Le Nouveau Front populaire promet une hausse de 10 % pour les fonctionnaires, un salaire minimum à 1600 euros, l’abrogation de la réforme des retraites et la perspective d’un retour à 60 ans. Alexandra BONNEFOY/REA

Économie

Bien décidé à taxer les riches pour financer ses propositions, le bloc de gauche à l’Assemblée nationale veut mettre en œuvre tout son programme économique. Celui-ci pénaliserait à la fois les ménages et les entreprises.

Le Figaro - 9 juillet 2024 - Par Julien Da Sois, Thomas Engrand, Marie-Cécile Renault et Julie Ruiz

« C’est un délire total, c’est 1981 puissance10, c’est l’assurance du déclassement, du chômage de masse et de la sortie de l'Union européenne.» Bruno Le Maire, toujours ministre de l'Économie, ne mâche pas ses mots pour qualifier le programme économique du Nouveau Front populaire (NFP). Il n’est pas le seul à redouter un cocktail de mesures qui risque d’affaiblir une France déjà mal en point, avec un déficit de 5,5 % du PIB en 2023 et une dette de 3 100 milliards d’euros.

L’agence de notation Moody’s a d’ailleurs prévenu, ce mardi, que toute baisse de la volonté gouvernementale de faire des économies pourrait avoir un impact négatif sur la notation de la France, même si elle a souligné les « difficultés » à venir dans le vote des lois. Dès lundi soir, l’agence S & P avait prévenu que la note de crédit de la France serait « sous pression » si le pays « ne (parvenait) pas à réduire son important déficit public ». Du côté des entreprises comme des ménages, l’anxiété est forte face à ce programme aux allures de véritable choc budgétaire. Il « contient des chiffons rouges absolus pour les chefs d’entreprise. Il aboutirait à 200milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires chaque année, financées par de l’impôt, ou par le déficit. Ça finira forcément mal », a indiqué Patrick Martin, président du Medef, au Figaro .

Passer de 5 à 14 tranches d'impôt sur le revenu, avec une taxation jusqu'à 90%

Le mot d’ordre préféré des Insoumis, « taxer les riches ! », se traduit, entre autres, par une refonte de l’impôt sur le revenu en 14 tranches, contre 5 actuellement. Si la gauche n’a fait qu’esquisser les bornes de ces nouvelles tranches, son but est d’augmenter le rendement de l’impôt sur le revenu en proposant des taux d’imposition plus forts pour les ménages aisés. Pour les très hauts revenus - au-delà de 400.000 euros annuels -, la tranche marginale pourrait même atteindre 90 % de taxation.

Un taux si élevé qu’il pourrait être jugé confiscatoire par le Conseil constitutionnel, selon les experts. Cette mesure ressemble à une des propositions de campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2022. L’institut Montaigne avait alors estimé qu’elle ferait bondir les recettes de l’impôt sur le revenu d’environ 4,7 milliards d’euros. Mais quel serait le consentement à l’impôt, alors que la France affiche déjà l’un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés de l’OCDE ? « Un accroissement des impôts toutes choses égales par ailleurs nuit mécaniquement à la croissance économique et à la création de richesse », rappelle l’institut Montaigne.

Rendre progressive la CSG

Alourdir l’impôt sur le revenu ne suffit pas. Le NFP veut aussi rendre la contribution sociale généralisée (CSG) progressive. La CSG est prélevée directement sur les salaires, les revenus du capital, les allocations chômage et les pensions de retraite pour financer la protection sociale. Pour les salariés, son taux, fixé à 9,2 %, est le même pour tous. Les retraités sont, eux, taxés selon quatre taux variables selon leurs ressources : un taux zéro pour les plus modestes (revenu inférieur à 12 200 euros annuels pour un célibataire), un taux réduit (3,8 %), un taux médian (6,6 %) ainsi qu’un taux plein (8,3 %) pour les plus aisés. Le NFP propose de rendre la CSG « progressive » pour tous, sans donner plus de détail sur la délimitation des nouvelles tranches.

Mais comme pour l’impôt sur le revenu, il s’agit de taxer davantage les plus hauts revenus. Cela reviendrait à augmenter le taux de prélèvements obligatoires. Durant la campagne, Gabriel Attal avait souligné qu’une telle mesure réduirait le montant des pensions de certains retraités. Selon le simulateur mis en place par l’équipe du premier ministre, un retraité gagnant 1 200 euros par mois perdrait près de 800 euros par an. Le chef de file socialiste Olivier Faure avait juré que cette mesure ne coûterait rien au « petit retraité », mais reconnu que « ceux qui ont plus » paieraient plus.

Alourdir les droits de succession

La coalition de gauche veut instaurer un « impôt sur les successions dorées », pour rendre « l’impôt sur l’héritage plus progressif » et cibler « les plus hauts patrimoines ». En outre, l’alliance reprend l’idée d’instaurer un héritage maximum, formulée par Jean-Luc Mélenchon pendant la présidentielle de 2022. « Au-delà de 12 millions, je prends tout », avait avancé le Lider Maximo des Insoumis. Ces deux mesures fiscales devraient rapporter 17 milliards d’euros par an, selon les documents de campagne du NFP. « On distingue dans le programme économique de la gauche une stratégie globale qui vise à faire reposer le financement de son projet par une fiscalité forte sur les grandes entreprises et les grandes fortunes », analyse Lisa Thomas-Darbois, directrice adjointe des études France de l’Institut Montaigne. Une stratégie « porteuse de beaucoup d’incertitudes » pour les finances publiques, selon elle : « On ne peut jamais maîtriser les comportements des contribuables qui peuvent s’adapter aux réformes et faire ainsi baisser l’assiette fiscale. Une stratégie budgétaire basée sur les recettes peut aussi être soumise aux aléas de conjoncture. »

Rétablir l'ISF et le renforcer d'un volet climatique

Le NFP veut « rétablir un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) renforcé avec un volet climatique ». En 2022, la Nupes défendait une proposition similaire, créant une taxe sur les patrimoines supérieurs à 2 millions d’euros, avec un bonus-malus selon l’impact des actifs financiers et immobiliers sur le climat. Selon les estimations du NFP, cette mesure devrait rapporter près de 15 milliards d’euros. « Cela semble correspondre à des recettes très optimistes, estime le chef économiste du cabinet Asterès, Sylvain Bersinger. Par exemple, l’ISF, avant son remplacement en IFI par Emmanuel Macron, rapportait environ 6 milliards d’euros par an . L’ajout d’une composante climatique ajouterait 9 milliards d’euros de recettes, sans qu’aucune précision n’ait été apportée à ce chiffre. » Sans compter que les plus aisés, qui constituent la base la plus « mobile » de l’assiette fiscale, pourraient développer des stratégies d’évitement (optimisation, exil fiscal…), rendant la mesure moins rentable pour les comptes publics.

Taxer les «superprofits» des entreprises

Les entreprises ne sont pas oubliées par le bloc de gauche. Le programme du NFP propose de taxer les superprofits au niveau européen. Cette mesure rejoint une proposition de loi portée par la Nupes en 2022, visant l’instauration d’une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises au-delà d’un seuil. L’Institut des politiques publiques (IPP) a chiffré le rendement que pourrait générer cette taxe à 15 milliards d’euros minimum. « Ce chiffrage, repris par le NFP, est néanmoins entouré de fortes incertitudes, comme l’illustre l’écart entre le chiffrage par l’IPP des deux contributions exceptionnelles sur les bénéfices des énergéticiens adoptées en France en 2023 et les recettes effectivement générées », note l’Institut Montaigne. En effet, en plus de la difficulté de faire passer une mesure qui, par définition, devra être approuvée par les Parlements français et européen, le rendement d’une telle taxe reste incertain.

De la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim) - une taxe sur les superprofits déjà mise en place -, le gouvernement Macron espérait environ 12 milliards d’euros en 2022. Elle n’a rapporté que 625 millions, selon les calculs de l’IPP. Selon les propos tenus pendant la campagne, le NFP envisagerait d’étendre cette taxe sur les superprofits, au-delà des énergies, aux secteurs de l’agro-industrie et de la grande distribution. Comme toute augmentation d’impôts sur les entreprises, cette mesure pourrait avoir des effets délétères sur l’investissement et la croissance.

Bloquer les prix des produits et services de première nécessité

Parmi les mesures « d’urgence » avancées par NFP, on retrouve en tête de liste le blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants. La proposition figurait dans le programme de la Nupes en 2022. Si celle-ci vise à protéger le pouvoir d’achat des ménages à court terme, elle est loin de faire l’unanimité parmi les économistes. La principale critique porte sur le risque de pénuries qu’elle risquerait d’engendrer.

Nous referons une politique de stocks et une politique de régulation des prix agricoles, qui permettront d'éviter les pénuries alimentaires

Aurélie Trouvé, députée Insoumise

« L’État peut interdire à une entreprise d’augmenter ses prix, mais il ne peut pas l’obliger de travailler à perte, ce qui impliquerait une baisse de production et donc des pénuries », alerte le cabinet Asterès. « Nous referons une politique de stocks et une politique de régulation des prix agricoles, qui permettront d’éviter les pénuries alimentaires », assure la députée Insoumise Aurélie Trouvé.

Pour éviter l’écueil des pénuries, l’État pourrait être forcé de compenser les pertes des industriels, affirment des économistes. Dans ce cas, la facture risque d’être salée. Le blocage des prix coûterait près de 20 milliards d’euros, affirme le cabinet de Bruno Le Maire. Le bloc de gauche soutient, lui, que la mesure pèsera uniquement sur les entreprises, incitées à réduire leurs marges. Quoi qu’il en soit, cette mesure profiterait à tous les Français… et même davantage aux plus riches, selon d’Asterès.

Augmenter immédiatement le smic à 1600 euros net

Pour tenter de rallier le vote des ouvriers et des employés, le NFP a annoncé le passage du smic à 2000 euros brut (1600 euros net) - soit un «coup de pouce» de 200 euros par rapport au niveau actuel. À peine annoncée, la mesure a provoqué une levée de boucliers. D’une part, son coût - 19 milliards par an selon l’Institut Montaigne - serait insupportable pour les finances publiques. D’autre part, cela mettrait des millions d’entreprises dans une situation économique intenable, particulièrement en cette période de ralentissement économique et de coût élevé du crédit. « La hausse des salaires reviendrait à creuser encore plus le déficit commercial tout en attisant l’inflation », ajoute Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès. En outre, elle ne réglerait pas la question de la pauvreté chez les salariés. « La quantité de travail et la situation familiale sont les facteurs premiers de la pauvreté laborieuse, avant le salaire horaire », explique Gilbert Cette, ancien président du groupe d’experts du smic, dans son livre Travailleur (mais) pauvre.

Il rappelle que la France est le pays où le salaire minimum est le plus élevé proportionnellement au revenu médian. Pis, si elle était mise en place, cette hausse ne ferait que renforcer le tassement des grilles. Un phénomène à l’origine du sentiment de déclassement de millions d’employés. À cela s’ajoute la volonté de revaloriser de 10 % le point d’indice des fonctionnaires et l’indexation des rémunérations sur les prix, une mesure pourtant supprimée par la gauche en 1983.

Réduire le temps de travail à 35 heures effectives, voire 32

Le NFP promet le « rétablissement de la durée effective hebdomadaire du travail à 35 heures » et le « passage aux 32 heures dans les métiers pénibles ou de nuit immédiatement ». Un virage à 180 degrés par rapport à la politique menée par Emmanuel Macron. À peine arrivé à l’Élysée, il avait rétabli la défiscalisation et l’exonération de cotisations sociales pour les heures supplémentaires. Le chef de l’État se plaçait dans les pas de Nicolas Sarkozy, qui avait déjà fait un pas dans ce sens, avant que François Hollande (aujourd’hui rallié au NFP) ne revienne dessus.

L'instauration des 32 heures pour certains métiers relève de l'utopie la plus dangereuse car ne tenant aucun compte de la réalité

CPME

Alors que la plupart de nos voisins européens pratiquent plutôt la semaine de 39 heures, voire plus, le retour aux strictes 35 heures, voire aux 32 heures, serait un handicap supplémentaire pour la compétitivité des entreprises. « Baisser le temps de travail aggraverait les difficultés de recrutement », souligne Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès. « L’instauration des 32 heures pour certains métiers relève de l’utopie la plus dangereuse car ne tenant aucun compte de la réalité », a réagi l’organisation patronale des petites et moyennes entreprises (CPME).

Abroger la réforme des retraites

Mesure emblématique de son projet de retour en arrière, le NFP prévoit d’abroger immédiatement les décrets d’application de la réforme d’Emmanuel Macron, qui a fait passer l’âge de la retraite à 64 ans. « Une grande conférence avec les partenaires sociaux » serait ensuite organisée pour déterminer « des conditions du retour de l’âge légal à 60 ans et du nombre d’annuités associées ». Pour la financer, le NFP veut instaurer « une surcotisation sur les hauts salaires » et « mettre à contribution les revenus qui échappent à la cotisation comme les dividendes, les rachats d’action, l’intéressement ou la participation ». Le NFP veut aussi revaloriser le minimum vieillesse. Pour les petites pensions, il souhaite augmenter le minimum contributif au niveau du smic pour des carrières complètes. Enfin, les années de RSA seraient comptabilisées pour la retraite comme des années cotisées. Au total, tous ces éléments représentent « un coût annuel de l’ordre de 58 milliards d’euros par an à horizon 2027 », estime l’Institut Montaigne.