Finances publiques
À la surprise générale et au grand soulagement du gouvernement, l’agence américaine a maintenu la note de la dette française en «AA-», perspective «stable». Un choix inattendu dans un contexte politique et budgétaire instable.
Le Figaro - 30 novembre 2024 - Par Gilles Boutin
Coup de théâtre sur la dette française. Contre toute attente, l’agence américaine Standard & Poor’s maintient sa note inchangée, la laissant en «AA-», perspective «stable». «Malgré l’incertitude politique, nous nous attendons à ce que la France se conforme - avec un délai - au cadre budgétaire européen et consolide progressivement ses finances publiques à moyen terme», a indiqué l’agence américaine dans un communiqué. Ce maintien de la note témoigne du «crédit accordé au gouvernement pour réduire le déficit et redresser nos finances publiques», a salué dans la foulée Antoine Armand, ministre de l’Économie. «L’agence souligne toutefois le risque associé à l’incertitude politique qui viendrait remettre en cause cette trajectoire», précise Bercy dans son communiqué.
Ce samedi matin, Antoine Armand s’est montré toutefois plus mesuré : «En l’absence de budget, l’instabilité politique entraînerait une augmentation soudaine et substantielle des coûts de financement de la dette française. Cette augmentation déstabiliserait la consommation des Français, percuterait l’investissement des entreprises et minerait la croissance du pays.» «Dans l’intérêt général, notre pays a besoin d’un budget et j’en appelle aux responsabilités de chacun», a fait savoir le ministre de l’Économie lors d’un point presse.
Si le budget est toujours étudié au Sénat, Antoine Armand reconnaît qu’il était «perfectible» mais qu’il a «déjà été amélioré avec la question de la revalorisation des petites retraites ou encore du coût du travail».
L’annonce de vendredi ne manque pas d’étonner, les trois autres agences (Fitch, Moody’s et Scope Ratings) ayant toutes fait évoluer à la baisse leur appréciation de la dette souveraine française cet automne. Une correction a minima en perspective «négative» aurait été accueillie sans surprise. Or S&P a choisi de s’en tenir à sa note du mois de mai dernier, lorsqu’elle l’avait fait passer de «AA» à «AA-». L’agence sanctionnait alors la «détérioration de la position budgétaire» du pays. «Le déficit budgétaire de la France en 2023 a été nettement plus élevé que ce que nous avions prévu», avait justifié la société américaine, doutant que le déficit puisse revenir sous 3% du PIB d’ici 2027. Quelques jours après, Emmanuel Macron annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale. Puis le dérapage du déficit 2024 se confirmait, passant de 5,1% à 6,1% (contre 4,4% anticipés initialement). Autant de mauvais points qui auraient pu conduire S&P à se montrer moins clémente.
Pic de la dette en 2027
Le gouvernement Barnier nouvellement en place a fait du redressement budgétaire sa mission centrale, avec un objectif initial de 60 milliards d’euros d’économies, afin de revenir à un déficit «autour de 5%». À force de concessions pour emporter le vote des alliés politiques autant que du RN, et ainsi éviter la censure, cet objectif semble bien difficile à tenir. «Les agences doivent savoir que le gouvernement de la France est sérieux et méthodique, et que nous ferons ce que nous avons dit», a toutefois assuré le premier ministre dans un entretien accordé au Figaro . Michel Barnier a rappelé au passage que la Commission européenne avait approuvé en début de semaine la trajectoire budgétaire pluriannuelle portée par la France. Celle-ci prévoit que la dette atteindra son pic en 2027, à 116,5%, avant d’enfin entamer sa redescente. Le déficit, quant à lui, repasserait sous la barre des 3% en 2029.
Cette trajectoire, en ne donnant pas l’impression de céder à un excès d’optimisme, a probablement pesé dans le choix de Standard & Poor’s d’accorder un sursis à la France. En outre, l’agence de notation ne s’aligne pas sur l’inquiétude des marchés : le taux d’intérêt auquel l’État français emprunte à 10 ans a brièvement dépassé celui de la Grèce, atteignant 3,05% mercredi, ce qui signifie que les investisseurs ont considéré qu’il était aussi risqué de prêter à Athènes qu’à Paris... Dans l’attente du couperet de S&P, le taux français est repassé à 2,9% ce vendredi.
La dette de la France n’est cependant pas à l’abri d’une rétrogradation dans la catégorie des «A». «Il faudrait trois feux verts pour éviter une dégradation de note dans les trois ou quatre mois ou lors de la prochaine révision officielle de printemps, prévient Norbert Gaillard, économiste et consultant indépendant: que le gouvernement reste en place, qu’il présente un budget cohérent pour 2025 et qu’il aboutisse à une réduction du déficit pour l’année prochaine qui soit significative et crédible.» Pour l’exécutif, confronté à une Assemblée nationale bouillonnante, la bataille de la dette est encore loin d’être gagnée.
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