Environnement 

« Il est sot de dire que “rien n’a été fait”. D’où vient cette inflexion ? De la décorrélation entre croissance et émission »

L'Opinion - 9 novembre 2025 - Par Eric le Boucher

L’échec de la lutte contre le réchauffement climatique moderne a rejoint la liste des impuissances humaines à s’entendre pour éradiquer les malheurs antiques comme les guerres ou la faim. C’est fait, la probabilité de limiter la hausse des températures mondiales entre 1,5° et 2° Celsius en 2100, comme on l’espérait encore possible il y a dix ans lors de la COP à Paris, est désormais hors d’atteinte. Le 1,5° a été enregistré en 2024. Le niveau de la mer s’est élevé de 4,5 cm depuis dix ans. En 2025, l’actualité du climat a également noté l’élection de Trump qui qualifie le réchauffement « d’arnaque » et une démobilisation générale dans les pays développés. L’Europe vient de publier une nouvelle version de son plan climat, qui maintient son objectif d’une émission « nette-zéro » de gaz à effet de serre en 2050 mais donne des délais sur les moyens (marché carbone, crédit carbone…).

Progrès. La leçon est que la stratégie imposée par les écologistes d’une lutte climatique « prioritaire » n’a pas fonctionné. Les autres impératifs que sont le social, autrement dit le coût pour les ménages, et la sécurité de l’énergie, pour les entreprises et les Etats, sont passés devant. Les partis écologistes, pour qui la croissance elle-même devait être sacrifiée, sont au plus bas dans les sondages et au bord de la disparition politique. « Le risque est d’accepter cet échec, souligne justement l’économiste et ancien commissaire général de France Stratégie, Jean Pisani-Ferry, et de passer à une stratégie d’adaptation, en considérant que la bataille a été perdue ». Or, elle ne l’est pas encore. Sur le front, beaucoup de modifications ont eu lieu depuis dix ans, des inflexions majeures et des progrès fulgurants. Voici quelques bonnes nouvelles du climat.

D’abord, la ligne du front. Il y a dix ans, les scientifiques du GIEC avaient calculé que, sur la tendance, la température de la Terre allait se réchauffer entre 3,3° et 3,8° en 2100. Aujourd’hui, la projection donne entre 2,5° et 2,9°. Presque un degré de moins, c’est considérable ! Il est sot de dire que « rien n’a été fait ». D’où vient cette inflexion ? De la décorrélation entre croissance et émission. Le PIB mondial avait cru de 3,3 % par an en moyenne de 2000 à 2023, entraînant une hausse des émissions de 1,7 % par an. Sur les dernières années, le PIB gagne autant par an, mais les émissions ne grimpent plus que de la moitié, 0,8 % par an, selon le document récapitulatif annuel publié par le groupe TotalEnergies.

Ce « décrochage » positif s’explique par les pays développés. France, Allemagne ou Grande-Bretagne émettent moins depuis les années 1970-80 (entre -2,5 % et - 3,5 % par an), mais les Etats-Unis aussi, malgré Trump (baisse de -0,6 % par an). L’autre pays décisif est la Chine qui investit des milliards dans les énergies renouvelables, mais ouvre aussi des centrales à charbon. Ses émissions croissent encore de 2 % par an, mais elles ont nettement ralenti, grâce au virage décidé par Pékin qui vise un net-zéro en 2060. En clair, les efforts doivent être poursuivis dans l’OCDE mais le problème climatique principal s’est déplacé dans les pays émergents, responsables aujourd’hui de deux tiers de l’émission mondiale de CO2.

La stratégie écologiste autour des interdictions de la croissance carbonée, en échec au Nord, on l’a vu, est au Sud, complètement illusoire. Ces pays veulent se développer et ils ne sont responsables en rien du CO2 déjà accumulé dans l’atmosphère par les pays « industriels »

Basculement. Si, en 2025, il n’est pas interdit d’espérer encore limiter la hausse mondiale autour de 2,2° en 2100, une baisse d’un demi-degré sur la tendance, l’attention doit se porter sur ces pays, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Indonésie et tous les autres. La stratégie écologiste autour des interdictions de la croissance carbonée, en échec au Nord, on l’a vu, est au Sud, complètement illusoire. Ces pays veulent se développer et ils ne sont responsables en rien du CO2 déjà accumulé dans l’atmosphère par les pays « industriels ». Ils veulent de la croissance, du charbon puisque c’est l’énergie la moins chère, des voitures et des climatiseurs. Ils déforestent pour se nourrir avec, pour conséquence, que les forêts primaires absorbent cinq fois moins de CO2 qu’en 2000.

La solution est monétaire et technologique : le nord doit les aider à basculer dans une croissance durable. L’accord de Paris de 2015 avait prévu un versement du nord au sud de 100 milliards de dollars par an, ce flux a été atteint en 2022. La dernière COP de Bakou a refait les calculs : il faudrait 300 milliards de dollars par an et pas des prêts, ces pays étant souvent déjà surendettés. Certains estiment même la facture, en fonds publics et privés, à 1 300 milliards. Dans le contexte du retour des nationalismes au nord, de la démobilisation des opinions publiques et de la perte de crédibilité de la coopération mondiale sous les auspices des organisations onusiennes, de tels montants paraissent hors de portée.

L’Union européenne pourrait retrouver un rôle, propose Jean Pisani-Ferry dans une note coécrite au Center for Economic Policy Research (juin 2025). Il s’agit de monter des « coalitions de volontaires » en mêlant les quatre sujets du climat, de la biodiversité, du commerce et de la finance. L’UE complète son dispositif de prix carbone élevé et un mécanisme à ses frontières pour taxer les produits à l’entrée mais en négociant des conditions favorables avec certains pays du sud dont elle financerait la décarbonation. L’UE pourrait délocaliser ses industries intensives chimiques et sidérurgiques dans ces pays où l’électricité solaire serait abondante. Le déplacement d’emplois paraît limité quand le gain écologique est immense. Décarboner au sud est d’un rendement bien meilleur que de le faire dans les coûteux reliquats du nord. L’idée de recréer un ordre mondial des volontaires sur les quatre sujets économiques mérite examen.

D’ici à la fin du siècle, il y aura des avancées majeures et des ruptures dans toutes ces disciplines

Technologie. L’autre stratégie pour viser les 2,2° Celsius est la technologie. Longtemps décriée comme « une diversion » par nos écologistes, le progrès technologique apparaît au contraire comme la meilleure piste contre le réchauffement. La chute spectaculaire du prix des panneaux solaires en fait l’énergie la moins chère dans les pays ensoleillés. Les batteries et les petites centrales nucléaires progressent à grand pas. La capture du CO2 s’avère très prometteuse.

D’ici à la fin du siècle, il y aura des avancées majeures et des ruptures dans toutes ces disciplines. Une augmentation de 2,2° est une calamité qui va entraîner des conséquences désastreuses. Mais la lutte est loin d’être finie.