Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières a notamment pour but de couvrir, dès 2023, les émissions carbone du ciment, de l'acier ou des engrais.© acinquantadue

Europe

Bruno Le Maire salue une décision majeure : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a reçu le soutien de l’Allemagne, le grand pays qui rechignait.

Le Point - 15 mars 2022 - Par Emmanuel Berreta

La France vient de remplir l'un de ses principaux objectifs de sa présidence tournante de l'UE : le cadre général du mécanisme carbone aux frontières a été adopté en Ecofin à une très large majorité (la Pologne s'y est opposée). Bruno Le Maire, qui présidait les négociations, salue « une décision majeure ». Ce mécanisme, dit CBAM, s'inscrit dans le cadre des moyens pour lutter contre le réchauffement climatique. Il lutte contre les « fuites de carbone » en égalisant le prix du carbone entre les États européens et ceux qui, à l'extérieur, ne seraient pas aussi impliqués dans la lutte contre le réchauffement climatique.

C'est le ralliement de l'Allemagne, jusqu'ici réticente, qui a permis l'adoption de ce cadre général. Christian Lindner, le ministre des Finances de la République fédérale d'Allemagne, a quitté prématurément le Conseil Ecofin, mais il a eu le temps de donner son feu vert. « Le gouvernement allemand se félicite qu'un accord ait été conclu ici sous la présidence française du Conseil, a-t-il déclaré en quittant l'immeuble du Conseil européen. Nous devons maintenir la compétitivité de notre économie en Europe, tout en redoublant d'efforts pour la protection du climat. Il est donc juste qu'il existe un mécanisme de péréquation aux frontières qui empêche la migration de la valeur ajoutée vers d'autres régions ayant des objectifs de protection du climat moins ambitieux. »

« Une mesure de justice économique »

Pour les Allemands, il est important de créer un « club climat » autour de CBAM en y associant d'autres pays désireux d'intégrer les normes environnementales européennes les plus hautes. Donc, la taxation aux frontières de l'Europe ne concernerait que les États tiers moins-disant en termes de normes environnementales. Dans le cadre du G7, l'Allemagne poursuit ses efforts pour établir ce « club climat » en y associant, bien entendu, ses principaux marchés exportateurs.

Pour Bruno Le Maire, le CBAM est une « mesure de justice économique ». « Nous faisons des efforts pour décarboner nos industries et pour décarboner notre métallurgie, pour décarboner nos cimenteries. Nous ne voulons pas perdre tous ses efforts en important des produits largement carbonés et moins chers qui nous livrent une compétition inéquitable », a-t-il ajouté.

La question délicate des quotas gratuits

Afin d'offrir aux entreprises et aux autres pays sécurité et stabilité juridique, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sera progressivement mis en œuvre. Il ne s'appliquera, dans un premier temps, qu'à un certain nombre de biens présentant un risque élevé de fuite de carbone : engrais, aluminium, fer et acier, ciment, et production d'électricité. « Un système de déclaration s'appliquera à partir de 2023 pour ces produits dans le but de faciliter un déploiement en douceur ainsi que le dialogue avec les pays tiers, et les importateurs commenceront à payer un ajustement financier en 2026 », précise la Commission dans sa communication.

Le CBAM s'inscrit dans une réforme plus globale du marché du carbone. Il faudra, par ailleurs, et à brefs délais, que l'UE adopte dans d'autres forums que l'Ecofin une disparition progressive du système des quotas gratuits de carbone aux entreprises européennes. Faute de quoi le CBAM ne remplirait pas les critères d'équité de l'OMC.

La Pologne et la Suède repoussent la fiscalité minimale

Par ailleurs, l'Ecofin n'est pas parvenu à atteindre l'unanimité sur le deuxième texte examiné mardi : le projet de directive transposant au sein de l'UE l'accord à l'OCDE sur l'imposition minimale (15 %) des grands groupes à l'international. Il s'agit ici du pilier II d'une réforme de la fiscalité internationale. Le pilier I comprend une taxe sur les profits des géants du numérique. Mais sa mise en œuvre dépend de la ratification d'un traité international et non d'une directive européenne.

La Pologne considère que la réforme de la fiscalité internationale comprend les deux piliers de manière indissociable. « Nous ne voulons pas qu'ils soient séparés dans l'Union européenne », a déclaré la représentante du pays d'Europe centrale. Par conséquent, pour Varsovie, les deux textes doivent entrer en vigueur en même temps. Bruno Le Maire a proposé d'étaler cette entrée en vigueur de la directive européenne entre le 1er et le 31 décembre 2023. La Suède n'est pas non plus en mesure de donner son accord. « Après avoir consulté notre Parlement, nous pensons qu'il est encore trop tôt pour se mettre d'accord sur une orientation générale », a lancé Mikael Danberg, pour la Suède.

La présidence française ne désespère pas d'y parvenir lors du prochain conseil Ecofin des 4 et 5 avril. Bruno Le Maire porte ce sujet depuis cinq ans. « J'ai appris la patience, lâche-t-il. Il y a encore des réserves qui se sont exprimées. Nous avons combattu pendant cinq ans pour parvenir à cette fiscalité minimale. Nous pouvons attendre encore trois semaines. Nous allons utiliser ces trois semaines pour lever toutes les dernières réticences. »