Christelle Morançais et Agnès Verdier-Molinié. olivier coret / olivier coret

Finances publiques

Alors que le gouvernement de François Bayrou n’arrive pas à réduire durablement les dépenses de l’État, Christelle Morançais, présidente de la région Pays de la Loire, et Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation Ifrap, démontrent qu’il est possible de le faire.

Le Figaro Magazine - 21 février 2025 - Par Carl Meeus

Impossible de réaliser des économies en France ? Allons donc : Christelle Morançais, présidente de la région Pays de la Loire, vient de faire voter son budget avec une réduction de 100 millions d’euros de dépenses. Une décision qui lui vaut de nombreuses critiques et caricatures. Avant elle, Laurent Wauquiez, en Auvergne-Rhône-Alpes, et Valérie Pécresse, en Île-de-France, avaient montré la voie.

De son côté, au niveau national, Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation Ifrap, propose, dans son nouveau livre (Face au mur.Les solutions pour s’en sortir, Éditions de l’Observatoire), un plan de plus de 100 milliards pour redresser les comptes du pays. Deux femmes courageuses qui démontrent qu’avec des idées et de la volonté, la France peut réduire ses déficits.

LE FIGARO MAGAZINE. - Depuis cinquante ans, la France vote des budgets en déficit. Le pays a une dette de plus de 3 200 milliards d’euros. Agnès Verdier-Molinié, vous proposez dans votre dernier livre un plan de plus de 100 milliards d’économie. Comment y arrivez-vous quand le gouvernement de François Bayrou peine à baisser le déficit de 20 milliards entre 2024 et 2025 ?  AGNÈS VERDIER-MOLINIÉ. – Les mesures d’économies, de baisses d’impôts et de réformes que je propose ont été prises par d’autres pays et ont fait leurs preuves ! N’en déplaise à certains, il est possible de baisser la dépense publique en valeur, de réduire les doublons et les effectifs, de réduire le nombre d’agences publiques, de supprimer des normes, de prendre des mesures pour travailler plus et plus longtemps – donc de repousser l’âge de départ à la retraite. Et, bien sûr, de revoir la dépense sociale avec une allocation unique, plafonnée à 90 % du smic et délivrée par Bercy.

En fait, c’est le sujet de la dérive des dépenses qui doit être mis au cœur du débat public actuel. Et la folie fiscale qui doit être stoppée. Mais cela demande d’ouvrir la boîte de Pandore de l’utilisation de l’argent public comme on ne l’a jamais fait et de se poser la seule question qui vaille : comment dépenser moins pour de meilleurs services publics ? Nous sommes face au mur de la dette et il faut agir. C’est maintenant qu’il faut passer aux solutions pour s’en sortir. Dans Face au mur, je mets 50 propositions concrètes sur la table.

Justement, vous avez en face de vous une présidente de région qui vient de faire voter un budget avec 100 millions d’économies. Dans son plan, Agnès Verdier-Molinié évoque une baisse de 10 % de subventions aux associations. C’est un des éléments de votre plan. Comment avez-vous fait pour y arriver ?  CHRISTELLE MORANÇAIS. – Agnès Verdier-Molinié le dit à juste titre : les dirigeants responsables connaissent les solutions pour réduire la dette. La question n’est pas comment faire, mais a-t-on le courage de le faire ? Pour moi, réduire la dette est une nécessité absolue. Nous le devons à nos enfants. Depuis cinquante ans, nos comptes publics sont en déficit. J’ai pris le sujet à bras-le-corps dans ma région des Pays de la Loire ; je me suis retroussé les manches, j’ai pris le budget ligne à ligne, j’ai fait des choix et, surtout, je m’y suis tenue. Coûte que coûte. Ce n’est pas facile, car ce pays est shooté à la dépense publique, et ceux qui en vivent sont prêts à tout pour vous faire reculer. Mais je n’ai pas reculé. Je ne fais pas de la politique pour être aimée, mais pour être utile.  Qu’est-ce qui est le plus efficace pour réduire le déficit : des grosses coupes claires à quelques endroits où un petit coup de rabot un peu partout ?  A. V.-M. – La France dépense 260 milliards d’euros d’argent public de plus par an par rapport aux autres pays de la zone euro. Avec un tel montant, on ne peut pas simplement se contenter d’une ou deux mesures. En réalité, il faut se poser la question de la réorganisation totale des missions. Quand Christelle Morançais dit qu’elle a regardé ligne à ligne les postes de dépenses, c’est parce qu’il y a dans les budgets des régions des dépenses qui ne correspondent pas à leurs missions essentielles.

Toutes les collectivités fonctionnent ainsi. Mais l’État aussi. Prenez l’exemple de la culture. Est-ce du domaine de l’État, de la région, du département ou de la commune ? Est-ce celui de l’intercommunalité ? Toutes les instances publiques pensent que la culture, c’est leur domaine ! Et ce n’est qu’un exemple. Toutes les strates publiques veulent intervenir sur toutes les politiques publiques dans une cacophonie délirante. Et personne n’est vraiment responsable de rien. En ce qui concerne les régions, nous avons comparé, à la Fondation Ifrap, les dépenses de fonctionnement et les dépenses de personnel région par région.

Si l’on applique aux autres régions le niveau de dépenses de fonctionnement par habitant de la région Pays de la Loire,
on arrive à une économie de 3 milliards d’euros par an.

Agnès Verdier-Molinié

C. M. – Nous ne renouvellerons pas 100 postes de fonctionnaires dans la région.  A. V.-M. – Si l’on applique aux autres régions le niveau de dépenses de fonctionnement par habitant de la région Pays de la Loire, on arrive à une économie de 3 milliards d’euros par an. Ce n’est pas rien ! Sur les dépenses de personnel, on arrive à 500 millions d’euros d’économies par an. Ce qu’on dit là pour les régions, on peut le dire aussi pour les communes, les intercommunalités, les départements, les services ministériels, les agences de l’État…  C. M. – Beaucoup d’élus demandent plus de décentralisation, mais de quoi on parle concrètement ? Aujourd’hui, tout le monde veut tout faire et s’occuper de tout. À l’échelle locale, on finit par bâtir des projets en fonction des subventions à décrocher plutôt que de leur véritable utilité. Des subventions qui sont versées par l’État, les régions, les départements, avec, à chaque fois, un nouveau dossier à instruire… Parfois, le coût de l’instruction dépasse le montant de la subvention.

On marche sur la tête ! Et c’est pareil dans plein d’autres domaines. Prenez l’emploi, on a créé en 2023 le nouvel opérateur France Travail, qui compte 59.000 agents, mais on a choisi de maintenir des organismes dédiés aux jeunes. On empile les dispositifs, on multiplie les agences, on creuse les déficits, et plus personne ne sait qui fait quoi… A. V.-M. – Effectivement, beaucoup parlent de décentraliser, mais personne ne dit exactement comment le faire : en clarifiant les compétences de chacun et en imposant un pacte d’efficience (une contractualisation) et une comptabilité analytique harmonisée pour suivre les dépenses. Nous pourrions supprimer aussi un ou deux échelons : intercommunalité, département ? Et revoir la carte communale. Les Pays-Bas, la Suède et la Grèce on réduit drastiquement leur nombre de communes. Je suis frappée de voir des politiques à fond pour faire des économies sauf… pour les collectivités locales. Idem pour une vraie décentralisation.

Prenons l’exemple de l’éducation. Les régions ont la « compétence » sur les lycées. Ça veut dire qu’elles s’occupent des bâtiments, de leur entretien et des personnels de service. Mais elles n’ont aucune compétence sur les enseignants. Résultat, la région n’a pas son mot à dire sur la chute de la qualité de l’enseignement public. L’éducation ne devrait-elle pas être gérée au niveau des régions ou du bloc communal, y compris pour l’embauche des professeurs ? La Suède, l’Allemagne et le Portugal l’ont fait.

Pour revenir au coup de rabot ou à la coupe claire, dans votre région, vous avez choisi quelle méthode ?  C. M. – Le coup de rabot, c’est comme la mauvaise herbe, on coupe et, le lendemain, ça repousse de plus belle. Faire de la politique, c’est faire des choix clairs à partir d’une stratégie claire : qu’est-ce qui est prioritaire ? Qu’est-ce qu’on garde ? Qu’est-ce qu’on supprime ? J’ai bâti mon budget de cette manière-là, comme n’importe quelle famille ou entreprise qui doit faire des choix. Ensuite, il faut assumer et tenir bon. J’ai pris la décision de recentrer la région sur ses compétences prioritaires, et j’ai supprimé la quasi-totalité des subventions pour pouvoir maintenir un haut niveau d’investissement. En clair, les dépenses de fonctionnement baissent drastiquement, mais les investissements progressent. Quand on construit un lycée, on investit pour 10 générations. Et le rôle d’une région, c’est de préparer l’avenir ! 

En baissant les dépenses et les subventions de la région, j’ai touché à un véritable tabou français.

Christelle Morançais

Est-ce que le problème ne vient pas aussi des politiques à la tête de collectivités locales qui ne veulent pas réduire les subventions parce qu’ils ambitionnent une carrière politique nationale ?  C. M. – Comme le disait Albert Einstein, « on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ». La France en est là, à répéter les erreurs du passé. Et même si un budget vaut mieux que pas de budget du tout, le dernier budget de la France est catastro phique… Voilà quarante ans qu’on applique les mêmes recettes et qu’on met la poussière sous le tapis. On augmente les impôts pour ne pas réduire la dépense publique. On choisit la facilité plutôt que le courage. On coupe les investissements pour ne pas toucher aux subventions. On pense à sa réélection, mais pas à l’état dans lequel on va laisser le pays à nos enfants… En baissant les dépenses et les subventions de la région, j’ai touché à un véritable tabou français.  A. V.-M. – Il existe beaucoup d’associations, ultrasubventionnées, qui ne déposent pas leurs comptes alors qu’elles sont légalement tenues de le faire car elles vivent de l’argent public. On devrait imposer des règles, par exemple dans le spectacle vivant : avoir un minimum de 50 % de ressources propres. On parle tout de même de 23 milliards d’euros par an de subventions et de 33 milliards de commande publique sur l’ensemble des associations ! C’est gigantesque. Cela fait plus de 50 % du budget total des associations. Beaucoup de pays d’Europe, dont les Pays-Bas, limitent les financements publics à 30 ou 40 %.  C. M. – Puisque le président de la République cherche des idées de référendum, j’ai une idée à lui soumettre : un référendum sur la règle d’or en matière budgétaire, autrement dit l’interdiction pour le gouvernement de présenter des budgets de fonctionnement en déficit. Je suis convaincue que les Français y seraient favorables.  A. V.-M. – La règle budgétaire à appliquer en priorité est celle de l’équilibre obligatoire des comptes sociaux. Comment peut-on continuer à endetter nos enfants et nos petits-enfants avec des dépenses de retraite, de chômage, d’aides sociales ou d’assurance-maladie non financées ? Prenez l’exemple des caisses de retraite complémentaire Agirc-Arrco. Pourquoi ont-elles des réserves ? Parce qu’elles n’ont pas de garantie par l’État pour une éventuelle dette. Donc, forcément, elles sont obligées d’avoir des comptes équilibrés.

C. M. – Aujourd’hui, on juge un ministre à sa capacité à dépenser toujours plus. C’est à celui qui dépensera le plus, pas à celui qui mènera la meilleure politique. Tout est toujours une question de moyens, au détriment de l’efficacité et des véritables priorités. Il faudrait passer chaque politique publique au tamis de l’efficacité. Et ne pas hésiter à tenter des expérimentations. Un exemple : l’État accompagne vers l’emploi les chômeurs, les régions financent leurs formations et les départements versent le RSA. Trois échelons, trois administrations, trois logiques, mais une même politique publique. J’avais proposé au gouvernement, à titre expérimental, que la région pilote l’ensemble des dispositifs de retour à l’emploi. J’attends toujours la réponse…  A. V.-M. – Quand Manuel Valls était premier ministre, en 2015, il avait accepté l’idée de régionaliser Pôle emploi, devenu depuis France Travail. Mais, selon nos informations, l’Élysée a bloqué. Pour garder le contrôle sur la politique de l’emploi mais aussi par crainte d’une grève massive des agents du service de l’emploi. FO et la CFDT se sont toujours fortement opposés à la régionalisation. Les organisations syndicales ne font pas le jeu de la meilleure gestion publique en France. Pourtant, cela se passe très bien ailleurs… En Suède, le suivi des demandeurs d’emploi est délégué aux communes. En Alle magne, c’est une responsabilité des régions.  Christelle Morançais, dans votre région Pays de la Loire, quelles ont été les réactions syndicales ?  C. M. – Nous avons eu des manifestations devant l’hôtel de région, nous avons dû voter notre budget sous la protection des CRS, mes déplacements sur le terrain sont empêchés ou perturbés, des élus de ma majorité sont inquiétés et la haine s’exprime librement sur les réseaux sociaux ! La France insoumise et la gauche radicale ont orchestré une véritable campagne d’intimidation et de déstabilisation. Rien ne nous a été épargné. Mais nous n’avons pas lâché. Il n’en a jamais été question une seule seconde.  Malgré les caricatures de vous en Mme Thatcher des Pays de la Loire, voire en vous comparant au président argentin Javier Milei avec sa tronçonneuse…

C. M. – J’ai eu droit à toutes les caricatures, ce qui évite d’avoir à débattre sur le fond. On a beaucoup entendu le milieu de la culture subventionnée, mais tous les secteurs subventionnés par la région ont été traités de la même façon. Les associations culturelles, sportives, caritatives, comme les chambres d’industrie et de commerce ou les syndicats agricoles. Tout le monde à la même enseigne, pas de différence, pas de clientélisme.

Vous aussi, Agnès Verdier-Molinié, vous avez eu droit à des pressions et des caricatures ?  A. V.-M. – Oui, notamment sur les réseaux sociaux. Des photomontages, des caricatures, de faux comptes. Des lettres ou des e-mails de menaces aussi, après des émissions. Bien entendu sous pseudos. Dans la presse également, j’ai eu droit à des attaques et des caricatures agressives. Et jamais sur le fond des études menées par la Fondation Ifrap.  Le combat vaut-il le coup malgré ces menaces ?  A. V.-M. – Être attaquées de cette manière signifie que nous sommes sur la bonne voie et que nous touchons des points sensibles. Il y a des corpora tismes ou même des courants politiques qui profitent de la mauvaise gestion publique, qui ont intérêt à ce que la France décroche encore plus, qui surfent sur le déclassement. Ils ne voudraient pas que leurs petites rentes disparaissent. Il ne faut donc surtout pas que nous nous arrêtions, au contraire. C’est justement en les contrant qu’on peut redonner de l’espoir à la majorité de nos concitoyens qui n’attendent que cela. Montrer qu’un autre chemin existe. Contre le déclin.  C. M. – Moi, ça renforce ma détermination. J’ai reçu énormément de messages d’encouragement, des milliers d’e-mails et de lettres, des gens qui m’interpellent dans la rue pour me dire « ne lâchez rien, on est derrière vous ». J’ai ressenti très profondément le soutien de cette fameuse majorité silencieuse. Je vous le confirme : elle ne fait pas de bruit, mais elle est bien là. Les Français ont parfaitement compris que ça ne pouvait plus durer.

C’est un profond changement de culture et de pratique politique que nous portons

Christelle Morançais

Comment êtes-vous arrivée à convaincre votre majorité ?

C. M. – Nous sommes tous des élus locaux. Le désastre de la dette est sous nos yeux, tous les jours : la compétitivité de nos entreprises qui recule, les salaires qui stagnent, les difficultés à l’école, à l’hôpital, dans la justice… Ma majorité a compris la nécessité d’en finir avec la « région guichet » et de se recentrer sur nos priorités. C’est un profond changement de culture et de pratique politique que nous portons. Et cette conviction dépasse mon équipe puisque sept élus d’opposition ont voté notre budget.

Pour se défendre de refuser les économies, la gauche met en avant le fameux modèle social français. Est-ce un bon argument ?

A. V.-M. – C’est un très mauvais argument. Il n’y a pas de modèle français. Il y a plutôt un antimodèle français, devenu antisocial ! Un modèle qui génère moins de richesse par habitant pour aboutir à la désindustrialisation, aux délocalisations, au chômage et à l’assistanat. Tout se tient. La France a aussi plus de dettes parce qu’on dissuade de créer de la richesse en France. Au lieu de baisser les dépenses pour résorber notre déficit public, on taxe beaucoup plus qu’ailleurs nos créateurs de richesses. Ils sont de plus en plus pressurés. Que font-ils ? Ils partent de France, ou s’ils restent, ils créent moins d’emplois. Résultat, on smicardise les Français et le chômage réel reste élevé avec plus de 5 millions de nos concitoyens qui auraient besoin de travailler et sont sans emploi.

Quant aux entreprises industrielles, qui ont des salariés très qualifiés, elles sont quasi incitées à délocaliser à l’étranger vu le niveau de charges patronales qui pèse sur les salaires au-delà de trois smic. Le « modèle français » est un attrape-nigaud. On ne peut plus continuer dans un tel niveau de déni. Dans Face au mur, je tire la sonnette d’alarme : nous devons changer de modèle, sinon la France se retrouvera sous la tutelle du FMI. Le risque est là. Beaucoup d’experts affirment que la France ne pourrait jamais se retrouver dans la situation de la Grèce. Ils se leurrent. Les mêmes n’ont pas vu venir l’inflation et étaient fans du « quoi qu’il en coûte ».

J’en arrive à me demander si un nombre croissant des décideurs publics n’attend pas tout simplement lâchement l’intervention du FMI. Pour pouvoir dire ensuite que ce qui est imposé aux Français ne vient pas d’eux, mais de l’extérieur ! C’est la pire des stratégies. Attendre que la situation se dégrade tellement qu’on finisse par toucher le fond. Alors que c’est tout de suite qu’il faudrait agir avec courage. Il faut se souvenir de ce qu’ont vécu les Grecs : baisse de 20 à 30 % des salaires publics, réduction de 30 % des effectifs publics, gel des pensions sur plusieurs années… Plus on attend, plus c’est cela qui nous attend.  C. M. – Il faut réformer en profondeur pour préserver notre modèle social. Je ne veux pas d’un système à l’américaine, où il faut sortir sa carte bleue avant d’entrer à l’hôpital. Notre modèle repose sur la solidarité : des jeunes vers les personnes âgées, des actifs vers les retraités, des valides vers les malades… Et ce qui finance le système, c’est le travail, et si ce n’est pas le travail, ce sont les emprunts, la dette et les déficits.

Dans un pays aussi endetté, qui vieillit, qui fait moins d’enfants et qui travaille moins que ses voisins, il faut avoir le courage de dire la vérité aux Français : il va falloir travailler plus, sinon le système implosera et laissera la place à un modèle brutal, avec d’un côté ceux qui ont les moyens, et de l’autre ceux qui ne les ont pas. Sur les retraites, par exemple, je propose d’indexer automatiquement l’âge de départ sur l’espérance de vie et d’introduire une part de capitalisation.  Aucune de vous deux ne propose d’augmenter les impôts. Pourquoi ?  C. M. – C’est la pire des solutions dans le pays le plus fiscalisé de l’OCDE !  A. V.-M. – Nous sommes déjà les grands champions des impôts en Europe ! Au lieu d’augmenter les impôts de 20 milliards, il faut les baisser d’autant. Sinon, comment voulez-vous que les entreprises fran çaises s’en sortent dans la compétition mondiale ? Baisser les dépenses et en même temps les impôts est la seule voie de sauvetage possible de notre éco nomie sans démoraliser les acteurs économiques. Le contraire de la plupart des débats dans l’Hémicycle. On a vraiment l’impression que nos députés sont déconnectés.  Pensez-vous que les Français sont prêts à entendre vos discours ?  A. V.-M. – Nos concitoyens sont en plein désarroi démocra tique car ils voient se dégrader la France sous leurs yeux. Et ils se sentent impuissants. On évoque ces temps-ci le recours au référendum. C’est une idée intéressante. Si on pose la bonne question, une question responsabilisante, les Français pourraient nous étonner par leur réponse. Prenez les retraites par exemple…

Quelle est la bonne question ? A. V.-M. – Si vous êtes retraité, voulez-vous payer plus de CSG ou repousser votre âge de départ à la retraite ? Et si vous êtes actif, voulez-vous payer plus de cotisations sur votre salaire tous les mois ou repousser votre âge de départ à la retraite ? Ils voteraient massivement pour repousser l’âge de départ à la retraite. La vraie équation est là. Payer tous beaucoup plus tous les mois ou travailler plus longtemps. Et sur tous ces sujets, on aurait envie de plus entendre nos entrepreneurs, qui sont en première ligne pour financer le fameux « modèle » social. Pour qu’ils nous disent qu’ils n’en peuvent plus. Que l’équation financière ne tient plus. Bernard Arnault l’a fait récemment pour dénoncer à juste titre les surtaxes sur les entreprises et les entrepreneurs.

Tous les entrepreneurs de France devraient alerter sur le point de non-retour que nous sommes en train d’atteindre

Agnès Verdier-Molinié

Mais par rapport à ce qui se passe sur le terrain – les investissements et les embauches gelés, les dossiers ouverts pour délocaliser ou partir fiscalement de France –, c’est beaucoup trop faible. Tous les entrepreneurs de France devraient alerter sur le point de non-retour que nous sommes en train d’atteindre. Qui va financer demain nos services publics si on assèche encore plus nos entreprises ?  Vous, Christelle Morançais, vous avez eu un soutien des entrepreneurs ?  C. M. – Oui, bien sûr. Mais le soutien devrait aller dans le sens inverse : c’est à la classe politique de soutenir les entrepreneurs, qui créent de la richesse et des emplois. Et je rejoins totalement Agnès Verdier-Molinié quand elle dit que la voix des grands patrons est nécessaire. Lorsque le PDG de Michelin, Florent Menegaux, explique au Sénat que pour 142 euros versés par une entreprise, le salarié n’en touche que 77,5, on comprend où est le problème ! J’ai été choquée par la façon dont le patron de Renault a été traité à l’Assemblée. Comment un député peut-il s’adresser comme ça au dirigeant d’un groupe qui emploie 41.000 salariés en France ? C’est du populisme !

Ma région est touchée par les fermetures d’usines, chez Michelin et Valeo. J’ai rencontré les syndicats. Ils ne sont pas de ma tendance politique, mais je peux vous dire qu’ils sont très attachés à leur entreprise et à la valeur travail. Ils ont parfaitement compris que le problème, aujourd’hui, ce ne sont pas les patrons et les actionnaires, mais la compétitivité de notre économie qui s’effondre. Le fossé entre les discours de la gauche et des syndicats à Paris et la réalité vécue par les salariés est abyssal !

A. V.-M. – On finit par avoir l’impression, je le dénonce dans mon livre, que nous travaillons tous au quotidien pour l’État et la Sécurité sociale. Nous sommes devenus en quelque sorte des « assujettis » des administrations publiques de ce pays. Cela devrait être l’inverse. L’État, la Sécurité sociale et les collectivités locales sont censés être au service des ménages et des entreprises de France et leur rendre compte en toute transparence.

Prenez l’exemple des pays du nord de l’Europe. En Suède, les sociaux-démocrates ont constaté que les entrepreneurs partaient, notamment en Suisse, en raison des droits de succession trop élevés. Qu’ont-ils fait ? Ils les ont totalement supprimés. Si vous proposez cela en France, on va vous parler pendant des heures d’inégalités. Résultat, pendant qu’on discute, on a moins de transmissions d’entreprises entre générations (20 % en France contre 83 % en Suède) et plus d’entreprises qui disparaissent.  N’y a-t-il pas une responsabilité de la droite dans la situation actuelle de la France ?  A. V.-M. – La droite a clairement une part de responsabilité dans le déclin qu’on est en train de vivre. Elle a souvent dit qu’elle allait faire le travail et, finalement, il ne s’est rien passé ou pas grand-chose. Souvenez-vous de 2007, quand Nicolas Sarkozy promet de baisser les prélèvements obligatoires de 3 points de PIB, de baisser le nombre d’agents avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. À la fin, on a augmenté les impôts. Et le nombre d’agents – en comptant les opérateurs de l’État, les collectivités et les hôpitaux – n’a pas baissé… Les réformes se sont arrêtées au milieu du gué. En 2012, les plans Fillon de réduction de la dépense publique ont été en réalité à 80 % des augmentations d’impôts (la CSG-CRDS à 15,5 % sur les revenus du capital…) avec la fameuse et hypocrite expression de la « baisse de la dépense fiscale ».

Et en 2017 ? Rebelote. Emmanuel Macron propose de baisser la dette, de réduire la dépense publique et le nombre d’agents publics. Et attire les voix de droite et du centre… En 2022, il promet la retraite à 65 ans. On voit où on en est en 2025 ! Il y a quelque chose qui dysfonctionne entre les programmes, les promesses et leur application. L’Administration fait le gros dos, joue la montre et reprend souvent la main. Mais les médias aussi ne jouent pas assez le jeu de décoder le factuel de l’irréaliste populiste. Quand un candidat dit qu’on peut revenir à la retraite à 60 ans ou à 62 ans, augmenter les salaires des fonctionnaires de 10 % ou taxer à 75 %, laisser passer comme si cela était possible, c’est cautionner.  C. M. – Je crois à l’authenticité en politique. Qu’on juge aux actes plus qu’aux paroles. Les doubles discours se voient comme le nez au milieu de la figure ! Les Français ne sont pas dupes, on leur a tenu trop de promesses sans lendemain. Si la droite ne s’assume pas comme libérale en économie, alors c’est qu’elle est de gauche.  Un candidat à l’élection présidentielle peut-il gagner avec un programme qui dirait qu’il faut faire des coupes budgétaires drastiques ?  C. M. – Poser la question, c’est déjà en douter. Je suis convaincue que les Français sont prêts à entendre la vérité. De toute manière, nous n’avons pas le choix, la France est au pied du mur. La prochaine présidentielle sera capitale : ou nous faisons le choix du populisme et nous basculons dans le déclin, ou nous prenons le chemin de la vérité et du redressement et nous faisons les efforts nécessaires. Mais il faut donner du sens à ces efforts : personne ne veut travailler deux ans de plus pour boucher un déficit de 15 milliards d’euros. Mais travailler plus pour léguer à nos enfants un modèle social viable, désendetter le pays pour relancer notre compétitivité et augmenter les salaires, réduire les dépenses de fonctionnement pour investir et préparer l’avenir. Là, il y a un projet pour rassembler une majorité de Français !  A. V.-M. – Au fond, les Français attendent ça impatiemment. La prochaine campagne présidentielle doit être un moment de vérité. Nos concitoyens n’en peuvent plus des discours simplistes sur l’égalité et la solidarité, et sur la fiscalité et les riches alors que le déclassement se joue sous leurs yeux chaque jour. Ils veulent des solutions qui permettent à la France de rebondir. Face aux murs de la dette, de la désindustrialisation, des normes, de l’assistanat et de l’insécurité, il faut des solutions claires et des engagements chiffrés. Et de l’espoir. Sinon, le ras-le-bol (y compris fiscal) sera énorme et le FMI au bout du chemin.