
Europe
Selon l’Elysée, l’arrivée au pouvoir du chancelier Friedrich Merz est une bonne nouvelle pour l’Europe. Mais les divergences de la France avec l’Allemagne sont toujours bien là.
l'Opinion - 4 mai 2025 - Par Jean-Dominique Merchet
Entre la France et l’Allemagne, c’est une nouvelle lune de miel. L’entrée en fonction, ce mardi 6 mai, du nouveau chancelier Friedrich Merz devrait apporter un nouveau souffle dans la relation entre les deux pays. C’est en tout cas ce que l’on souhaite à Paris comme à Berlin. Mercredi 30 avril, l’Elysée a tourné donc la page Olaf Scholz sans beaucoup de regrets, en recevant le chancelier sortant et son épouse pour un diner d’adieu avec le couple Macron.
Avec son successeur, une ère radieuse s’annoncerait : on va « solder les malentendus », « retrouver le réflexe franco-allemand », « donner des impulsions immédiates », entend-on à la présidence de la République. Côté français, on est rarement avare en autosatisfaction (« Macron avait raison... ») et en vœux pieux. Côté allemand, un solide réalisme s’impose.
Réalisme. Spécialiste allemand des relations internationales, Ulrich Speck met en garde : « Il est important d’être réaliste – sinon, Paris risque d’être déçu à nouveau... Une fois encore, Emmanuel Macron pense que l’Allemagne est maintenant prête à faire ce qu’il veut qu’elle fasse. Friedrich Merz peut parler gentiment, mais la position de l’Allemagne reste inchangée. Nous pourrions même assister à une compétition franco-allemande encore plus forte, car Merz est aussi ambitieux que Macron. Je m’attends à quelques semaines de lune de miel entre eux – et ensuite, il y aura un désenchantement croissant, car leurs personnalités et leurs ambitions vont s’affronter. »
Friedrich Merz et Emmanuel Macron ne manquent pas de points communs : tous les deux affectionnent les formules tranchantes et les initiatives hardies – l’Allemand a ainsi réformé la Constitution pour lever le frein à la dette avant sa nomination ! –, tous les deux ont une pratique solitaire et autoritaire du pouvoir, tous les deux ont une très solide culture économique et financière. Avant même sa victoire électorale du 23 février, Merz a été courtisé par l’Elysée et les deux hommes ont depuis lors échangé à plusieurs reprises « de manière approfondie ».
Comme le veut la tradition, c’est à Paris que Merz effectuera, mercredi 7 mai, son premier déplacement à l'étranger. « Ce sera une visite de travail très opérationnelle pour nous re-synchroniser », explique-t-on à l’Elysée. Un conseil des ministres franco-allemand pourrait être programmé « à l'été ».
« Intérêt européen ». La relation franco-allemand s’inscrit évidemment dans le cadre de l’UE, où s’exprime « une forte volonté commune de faire prévaloir l’intérêt européen », indique l’Elysée. La calendrier fait bien les choses. Lundi, le président Macron rencontre Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à l’occasion de la conférence « Choose Europe for Science », à la Sorbonne.
Mercredi, visite de Friedrich Merz à Paris. Jeudi, commémoration « nationale » du 8 mai, c’est-à-dire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vendredi, « journée de l’Europe », mais surtout signature à Nancy du traité d’amitié et de coopération entre la France et la Pologne. Ce traité s’inscrit dans la logique de ceux d’Aix-la-Chapelle (avec l’Allemagne en 2019), du Quirinal (avec l’Italie en 2021) et de Barcelone (avec l’Espagne en 2023) : il s’agit « d’assoir l’agenda européen sur de fortes coopérations bilatérales » avec les grands pays de l’UE.
Le traité de Nancy – la ville où s'était établi le roi de Pologne Stanislas Leszczynski au XVIIIe siècle – prend une dimension particulière, avec le retour en force du « Triangle de Weimar » (France, Allemagne, Pologne). C’est notamment l’un des axes forts de la diplomatie allemande. Le contrat de la nouvelle coalition allemande stipule ainsi que « l’’amitié franco-allemande demeure d’une importance capitale pour toute l’Europe. De même, nous souhaitons continuer à approfondir l’amitié avec notre voisin de l’Est, la Pologne. Au sein du Triangle de Weimar, nous chercherons une coordination étroite sur toutes les questions pertinentes de la politique européenne ».
Deux autres grands rendez-vous européens sont ensuite programmés : le 16 mai, le sixième sommet de la Communauté politique européenne (CPE), une instance pan-européenne mise en place par Emmanuel Macron, aura lieu à Tirana, capitale de l’Albanie, puis le Conseil européen se tiendra à Bruxelles le 12 et 13 juin prochain.
Endettement. Si les démonstrations d’enthousiasme franco-allemand ne vont pas manquer dans les prochains jours, quelques dossiers délicats sont toujours sur la table. Le plus essentiel est celui de l’endettement en commun des Européens. A Paris, on veut que « la Commission [de Bruxelles] accélère. Elle a un agenda très français, mais on ne peut pas rester dans le business as usual. Les constats, avec les rapports Letta et Draghi, c'était l’année dernière ! »
Pas sûr que Berlin se laisse séduire par l’idée d’euro-bonds pour financer les investissements dans la défense, le numérique ou la décarbonation. En ouvrant le coffre-fort allemand avec la réforme du 18 mars dernier, Friedrich Merz considère qu’il a déjà fait le job. D’autant qu’il sait que cette mesure, qui favorise les dépenses plutôt que les réformes de structures, ne déclenche déjà pas l’enthousiasme dans son propre parti (CDU)... alors qu’il est concurrencé dans les sondages par l’AfD très eurosceptique.
Sur le Mercosur, le traité de libre-échange entre l’UE et l’Amérique latine, le désaccord est net : la France est contre et l’Allemagne pour. « Nous allons traité les sujets de désaccords », assure l’Elysée. Un responsable allemand de premier plan estime que cet accord « a une dimension géopolitique » à l’heure de la guerre commerciale de Donald Trump : « Si on le signe pas, personne ne nous prendra au sérieux sur le libre-échange ». Dans l’accord de coalition allemand, il est écrit noir sur blanc qu’il « doit enfin être finalisé ».
« Merz va insister encore plus que Scholz et mon sentiment est que la France va devoir céder », avance un élu allemand. Avec le départ des Verts de la coalition allemande, les désaccords sur le nucléaire seront en revanche moins vifs. Les deux pays mettent en avant « la neutralité technologique » dans le choix de leurs sources d'énergies.
Enfin, face à l’administration Trump, les Allemands – sous le choc – se montrent beaucoup plus prudents que ne l’espèrent les Français. « Il n’y a pas de solution de rechange à l’alliance avec les Etats-Unis, car on dépend des capacités militaires américaines. On ne va donc pas les froisser encore plus ou agir comme si les Américains étaient déjà perdus... », avertit ainsi un élu de la nouvelle coalition.
- 20 Lectures