souveraineté, et la tétanie face aux extrêmes, qui fractionnent l’Europe, refusent toute vision commune et sont prêts à tout pour entraver la puissance européenne. Alors plutôt que de nous diviser sur cet accord dont chacun sait qu’il n’est pas bon, plutôt que de continuer à théoriser notre propre impuissance, pensons à l’avenir et aux moyens de bâtir notre propre puissance pour ne pas reproduire sans cesse les mêmes erreurs.

À court terme, d’abord. Les États-Unis viennent de nous contraindre à un accord commercial sur les biens ? Imposons-leur un accord sur les services. Je propose pour cela que nous instaurions sans attendre des tarifs douaniers significatifs sur les géants du numérique, jusqu’à la conclusion d’un accord sur la base de nos termes. C’est ainsi que nous réinstaurerons un rapport de force entre nos deux puissances.

Les États-Unis financent leur économie en puisant dans l’épargne européenne ? Enclenchons l’instrument anti-coercition pour limiter les capacités des fonds américains à lever de l’argent en Europe et restreindre les capacités des banques américaines à opérer chez nous. On ne peut pas se raidir contre un accord commercial déséquilibré et rester naïvement l’un des moteurs du financement de l’économie américaine.

Notre économie est menacée ? Créons un NASDAQ européen pour financer l’innovation européenne, lançons un grand emprunt européen pour permettre à tous les épargnants de financer nos technologies, notre innovation, notre défense. Car c’est avant tout de nous, dont dépend notre prospérité commune.

Allons plus vite et plus loin dans la création d’un droit des affaires européen, dans le Buy European Act pour que nos marchés publics bénéficient enfin et beaucoup plus largement aux entreprises européennes.

Mais surtout, assumons un électrochoc politique pour changer profondément le fonctionnement de l’Union européenne. Nous avons tout pour être la première puissance mondiale, alors cessons de gâcher cette opportunité par des divisions à n’en plus finir et une gouvernance tellement complexe qu’elle empêche toute réforme, freine tout projet d’ampleur et entrave notre puissance et nos intérêts.

Il est difficilement entendable qu’un accord d’une telle ampleur puisse être ratifié
sans avoir été adopté par le Parlement européen

Gabriel Attal

Si nous n’avons pas pu négocier un meilleur accord, c’est parce que l’Europe est politiquement faible et divisée. Alors, plutôt que de suivre le chemin hasardeux du repli proposé par les extrêmes, construisons notre puissance politique. Bâtissons une Europe politique, enfin et vraiment : c’est elle qui sera forte. C’est elle qui pourra peser. La puissance politique passe par la légitimité de ses représentants et de ceux qui défendent ses intérêts. Et, en politique, la légitimité passe par l’élection. Alors pourquoi ne pas imaginer une élection de la présidence de la Commission européenne au suffrage universel direct ? Cela passerait aussi par un renforcement considérable du poids et de la légitimité du Parlement européen. Il est difficilement entendable qu’un accord d’une telle ampleur puisse être ratifié sans avoir été adopté par le Parlement européen.

Cet accord n’est pas bon, c’est vrai. Mais nous ne pourrons pas obtenir mieux tant que l’Europe ne sera pas plus forte. Tant que nous n’assumerons pas pleinement notre puissance économique, technologique mais aussi politique. Ces chantiers sont ceux de la génération qui vient. Ils ne se construiront pas en un jour, en une année ou même en un mandat. Mais ils sont vitaux. Pour l’Europe, et pour la France.