Boris Vallaud et Olivier Faure à l'Assemblée nationale, le 16 octobre 2025. - Sipa Press

Budget 

Les socialistes jurent qu’ils ne voteront pas le budget de la Sécurité sociale « en l’état ». Mais ils laissent une porte entrouverte à dessein : celle d’un vote « si le texte était intégralement réécrit par le Parlement », au risque de ne pas contenir le déficit sous la barre des 5 % en 2026.

L'Opinion - 22 octobre 2025 - Par Antoine Oberdorff

Les faits - Selon les calculs de l’Opinion, il en coûterait 15 milliards pour satisfaire les exigences du Parti socialiste en expurgeant le PLFSS de toutes ses mesures d'économies. Celui-ci devrait être examiné en commission à l’Assemblée nationale à partir de lundi, et non dès ce jeudi comme prévu initialement.

La lettre rectificative, obtenue de haute lutte auprès de Sébastien Lecornu, ne résout rien au casse-tête des socialistes. Dans moins de cinquante jours, en fin de parcours budgétaire, ils devront trancher : voter l’intégralité du projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) – et avaler une potion amère pour sauver l’acquis de la réforme des retraites. Ou le rejeter, au risque de voir le texte s’appliquer par ordonnances dans la version voulue par le gouvernement.

Dans cette dernière hypothèse, Olivier Faure et les siens seront accusés par Jean-Luc Mélenchon et tout l’orchestre insoumis d’avoir permis une « saignée sociale » pour « trois petits mois » gagnés sur la bataille des retraites. « Quand bien même on retirerait le gel des prestations sociales, les franchises médicales, etc., on ne pourra pas tout faire sauter », s’inquiète par avance la députée PS du Rhône, Sandrine Runel.

A chaque jour suffit sa peine : pour l’heure, l’unité socialiste dirigée par Boris Vallaud compte bien remanier de fond en comble le budget de la Sécurité sociale. Objectif : que le gouvernement ne puisse plus reconnaître sa copie initiale, une fois sortie de la lessiveuse de la commission des Finances de l’Assemblée. Et depuis lundi, la lessiveuse tourne à plein régime. Sur son passage, elle emporte toutes les mesures impopulaires qui auraient permis – au moins provisoirement – de redresser les comptes publics.

On ne votera pas ce PLFSS. Mais si ça devient celui du Parlement et qu’on l’a purgé des parties problématiques, tout peut être envisageable.

Arthur Delaporte, député PS du Calvados

Musée des horreurs. Au diable toutes ces économies faites « sur le dos des Français » ! De la gauche PS à l’extrême droite RN, les élus unissent leur voix pour annuler ces dispositifs qui ne passent pas auprès de leurs administrés. Le fameuse « année blanche », la suppression de l’abattement de 10 % sur les frais professionnels des retraités… ce « musée des horreurs » effraye les chefs à plumes du PS. Dans un entretien à Mediapart, Olivier Faure s’est montré formel : le vote pour le PLFSS « n’est pas une option » pour le groupe PS, mais l’abstention « en est une » pour peu qu’il y ait « toute une série d’évolutions ».

En vérité, Olivier Faure connaît trop bien les rapports de force au sein du Palais Bourbon pour ignorer que le cumul des voix d’opposition déclarée — la gauche hors PS, le RN et les ciottistes — dépasse de loin celles de la « plateforme de stabilité » (EPR, MoDem, Horizons, Droite républicaine), y compris en intégrant les indépendants de LIOT. 265 contre 234 : les chiffres sont têtus. Le premier secrétaire du PS sait donc que ses camarades de banc n’auront pas le loisir de s’abstenir s’ils veulent réellement que le PLFSS soit adopté, avec sa lettre rectificative.

Il faut donc relire Olivier Faure dans le texte pour comprendre que le groupe PS ne votera pas le PLFSS... « en l’état ». « On ne votera pas ce PLFSS, réaffirme Arthur Delaporte, député PS du Calvados et proche du chef. Mais si ça devient celui du Parlement et qu’on l’a purgé des parties problématiques, tout peut être envisageable. » Avec des « si », on réécrit un texte budgétaire de A à Z. Dès lors, à quoi ressemblerait une copie suffisamment digeste pour que les élus du PS la ratifient ?

En commission des Finances, il s’est d’ores et déjà trouvé une large majorité de députés pour rétablir l’abattement de 10 % sur les frais professionnels pour les retraités. Majorité aussi pour exempter de toute taxation les indemnités journalières pour les malades en affection de longue durée. Majorité encore pour empêcher l’entrée en vigueur d’une année blanche qui priverait les allocataires sociaux de toute revalorisation. Majorité toujours pour accorder des baisses d’impôt aux mères divorcées sur les pensions alimentaires.

Le renoncement au 49.3 permettra d’éliminer les scories du PLFSS, mais une discussion directe avec l’exécutif sur la mise à contribution des hauts patrimoines est désormais nécessaire.

Laurent Baumel, député PS d'Indre-et-Loire

Ivresse fiscale. A ce rythme-là, selon les estimations établies par l’Opinion, l’ensemble des mesures impopulaires qui pourraient être supprimées dans les PLF et PLFSS représente un impact budgétaire total de l’ordre de 15 milliards d’euros.

Parmi les principales dispositions dans le collimateur du PS figurent le gel du barème de l’impôt sur le revenu (1,9 milliard), le gel de la CSG (0,3 milliard), la suppression de l’abattement de 10 % pour les retraités (1,1 milliard), ainsi qu’une année blanche sur les prestations sociales (3,5 milliards) et le gel du point d’indice des fonctionnaires (3,3 milliards).

S’y ajoutent la fiscalisation des salaires étudiants et la baisse de la réduction d’impôt sur les frais de scolarité (0,5 milliard chacune), le décalage de l’âge d’éligibilité à la majoration des allocations familiales de 14 à 18 ans (0,2 milliard), la fiscalisation des indemnités journalières pour affections de longue durée (0,7 milliard), la poursuite de la TICFE pour les ménages (0,7 milliard) et l’arrêt du taux réduit de TVA sur l’électricité (0,5 milliard).

Ne verront pas non plus le jour dans le budget de la Sécurité sociale : la hausse des franchises médicales et des participations (2,3 milliards), la hausse du forfait hospitalier (0,4 milliard) et le plafonnement des indemnités journalières (0,5 milliard).

Une fois retirées toutes ces mesures honnies par les oppositions, des milliards d’économies se seront envolés par les fenêtres de la commission des Finances. Certes, le Premier ministre a desserré la cible de déficit à 5 % pour 2026, mais en l’absence de recettes ou d’économies de substitution, la trajectoire budgétaire du pays partira dans le décor. « C’est pour cela que nos propositions de recettes ne peuvent être balayées d’un revers de la main, insiste Laurent Baumel, député PS d’Indre-et-Loire. La commission de Finances n’est qu’un tour de chauffe. Il confirme que le renoncement au 49.3 permettra d’éliminer les scories du PLFSS, mais une discussion directe avec l’exécutif sur la mise à contribution des hauts patrimoines est désormais nécessaire. »

Vexés d’avoir vu la taxe Zucman rejetée avec l’aide de Marine Le Pen, les spécialistes budgétaires du PS tablent notamment sur une augmentation du rendement de l’impôt sur les sociétés (IS) pour passer de 4 à 8 milliards d’euros. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse fiscale.