Politique
Sébastien Lecornu s’est engagé à ne pas recourir au 49.3 lors du débat budgétaire. « Aucun constitutionnaliste sérieux n’a pu penser c'était une bonne idée », fustige le maître de conférence en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas, selon lequel cette arme constitutionnelle est désormais le moyen le plus « acceptable » pour adopter le budget 2026
L'Opinion - 21 novembre 2025 - Par Antoine Oberdorff
Si le gouvernement exclut d’avoir recours aux ordonnances pour faire passer le budget, le scénario d’un retour du 49.3 est-il évitable ?
En l’état, il n’y a pas de majorité pour voter le budget et l’on sait qu’in fine il n’y en aura pas. On assiste depuis quelques semaines à une tragédie grecque : au début, le chœur annonce le dénouement que le destin impose aux personnages ; tout le jeu des acteurs consiste donc à espérer nous faire oublier ce que l’on sait déjà. Mais le destin gagne toujours. Il faudrait, pour que le budget passe, que tous les macronistes, les LR et les socialistes le votent. C’est exclu. L’autre option serait que tous les macronistes et les LR votent pour, et que les socialistes, les écologistes et les communistes s’abstiennent. C’est peu imaginable.
Dès lors qu’il n’y a pas de majorité, on peut gagner un peu de temps avec des lois spéciales, mais ce sont des rustines. A terme, il faudra soit recourir au 49.3, soit aux ordonnances.
La lecture du secrétariat général du gouvernement est formelle : il n’est pas possible de prendre des ordonnances sur la base d’un texte modifié. Est-il possible de déroger à cette règle ?
Les ordonnances des articles 47 et 47.1 sont un mystère pour les juristes : nous n’avons aucun précédent. A priori, aucune disposition n’habilite le gouvernement à intégrer des amendements. Si l’on commence à déduire des habilitations implicites pour un pouvoir déjà très peu encadré, on prend une pente dangereuse. Cela dit, en toute honnêteté, on ne sait même pas si un juge (Conseil constitutionnel ou Conseil d’Etat) se déclarerait compétent… et, si c'était le cas, prendrait-il le risque d’annuler des ordonnances à quelques jours du 31 décembre ? Cela peut donc se tenter… Ce n’est pas de très bonne pratique juridique, mais cela permettrait au gouvernement de calmer les tensions. Il pourrait intégrer les amendements déjà votés ce qui équivaudrait alors, dans les faits, à un 49.3, mais sans qu’un vote de censure ne puisse y répondre : un 49.3 en bien plus autoritaire.
Le volet « recettes » du budget de l’Etat pourrait être soumis au vote samedi et, à ce stade, pas une voix, pas un député ne semble disposé à le soutenir. N’est-ce pas la preuve que l’abandon du 49.3 était une erreur funeste ?
Le 49.3 n’est pas une idée du général De Gaulle : c’est un mécanisme imaginé sous la IVe République pour gouverner sans majorité, porté en 1958 par deux anciens présidents du Conseil, Pierre Pflimlin et Guy Mollet. On comprend qu’au regard de la pratique de ces dernières années, il soit impopulaire. Mais en période d’absence de majorité, c’est l’un des instruments les plus utiles de notre Constitution. Il y a de mauvais usages du 49.3, il y en a aussi de bons. Michel Rocard s’en est beaucoup servi alors qu’il dirigeait un gouvernement minoritaire : il retenait des amendements de l’opposition et négociait avec elle pour qu’une censure ne soit pas votée, sur la base d’un texte de consensus. On pourrait – et devrait – faire cela aujourd’hui.
Le piège du parlementarisme, sans garde-fou, est-il en train de se refermer sur Sébastien Lecornu et Olivier Faure ?
Le parlementarisme, ce n’est pas ça ! Nulle part ! Il doit bien y avoir une raison. Dans les autres pays, on commence par former une coalition et, dans le contrat de coalition, on pose les grandes lignes d’un budget que l’on s’engage à voter.
Au fond, vous jugez que le rétablissement de l’article 49.3, si souvent présenté comme un outil de brutalisation du Parlement par les oppositions de gauche, est la seule voie démocratique acceptable pour faire adopter le budget ?
Bien utilisé, le 49.3 peut permettre de trouver un modus vivendi acceptable et moins coûteux pour tout le monde. A défaut, il faudra sans doute en passer par des ordonnances. Or, on a toujours voté un budget dans ce pays depuis 1816. Notre régime parlementaire est fondé sur le contrôle budgétaire. Et, au mieux, si l’on intègre des amendements, ces ordonnances s’apparenteront à un 49.3 sans vote. Si on les utilise cette année, on les utilisera sans doute l’an prochain, où il ne sera pas plus simple d’avoir un budget à quelques mois d’une présidentielle. On normaliserait ainsi un instrument lourd de conséquences.
Est-ce aux socialistes de demander publiquement le retour du 49.3 ? Par ailleurs, comment faire pour que cela ne débouche pas sur une censure immédiate du gouvernement ?
Le gouvernement ne sera censuré que si les socialistes votent la censure. C’est donc bien au PS que se trouvent les clés aujourd’hui. Les socialistes sont sans doute conscients de la situation, mais, en effet, le retournement politique est difficile à mettre en scène. Aucun constitutionnaliste sérieux n’a pu penser que renoncer au 49.3 était une bonne idée. C’était une bonne idée de communication politique à court terme. C’est maintenant aux communicants de nous sortir de la nasse dans laquelle ils nous ont mis.
Pourquoi écarter le scénario d’une loi spéciale ? Du côté du ministère des Comptes publics, elle tient encore la corde ! Les fonctionnaires pourraient-ils être payés ?
Il n’y a pas de shutdown en France. On peut, et, juridiquement, on est contraint de payer les fonctionnaires, de faire fonctionner les cartes Vitale… Pour autant, les lois spéciales ne sont que des rustines. Elles n’ont pour vocation que d’autoriser l’Etat à lever l’impôt et à emprunter sur la base du budget de l’année précédente. Cela signifie, notamment, qu’on ne réindexe pas certains impôts, comme le barème de l’impôt sur le revenu. Par ailleurs, si le budget est voté après le 1er janvier, les marges de manœuvre et de négociation sont réduites, contrainte par la non-rétroactivité fiscale.
Enfin, les dépenses peuvent toujours être exécutées, certes, mais uniquement celles qui permettent la continuité de l’Etat. Cela implique des politiques publiques atones et des marchés publics en attente. Derrière ces marchés, il y a des entreprises, des sous-traitants… bref, une partie non négligeable du tissu économique serait en grand danger. L’an dernier, l’impact a été limité, car on a vite voté un budget… mais on avait alors un 49.3 et pas de campagne municipale.
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