Éducation
Les mesures proposées par Gabriel Attal sont ponctuelles et ne sont pas à la hauteur du choc annoncé. Nelly Guet souligne la nécessité d’une approche plus globale.
Contrepoints - 14 décembre 2023 - Par Nelly Guet*
Si j’étais ministre de l’Éducation nationale, de surcroît un jeune ministre pouvant aspirer à devenir, un jour, président de la République, je déclarerais vouloir supprimer le ministère de l’Éducation nationale dans sa forme actuelle, et vouloir lui substituer une autre organisation qui relève le niveau des élèves français dans les comparaisons internationales, mais surtout qui permette de réduire de manière drastique les inégalités sociales en matière d’éducation. La légitimité d’une telle décision est affichée au fronton de nos bâtiments publics : « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Une telle ambition est bien éloignée d’une énumération de mesures ponctuelles, telles que celles de Gabriel Attal cette semaine.
On y trouve pêle-mêle : une refonte des programmes ; une méthode d’enseignement des mathématiques associée à une labellisation des manuels scolaires ; une organisation pédagogique déjà mise en place dans les années 1980 ; une modification des modalités d’organisation des examens et des passages de classe.
Une seule innovation : un soutien scolaire en français et mathématiques, pour les élèves de seconde, s’appuyant sur l’intelligence artificielle !
C’est un peu comme si pour la restauration de Notre-Dame, le Général Georgelin s’était contenté d’explorer les décombres dans la nef de la cathédrale, sans se préoccuper de l’ampleur de la tâche à venir.
À qui s’adresse un tel discours ?
Très certainement pas aux professionnels, connaisseurs du monolithe « ÉducNat », toutes tendances politiques confondues. Quatre décennies de réformes n’auront toujours pas permis de faire comprendre au ministère qu’unifier veut dire renforcer l’élitisme à l’école. Il n’est pourtant pas possible de nier l’évidence : notre système n’est performant, ni pour les bons élèves ni pour les élèves en difficulté.
Ce discours s’adresse donc à tous les parents français qui rêvent encore de l’école de grand-papa et n’ont aucune connaissance de l’évolution des pratiques pédagogiques dans les autres pays. D’où un certain mérite, il faut le concéder, à évoquer Singapour ! Il s’adresse aussi à une partie des enseignants, en manque d’autorité, qui brandiront, comme jadis, la menace du redoublement, pour se faire respecter.
Autonomie des établissements
Donner un réel pouvoir aux enseignants, aux parents, aux élèves, aux directions d’établissements, c’est introduire en France, avec vingt ans de retard, l’évaluation interne.
L’outil appelé SEP – self evaluation profile ou profil d’autoévaluation – mis au point par le professeur Mac Beath (Écosse), Denis Meuret (France) et Michael Schratz (Autriche) a été présenté dès l’an 2000 à madame Ségolène Royal qui n’a pas jugé utile d’introduire une telle transformation dans le « Collège de l’an 2000 ». C’est pourtant la première étape à franchir lorsque l’on veut accorder une réelle autonomie à l’établissement, et de nombreux pays européens l’ont compris immédiatement. Animée d’un faux espoir, j’ai à nouveau présenté cet outil à la DGESCO (Direction Générale de l’Enseignement Scolaire), fin août 2017. En vain.
Il n’y aura donc pas de « Choc Pisa » en France en 2023, qui puisse être comparé à celui provoqué en Allemagne en l’an 2000 par Andreas Schleicher (OCDE). Concurrence oblige, les 16 länder allemands ont alors vite compris que la priorité des priorités était de rendre les établissements scolaires plus autonomes qu’ils ne l’étaient dans les années 1990. J’ai dirigé un lycée allemand à cette époque et peux confirmer que nous avions en France, grâce à l’Acte 1 de la décentralisation de 1985, une certaine avance sur notre voisin. Nous avons été vite dépassés dans ce domaine, car aucune de nos régions ne peut innover comme l’ont fait le Sénat de Berlin, la Bavière, la Rhénanie du Nord-Westphalie… et les autres.
Par autonomie, on entend le recrutement par l’équipe de direction de ses proches collaborateurs, l’évaluation des enseignants… Nos directions d’établissement n’ont toujours pas de réel pouvoir de décision, en ce qui concerne l’affectation des ressources financières, la gestion des ressources humaines (recrutement, évaluation, formation) et des moyens horaires (répartition des élèves, contenus d’enseignement, pratiques pédagogiques).
Si les résultats de PISA 2022 montrent également une baisse significative de niveau en Allemagne, imputable à de nombreux facteurs : Covid-19, fermeture des établissements scolaires, élèves immigrés plus nombreux, d’après Andreas Schleicher, l’arrêt des réformes éducatives serait également en cause. Quant à la Finlande, mes collègues expliquaient modestement leur niveau d’excellence par un public scolaire très homogène, ce qui n’est plus tout à fait le cas.
Pouvoir des régions
Certaines régions académiques tentent d’associer à leurs efforts les présidents de région, mais ce travail touche essentiellement l’information sur l’orientation et l’insertion professionnelle, en priorité pour les élèves des lycées professionnels, et non les 12 millions d’élèves du système éducatif français.
Les départements et les régions financent des établissements où leur pouvoir de contrôle est limité du fait que l’adjoint-gestionnaire de l’établissement, devenu depuis peu secrétaire général, est certes sous l’autorité fonctionnelle de la collectivité territoriale, mais demeure, même s’il est agent comptable, sous l’autorité hiérarchique du chef d’établissement pour ce qui relève de la gestion budgétaire.
Il y aurait par conséquent beaucoup à dire sur l’opportunité des dépenses lorsqu’il s’agit de ne pas faire de vagues et de garantir la paix sociale, au lieu de privilégier les besoins des élèves.
Programmes et Inspection générale
Comment se fait-il que pour définir ses priorités, le ministre ne s’appuie pas sur le rapport de juin 2023 établi par trois corps d’inspection – IGÉSR (Éducation, Sport, Recherche), IGF (Finances), et IGAS (Affaires sociales) ?
Il serait le premier ministre de l’Éducation à affirmer, en France, qu’économie et éducation sont intimement liées. Dans le cadre de nos associations internationales (ESHA et ICP), avec mes collègues chefs d’établissement de 33 pays européens et des cinq continents nous avons été reçus dans de nombreux pays par des ministres, des présidents, dont les discours mettaient toujours en avant la connexion entre l’économie de leur pays et l’éducation de leurs élèves. En France, il n’en est rien. Jean-Michel Blanquer et Bruno Le Maire n’ont pas fait exception à la règle, par crainte sans doute pour le second d’être accusé de délit d’ingérence.
Ce que ce rapport nomme pudiquement « des tensions » correspond en fait à des obstacles quasiment insurmontables pour l’économie du pays, si l’on ne résout pas les problèmes de formation et d’adéquation au marché de l’emploi.
Ce rapport établit un diagnostic et fait des préconisations.
« L’image dégradée de l’industrie reste encore aujourd’hui le facteur déterminant. Afin de transformer cette perception, la mission propose d’introduire un enseignement de science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) dès le primaire, à l’instar des pays asiatiques et anglo-saxons. »
Le rapport souligne aussi la nécessité de continuer « à revaloriser le lycée professionnel, de soutenir l’apprentissage, notamment au niveau 4, et porter une attention particulière sur les enseignants ou formateurs pour garantir leur recrutement et leur formation continue ».
Ce rapport aboutit, sans les nommer, à la même conclusion que tous les pays européens réunis au sein de la EU STEM Coalition dont je suis membre depuis 2015.
Il est à noter qu’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, avait missionné trois hauts fonctionnaires pour une expertise sur ce sujet. À son départ de Bercy, les deux autres ministres concernés – N. Vallaud-Belkacem (Éducation), Thierry Mandon (Recherche) – n’ont pas donné suite. Huit années de perdues. Souhaitons que ce rapport qui révèle la solution tant attendue, ne finisse pas dans un tiroir, comme les nombreux rapports de la Cour des comptes !
Formation des professeurs
Introduire les « STIM » de l’école primaire à l’Université implique une modification profonde du fonctionnement de nos établissements où il s’agit d’introduire la transdisciplinarité, et donc l’abandon des programmes tels qu’ils sont conçus par l’Inspection générale.
Il s’agit également de s’appuyer sur des partenariats école-entreprise tout au long de la scolarité et non, comme actuellement, seulement sur des actions ponctuelles en faveur de stages ou sur des événements médiatiques avec signatures de conventions destinées à l’information sur les métiers. Pour impliquer les élèves de tous les établissements français et leurs professeurs de sciences, mais aussi d’autres disciplines, il faut recruter et former autrement. Ces dernières années, j’ai pu voir au Danemark, aux Pays-Bas, en Estonie, en Finlande, au Pays basque, en Allemagne, en Hongrie… ce que signifie une telle formation, et ce qu’elle permet dans le travail quotidien à l’école.
Dans un pays où, à droite, on réclame à cor et à cri de « l’instruction », où, à gauche, des enseignants militants déclarent ne pas être des assistantes sociales, le chemin à parcourir comporte beaucoup d’obstacles. Néanmoins, il est la seule voie de progrès qui permettra à notre système éducatif de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve depuis trop longtemps.
Revenir aux groupes de niveaux des années 1980 n’est pas une mauvaise idée en soi.
Ils ont en effet fait leurs preuves, mais ce qu’oublie de préciser le ministre, c’est qu’il doit impérativement s’agir de groupes de niveaux mobiles, ce qui exige des enseignants un travail en commun non négligeable permettant aux élèves de changer de groupe en fonction de leurs progrès ou de leur régression. Dans les années 1990 je dirigeais une cité scolaire de 2000 élèves où nous avions mis en place de tels groupes mobiles en sixième et en seconde. C’est un travail titanesque pour la confection de l’emploi du temps, mais l’enjeu en vaut la peine.
Il va de soi qu’une telle décision devrait revenir au conseil d’administration de l’établissement, et non pas à la rue de Grenelle car il sous-entend la volonté affirmée des professeurs de travailler ensemble à la réussite de leurs élèves tels qu’ils sont. J’ai pour ma part travaillé dans des établissements prestigieux de centre-ville et dans des collèges de banlieues « difficiles ». Je sais par conséquent en quoi consiste la différence.
Concernant l’enquête Pisa de 2022, commentée dans les médias ces derniers jours, un constat est volontairement (?) passé sous silence : en France, le climat qui règne dans les salles de classe n’est pas propice au travail, car une part importante de l’heure est consacrée à mettre un terme au chahut et aux bavardages, à « faire de la discipline ». Ce n’est pas nouveau. Les enquêtes précédentes le révélaient déjà. Rien d’étonnant si l’on sait que les élèves français sont avant tout supposés écouter et non agir. Les activités transdisciplinaires liées aux STIM – par exemple grâce à Jet-Net aux Pays-Bas – reposent sur une règle : 20 % d’écoute « listening », 80 % d’action « doing ».
J’ai effectué une partie de mes études dans deux Universités allemandes dans les années 1970. En France, en amphithéâtre, nous étions censés écouter et prendre des notes. En Allemagne, j’ai très vite compris qu’il était hors de question de se taire. J’ai dû m’exprimer en public, participer à des travaux de binômes et de groupes. Il faut être conscient de cette différence si l’on veut mieux la combattre. La Chine aussi s’inspire des pratiques européennes les plus performantes. J’ai été invitée quatre fois par leur ministère de l’Éducation à les présenter aux côtés de mes collègues européens.
Combattre le harcèlement, c’est aussi transformer en profondeur la formation des professeurs de français qui ne sont pas tous capables de diriger une « heure de vie de classe » telle qu’elle a été introduite, il y a fort longtemps. Faute de savoir gérer une dynamique de groupe, de faciliter régulièrement les échanges en demi-classes, pour aborder toutes sortes de problèmes, notamment ceux liés à la laïcité, nos enseignants doivent inculquer les « valeurs de la République » en juxtaposant des heures d’instruction civique au milieu des autres cours. C’est l’absence de projet commun, de répartition de responsabilités au sein de la classe, telles qu’André de Peretti les définissait dès les années 1980, qui livre nos élèves à leurs bons et mauvais penchants.
N’en déplaise à certains, l’école n’est pas seulement là pour instruire. Elle doit éduquer. Une majorité d’enseignants français, souvent à titre personnel, assume déjà une partie de ces tâches, bien que rien ne les y oblige. Depuis peu, les enseignants qui souhaitent faire reconnaître ce travail supplémentaire peuvent signer le PACTE, qui, bien évidemment, n’a pas reçu le soutien de leurs syndicats.
Remplacer les collègues absents, assurer au quotidien les relations avec les familles, sont des tâches qui devraient être intégrées dans les services d’enseignement. Il va de soi que la suppression des services Vie Scolaire – une spécificité française coûteuse – permettrait d’augmenter les salaires des enseignants d’au moins 30 à 35 %, et constituerait également une partie de la solution à nos problèmes de désintégration sociale.
Un nouveau ministre, une nouvelle politique scolaire ?
Suite à la publication des résultats médiocres révélés par l’enquête Pisa 2022, le ministre dispose, à la lecture du rapport de trois Inspections générales, du fil conducteur lui permettant de définir un cap.
Il lui appartient en effet d’imposer aux académies/régions les axes de travail, les objectifs à atteindre, et non de choisir les moyens d’action. Il lui revient également de remanier l’édifice ministère de l’Éducation nationale, de supprimer des services dont les missions sont obsolètes, afin de permettre un suivi efficace sur le terrain qui garantisse justice et équité.
* Nelly Guet, expert international en éducation, a dirigé des établissements scolaires pendant 22 ans, en France et à l'étranger. Auteur du livre "Virage européen ou mirage républicain? Quel avenir voulons-nous?", publié en 2014.
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