Économie
Pour financer ces mesures, la gauche, arrivée en tête des élections législatives, prévoit le retour de l’ISF, la suppression de la flat tax, la taxation des superprofits des entreprises, et de nombreuses autres hausses d’impôts.
Le Figaro - 9 juillet 2024 - Par Julie Ruiz
Davantage de vacances, de fonctionnaires, de logements, de places en crèche ou encore de cantines scolaires bio et gratuites. Mais aussi un Smic à 1600 euros, une retraite à 60 ans et un blocage des prix... «On peut toujours promettre la lune», avait sèchement commenté à la mi-juin Bruno Le Maire sur France info, en faisant référence au très généreux programme du Nouveau Front populaire. Pourtant, ces promesses ont convaincu les électeurs lors du second tour des élections législatives. Contre toute attente, c’est finalement l’union de la gauche qui est arrivée en tête ce dimanche soir avec 178 députés dans le prochain hémicycle, contre 156 pour le camp présidentiel et 142 pour le Rassemblement national.
Reste que, pour le ministre de l’Economie, se cache derrière ce programme «un délire total», qui occulte totalement la «réalité économique». Dans un contexte où le déficit culmine à 5,5% du PIB, où les taux d’emprunt du pays augmentent et où la France va devoir présenter au moins 25 milliards d’euros d’économies dès 2025 si elle veut rester dans les clous de ses engagements budgétaires européens, le programme du Nouveau Front populaire apparaît de fait à contre-courant. Car si on tente de chiffrer la liste des dépenses nouvelles, la facture devient vite vertigineuse.
À court terme, l’alliance de gauche souhaite, abroger la dernière reforme des retraites. «Dans les quinze jours après notre victoire», avait précisé Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti écologiste (EELV). Une mesure que les administrations de Bercy chiffrent à 18 milliards d’euros (13 milliards si les mesures coûteuses étaient également supprimées, ce qui est peu crédible). Quant à la retraite à 60 ans, un «objectif commun» que réaffirme le programme, cela provoquerait «70 milliards de dépenses à financer, moins de travail et une croissance conduisant à un appauvrissement de la France», fustige un membre du cabinet de Bruno Le Maire.
Toujours sur le front social, l’augmentation du Smic à 1600 euros net - soit 2000 euros brut - pourrait coûter au moins 2 milliards d’euros aux comptes publics, selon les agents de Bercy. Étonnamment, cette estimation est inférieure à celle mise en avant dans le «contre-budget» de la Nupes, présenté en 2022, qui partage beaucoup de mesures avec le programme du Front populaire. Pour un Smic à 1500 euros net, l’ancienne alliance des partis de gauche chiffrait le coût à plus de 3 milliards d’euros. De plus, «la hausse des salaires reviendrait à creuser encore plus le déficit commercial tout en attisant l'inflation», analyse Sylvain Bersinger, chef économiste du cabinet Asterès.
Pour les fonctionnaires, la gauche propose des hausses de salaire significatives avec une progression de 10% du point d’indice. Cette proposition se rapproche de la mesure de la Nupes qui prévoyait une augmentation de 10 milliards d’euros pour le salaire des agents de la fonction publique.
Héritage «maximum»
Les cantines scolaires bio et gratuites pourraient coûter jusqu’à 3,2 milliards d’euros, toujours selon les agents de Bercy. L’augmentation du budget des organismes HLM est prévue dans le programme à 1,4 milliard d’euros, auxquels s’ajouterait la hausse de 10% des APL pour un même ordre de grandeur. Le programme propose également un budget de 2,6 milliards d’euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ou encore de porter le budget du ministère des Sports à 1% du budget de l’État, soit environ 7 milliards d’euros (contre 700 millions en 2023). D’autres mesures sont difficiles à chiffrer mais pèseront très lourd comme l’abolition de la taxe sur les factures d’énergie, ou l’annulation de la hausse programmée du prix du gaz et de l’électricité, ou encore l’augmentation des effectifs de fonctionnaires (dans l’éducation et la santé, notamment).
Enfin, certaines des mesures du programme sont si complexes, et leurs répercussions sur l’économie si incertaines, que cela rend la question de leur chiffrage presque dérisoire. La plus emblématique est la mesure qui consisterait à opérer le blocage des prix sur les biens de première nécessité (alimentation, énergie et carburants). En 2022, la Nupes assurait que cette mesure serait à coût neutre pour les finances publiques. Au cabinet de Bruno Le Maire, on affirme au contraire que cette mesure coûterait près de 20 milliards d’euros aux caisses de l’État. «Sans compter que ce serait un grand saut dans l'économie réglementée et le retour à une administration qui dicterait les prix des produits de grande consommation», ajoute un conseiller.
Combien, au final, coûterait vraiment le programme du nouveau «Front populaire» ? Il est encore trop tôt pour le savoir. Selon les calculs du parti Renaissance, qui a chiffré en urgence une trentaine de mesures, les dépenses supplémentaires promises par la gauche s’élèveraient à 287 milliards d’euros. Cela donne un ordre de grandeur.
Le ministre délégué au Budget, Thomas Cazenave, avance pour sa part le chiffre de 100 milliards d’euros par an pour financer les principales mesures du Nouveau Front populaire. «Qui paiera ? Les Français», affirme le ministre sur son compte X (ex-twitter). En effet, la gauche compte financer ces nouvelles dépenses par des augmentations d’impôts ciblées sur les ménages aisés et sur les grandes entreprises. Elle entend ainsi rétablir un impôt sur la fortune «renforcé» (en lieu et place de l’IFI), abolir la flat tax et certaines niches fiscales, ressusciter l'exit tax, taxer les super profits des entreprises, instaurer une taxe kilométrique sur les produits importés... En clair, «nous ferons en sorte de financer ce projet très ambitieux en le prenant dans la poche de ceux qui ont les moyens», assène Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste.
La mesure fiscale qui pourrait rapporter le plus - même si elle n’est pas chiffrée pour l’instant- est celle qui concerne l’impôt sur les successions avec l’ambition d’instaurer un montant d’héritage maximum. Si le seuil «maximum» n’est toujours pas précisé, Jean-Luc Mélenchon avait avancé le chiffre de 12 millions d’euros lors de sa campagne présidentielle en 2022. «Au-delà, je prends tout», avait expliqué à l’époque le leader insoumis.
Au final, «il apparaît évident que les dépenses ou manques à gagner (...) dépassent de plusieurs dizaines de milliards d'euros, au bas mot, les recettes proposées, qui reposent principalement sur une hausse des impôts des plus aisés», conclut Sylvain Bersinger. Une inquiétude partagée par les entreprises. «L’irrationalité des mesures contenues dans le programme du Front Populaire, si elles étaient mises en œuvre, conduirait a une explosion des déficits et de la dette et à une perte de confiance dans l'avenir», dénonce Patrick Martin, président du Medef.
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