Économie
Dans une note, le think tank de gauche Terra Nova propose des mesures pour taxer davantage les « riches ». Le rendement n’excéderait pas 15 milliards d’euros, sur 100 milliards à trouver
L'Opinion - 23 septembre 2024 - Par Marc Vignaud
Les faits - Michel Barnier promet des mesures de « justice fiscale ». Ses mesures ne pourront absolument pas remplacer des économies sur les dépenses publiques.
Taxer davantage les plus riches, oui ! Mais faire croire, comme le Nouveau Front populaire, que cela serait suffisant pour régler le problème budgétaire de la France, non ! C’est, en substance ce qu’explique en détail une note de Terra Nova, publiée le 20 septembre. Selon ses deux auteurs, qui connaissent leur sujet sur le bout des doigts, la taxation des 1 % et surtout des 0,1 % les plus aisés ne pourrait rapporter, compte tenu de la jurisprudence constitutionnelle et des traités, que 10 à 15 milliards d’euros par an, « sans trop d’inconvénients sur la localisation en France des centres de décisions, des entrepreneurs et des talents ». Pas de quoi financer les 100 milliards de mesures jugées nécessaires par les économistes pour stabiliser la dette publique à un niveau élevé.
Le programme du NFP aboutirait à des situations tellement insoutenables qu’elles bouleverseraient profondément les choix de localisation et les comportements des entrepreneurs
Il s’agit même d’un maximum. « Certaines (mesures) peuvent être considérées comme risquant de dégrader l’image de la France comme destination d’investissement et doivent donc être débattues de ce point de vue », reconnaissent Guillaume Hannezo, professeur associé à l’Ecole normale supérieure, ancien conseiller économique de François Mitterrand et Fipaddict (un enseignant en économie et finances publiques sous pseudonyme).
Les propositions fiscales proposées par l’alliance des partis de gauche, juridiquement impossibles, sont balayées. Même à supposer qu’elles puissent être mises en œuvre, « elles aboutiraient à l'évidence à des situations tellement insoutenables qu’elles bouleverseraient profondément les choix de localisation et les comportements des entrepreneurs ». Compte tenu du cumul des mesures confiscatoires, « l’expropriation » serait « très rapide » et conduirait à liquider des grands groupes français, arguent les auteurs, démonstration chiffrée à l’appui.
Parce que la France fait déjà partie des pays qui taxent le plus en la matière, Guillaume Hannezo et Fipaddict se prononcent contre une augmentation de la flat tax sur les revenus du capital. Avec la « contribution exceptionnelle » sur les hauts revenus perçue depuis 2011, elle atteint déjà 34 %. Ils proposent en revanche de « mettre fin à l’effacement des plus-values latentes à la transmission, qui fait que « les très riches ne paient jamais cette flat tax ».
Notre droit fiscal considère que l’accumulation de plus-values ‘latentes’ n’est qu’un revenu ‘virtuel’ qui sera taxé plus tard voire… jamais
Parmi les autres mesures proposées, figure le retour d’un ISF, à un taux faible de 0,3 %, mais incluant le patrimoine professionnel, sans plafonnement. « A titre d’illustration, un taux de 0,3 % appliqué au patrimoine des 0,1 % les plus fortunés rapporterait environ 4 milliards ».
Gouverner. Pour formuler ces propositions, les auteurs partent du constat que les plus fortunés n’encaissent qu’une faible part de leurs plus-values tirée de leurs investissements. Celles qu’ils accumulent échappent à l’impôt, « car notre droit fiscal considère que l’accumulation de plus-values «latentes» n’est qu’un revenu «virtuel» qui sera taxé plus tard voire… jamais » ! Comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, la France fait en effet partie des pays dans lesquels la transmission par donation ou succession des actifs entraîne l’« effacement » de la plus-value latente. Ce n’est pas le cas dans les pays du Nord de l’Europe ou en Allemagne. « Lorsque les héritiers ou les donataires vendent des actifs qui leur ont été transmis, le prix d’achat retenu pour le calcul de la plus-value correspond à leur prix au moment de la transmission, et non à leur prix d’acquisition par le donateur », décrivent-ils. Ces plus-values sont donc moins taxées que le travail ou que les dividendes.
Compte tenu des multiples niches fiscales, les plus grosses successions supportent, par ailleurs, un taux effectif de taxation de seulement 10 %, bien loin des taux énormes affichés dans la loi. D’autres mesures pourraient donc être prises comme la réduction des niches fiscales dont bénéficient les très riches sur l’impôt sur le revenu ou sur les successions (dont les pactes Dutreil). « Désormais, même l’exonération en vigueur en Allemagne apparaît moins favorable que le dispositif français », remarquent-ils.
Avec ces propositions, Guillaume Hannezo et Fippadict ne prétendent pas écrire un programme fiscal clé en main pour la gauche. Mais ils estiment indispensable qu’elle tienne compte des « contraintes indispensables » si elle « veut se donner une chance de gouverner sans renier ni les orientations politiques sur lesquelles elle s’est fait élire, ni sa capacité à gouverner efficacement une fois arrivée au pouvoir ».
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