Finances publiques
Ne vous laissez pas aveugler. Les débats sur la taxation des riches, l’arrivée de l’austérité, le choc fiscal ou l'échec de la politique de l’offre ne sont que de la poudre aux yeux. L’objectif est de cacher l’essentiel : la mort cérébrale d’un modèle social dopé au déficit et sans autre issue qu’une grave crise de la dette.
L'Opinion - 15 octobre 2024 - Par Rémi Godeau*
Avec le budget 2025 présenté jeudi en conseil des ministres, les Français ont-ils compris qu’un monde agonisait ? Pris conscience de la mort cérébrale du modèle stato-consumériste, décrit par Jérôme Fourquet, directeur à l’Ifop, comme « l’extension permanente de la dépense et de la sphère publiques (financée par un niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé de l’OCDE) et le primat accordé à la consommation comme principal moteur économique, au détriment de la production » ? A défaut de clarification politique, la dissolution aura précipité la décomposition financière du pays. Avant que ne s’ouvre un débat où la posture va le disputer à l’imposture, cinq dénis méritent d'être levés.
La situation est-elle réellement « grave » ?
Pour éviter tout procès en faillite frauduleuse, les partisans de l’Etat-guichet minimisent. Michel Barnier a intérêt à dramatiser, arguent-ils, dans le ton d’une Cour des comptes qui ne cesse de crier au loup sans que jamais le péril se révèle. Après tout, la dernière vraie alerte remonte à 2005, avec le rapport Pébereau qui implorait déjà de « rompre avec la facilité de la dette publique » ; or ces vingt dernières années, alors même que l’endettement passait de 66 % à 111 % du PIB, la politique du chèque sans provision a pu prospérer sans danger apparent... Ce relativisme inspiré de l’arnaque à la Ponzi est dangereux. Pour au moins trois raisons.
Un : jamais le sentiment d’une perte de contrôle des comptes de la nation n’a été aussi fort. Prévu fin 2023 à 4,4 % du PIB, le déficit public a été révisé à 5,6 %, puis à 6,2 % qui, sans coup de frein, auraient plutôt frôlé « en tendanciel » les 7 % – une dérive de 50 milliards d’euros en neuf mois... Hors temps de crise, c’est sans précédent. Sans précédent aussi l’incapacité des services de Bercy à « reprendre le contrôle ». Le déficit de l’Etat va dépasser l’an prochain 166 milliards, dans l'étiage de la crise Covid (c'était 76 milliards en 2019). Comme le disait si bien Pierre Mendès France : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent ». Nous y sommes.
Deux : cette dérive mène à la paralysie. Gardons-nous d’un budget où « les décisions seront de plus en plus restreintes », prévient le ministre du Budget. Trop tard. L’an dernier encore, de petits alchimistes de la finance facile vendaient un monde merveilleux de dette ad libitum et de « déficits sans pleurs » où il était possible, comme l’aurait dit Jacques Rueff, « de donner sans perdre, de prêter sans emprunter et d’acquitter sans payer ». Au prétexte de « protéger les Français », ces pousse-au-crime les exposent aujourd’hui à l’appauvrissement – le PIB par habitant du pays se situe désormais sous le niveau moyen de la zone euro et 15 % en dessous de l’Allemagne.
Charges. La dette ne se rembourse peut-être pas (« elle roule »), mais elle se paie. Les taux nuls ont joué comme un anesthésiant ; leur remontée, brutale mais par chance en voie de correction, va suffire à rendre le coût de nos inconséquences insoutenable. A 55 milliards d’euros, la charge de la dette dépassera en 2025 le budget de la Défense, puis dès 2027 celui de l’Education nationale. Elle culminerait à 125 milliards en 2031 et commencerait alors à refluer ! Comprenez : chaque année, le ministre du Budget va devoir trouver a minima 10 milliards d’euros supplémentaires pour régler la facture de nos errements passés. Le scandale : cette ardoise sert davantage à payer nos fins de mois qu'à « préparer l’avenir » comme le serinent nos ministres du Budget successifs, toute honte bue.
Vignaud solde budgétaire de l'Etat
Trois : on connaît l’adage « la confiance se construit goutte à goutte et se détruit par litre ». A l’ombre de l’euro, la France too big to fail s’est offert à crédit toutes les démagogies. Mais elle commence à perdre du crédit. Ses alliés européens tiquent, les marchés toussent. Pour prêter, les investisseurs demandent désormais une rémunération supérieure – une prime pour laxisme – à celle de l’Espagne, du Portugal et même de la Grèce. En 2025, France Trésor placera bien sûr son programme de 300 milliards d’euros d’emprunts – un niveau historique – mais à quel prix ?
L’agence de notation Fitch dit tout haut ce que tout le monde murmure : « Nous ne nous attendons pas à ce que le gouvernement respecte ses prévisions révisées de déficit à moyen terme visant à ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB d’ici 2029 (deux ans plus tard que prévu) ». Le Club Med n’a plus qu’un membre gold : la France !
En dix ans, dans le classement européen de la dette publique rapportée au PIB, la France est passée de la huitième à la troisième place. Derrière la Grèce et l’Italie, deux pays qui, contrairement à nous, ont commencé à réduire leur endettement grâce à un solde budgétaire primaire – c’est-à-dire avant paiement des charges de la dette – positif.
Capitale de l’arrogance, Paris sera seul dans la zone euro à déclarer un déficit supérieur à 3 % en 2026. Et encore, l’agence de notation Fitch dit tout haut ce que tout le monde murmure : « Nous ne nous attendons pas à ce que le gouvernement respecte ses prévisions révisées de déficit à moyen terme visant à ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB d’ici 2029 (deux ans plus tard que prévu) ». Le Club Med n’a plus qu’un membre gold : la France !
La faute à la politique de l’offre ?
Les Diafoirus du « toujours plus », défenseurs clientélistes des rentiers de l’Etat-providence, ont déjà trouvé leurs coupables : la politique de l’offre et les privilèges fiscaux accordés aux plus riches. Il faut tordre le cou à ces deux canards.
La politique de l’offre n’est pas un échec. Elle a permis de ramener le taux de chômage à 7 %, le niveau le plus bas depuis quinze ans. Permis aux entreprises de gagner en compétitivité, même si l'écart fiscal avec nos principaux concurrents reste conséquent. Permis de stopper une désindustrialisation que tout le monde déplorait sans jamais se donner les moyens d’y remédier.
Le Président se justifiait drôlement, en avril 2023 : « Le plus gros bloc de dépenses, ce sont les transferts sociaux ! Une fois que vous les avez créés, bon courage pour revenir en arrière... »
Inversion accusatoire. Y renoncer, voire arrêter de la poursuivre, reviendrait à saigner un peu plus la sphère productive pour alimenter le moloch stato-consumériste. Pratiquons l’inversion accusatoire : la France ne paie pas l'échec d’une politique visant à favoriser la production, mais le fiasco d’une politique keynésienne permanente, dévoyée par des dirigeants qui y voient, à droite comme à gauche, un permis de dépenser sans compter. Au Premier ministre de Sa Majesté qui demandait à Keynes, dans les années 1930, comment sortir du trou, le célèbre économiste répondait : « Il faut d’abord arrêter de le creuser ». Déni total : personne ne l’envisage aujourd’hui dans l’Hexagone.
Sans contexte, Emmanuel Macron a contribué à creuser le trou. Par désintérêt pour les finances publiques. Parce qu’il pariait sur un retour de la croissance et de l’emploi pour réduire la part des dépenses dans la richesse produite. Dans un entretien à l’Opinion, le Président se justifiait drôlement, en avril 2023 : « Le plus gros bloc de dépenses, ce sont les transferts sociaux ! Une fois que vous les avez créés, bon courage pour revenir en arrière... » Fort de ce raisonnement, il n’a jamais cherché à financer ses baisses d’impôts : 60 % des 62 milliards d’euros d’allègement ont grossi le déficit.
Vignaud Masse salariale de l'Etat
Au profit de qui ? Sans ciller Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, reprend le discours de la gauche radicale, sur X par exemple : « Il faut que le balancier passe de l’autre côté, aux grandes entreprises et aux plus riches de passer à la caisse. » C’est oublier qu’Emmanuel Macron a réduit l’impôt sur le revenu (5,4 milliards), supprimé la taxe d’habitation (18,5 milliards) et la redevance audiovisuelle (3,2 milliards), défiscalisé les heures supplémentaires (3,6 milliards), etc. Quant à la baisse de l’impôt sur les sociétés (11,5 milliards) et les impôts de production (8,9 milliards), elle a profité aux petits comme aux grands...
Utiliser de telles intox est capital pour les défenseurs sauf à reconnaître la banqueroute du modèle stato-consumériste. Dans son livre, récemment réédité, Une sorte de diable – les vies de Keynes, Alain Minc raconte comment la relance est devenue le vade-mecum keynésien de l’homme politique. « Dans la version gauchiste, écrit-il, c’est la hausse des salaires, et en particulier des bas salaires, qui en constitue le moteur. Dans la version nationaliste, la priorité va à l’investissement, donc aux dépenses publiques d’infrastructures et de recherche, assorties de baisses massives des taux d’intérêt. Dans la version libérale – il en existe une –, la baisse des impôts constitue le nec plus ultra. » Il existe ainsi une concurrence entre écoles du « toujours plus ». L’essayiste complète : « Toutes partagent une même indifférence au niveau des déficits publics et des parités de change. »
En France, la baisse d’impôt est assimilée à un « cadeau » fait aux contribuables. Mais l’argent public n’existe pas, cinglait à raison Margaret Thatcher, il n’y a que l’argent prélevé sur le travail du contribuable. Voilà comment le taux de prélèvements est passé en France de 30 % du PIB en 1960 à 45 % aujourd’hui. Preuve que les hausses ont été plus nombreuses que les baisses ! Les allègements Macron, équivalant à 2 % du PIB, n’ont pas compensé l’alourdissement Sarkozy-Hollande – 3 % du PIB.
Changement de société. A son arrivée au pouvoir, Valéry Giscard d’Estaing assurait qu’au-delà de 40 %, la France connaîtrait « un vrai changement de société » (ce sera chose faite l’année de son départ). Et dans le rapport du VIIIe Plan, on lisait : « Si la dérive des prélèvements obligatoires continuait, elle aboutirait rapidement à une incompatibilité avec la société d’initiative et de responsabilité choisie par les Français. » Sommes-nous si loin de cette société à irresponsabilité illimitée prête à sanctionner le succès au nom d’une recherche sans limite de l'égalité ?
Taxer les riches, réponse à tout ?
Bienvenue dans le village gaulois Egalitarium ! La question des riches a saturé le débat. Avec un ressort démagogique. Il consiste à désigner un bouc émissaire – en l’occurrence « les riches », d’autres préfèrent les étrangers ou les sionistes... –, puis de leurrer les électeurs en démontrant que cibler cet unique responsable permet de résoudre tous les problèmes. Les retraites ? Il suffit de taxer les riches. Le réchauffement climatique ? Les riches ! Les services publics à vau-l’eau ? Les riches ! Le déficit ? Les riches... S’en tenir au slogan « que les riches payent » est une supercherie populiste.
Que les plus fortunés contribuent au redressement national, rien de plus légitime. Mais il faut récuser l’idée qu’il suffit de les surtaxer pour tout régler. En parlant de « justice fiscale », euphémisme mortifère dans le pays le plus redistributif de revenus au monde, le Premier ministre a versé dans un travers français dangereux, à trois titres.
D’abord, parce que cette expression est tout sauf un langage de vérité. Elle discrédite la politique et pousse les électeurs vers les extrêmes. Avant même la présentation du budget Barnier, 82 % des Français redoutaient un alourdissement de la fiscalité pour eux-mêmes. Sur l'électricité, les véhicules, les retraites ou les consultations médicales, ils ne peuvent que constater qu’ils avaient raison de s’inquiéter. Et le ministre du Budget, Laurent-Saint-Martin, a dû concéder : le redressement des comptes publics, « c’est bien l’affaire de tous... »
Rappelez-vous, en 2013, le choc fiscal concocté par François Hollande devait épargner neuf Français sur dix, au lieu de quoi il fit rentrer dans l’impôt plus d’un million de ménages modestes, percuta un million de foyers des classes moyennes et supérieures via l’abaissement du plafond du quotient familial, etc. Depuis, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, sensibilisé au ras-le-bol fiscal évoquait « un possible point de rupture pour le consentement à l’impôt ». Avec les Gilets jaunes, le gouvernement avait diagnostiqué une « exaspération fiscale »...
Le libéral Frédéric Bastiat avait vu juste : « Avec des formes fort douces, fort subtiles, fort ingénieuses, revêtues des beaux noms de solidarité et de fraternité, la spoliation va prendre des développements dont l’imagination ose à peine mesurer l'étendue... »
Ensuite, cibler la seule communauté des ultra-riches n’est tout simplement pas à la hauteur de la situation. Friedrich Hayek a découvert le pot aux roses : la progressivité est une illusion, elle fait croire que les riches portent l’essentiel du poids de l’Etat-providence pour mieux taxer le plus grand nombre des contribuables... Le think tank social-démocrate Terra Nova estime que dans le cadre constitutionnel actuel, un rendement annuel « légitime » serait de 10 à 15 milliards d’euros. On peut discuter ce chiffre qui aboutit tout de même à faire payer à 75 personnes 9 milliards d’euros supplémentaires ! Il n’empêche, il démontre par l’absurde que cette contribution n’est pas à la hauteur de la centaine de milliards d’euros nécessaire. Sauf à sombrer dans les délires fiscaux du Nouveau Front populaire...
Taxation confiscatoire. C’est le troisième point, essentiel car il touche à la liberté. La logique stato-consumériste implique d’imposer toujours plus afin de financer une redistribution sans limite. Or, la France affiche déjà le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé d’Europe. Soyons plus concrets. Nous détenons le record pour le taux marginal de l’impôt sur les hauts revenus, pour l’impôt sur les revenus du capital, pour la taxation des salaires complets, pour le taux d’imposition effectif des entreprises moyennes, etc. Comment dès lors trouver une justification idéologique à une pression fiscale plus lourde encore ?
Le Conseil constitutionnel a mis le holà. Sa jurisprudence place le seuil au-delà duquel le taux d’imposition est confiscatoire à environ 66 %. Mais les économistes qui soutiennent La France insoumise rejettent cette limite : des taux de 80 %, voire 90 % sont légitimes non pas pour obtenir plus de recettes fiscales, mais pour faire disparaître la richesse et, avec elle, les riches. Thomas Piketty, dans Le Capital du XXe siècle : « Il s’agit de mettre fin à ce type de revenu, jugé socialement excessif et économiquement stérile ou tout au moins de le rendre excessivement coûteux. »
Ce jusqu’au-boutisme revient à remettre en cause la propriété, ce « bien inviolable et sacré, [dont] nul ne peut être privé », selon l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le libéral Frédéric Bastiat avait vu juste : « Avec des formes fort douces, fort subtiles, fort ingénieuses, revêtues des beaux noms de solidarité et de fraternité, la spoliation va prendre des développements dont l’imagination ose à peine mesurer l'étendue... » Et il ne s’agit pas que de théorie. Le seuil constitutionnel explique pourquoi le gouvernement Barnier a préféré instaurer, pour les hauts revenus, un impôt minimal plutôt qu’une surtaxe... qui se serait ajoutée à la contribution exceptionnelle de François Fillon, censée être temporaire et dont l'échéance est ainsi prévue dans la loi (on se pince), « jusqu'à l’imposition des revenus de l’année au titre de laquelle le déficit public des administrations publiques est nul ». La Saint-Glinglin ne sonnait sans doute pas assez juridique.
Logique liberticide. Ceux que cette logique liberticide laisse de marbre – Jacques Rueff encore : « C’est par le déficit que les hommes perdent leur liberté » – peuvent au moins admettre l’impact de l’excès fiscal. « Trop d’impôt, pas d’impôt. On asphyxie l'économie, on limite la production, on limite les énergies », déclarait François Mitterrand au lendemain du tournant de la rigueur, en 1983.
Revenant sur le matraquage des années Hollande, la Fondation Concorde constate que « la hausse des taux d’imposition des entreprises a amené une petite croissance des recettes en 2013 qui s’est rapidement retournée à la baisse. En 2014 et 2015, les recettes ont même été inférieures au point de départ de 2012. » Même constat pour l’imposition du capital des ménages. Ces recettes représentaient 1,7 % du PIB en 2012 et 1,4 % en 2017. Elles repasseront à 1,8 % en 2022 malgré les baisses décidées par Emmanuel Macron. CQFD. Un bilan pour le moins alarmant au vu du choc fiscal à venir...
Mais alors, choc fiscal ou pas ?
Sans surprise, le ministre du Budget récuse cette expression anxiogène. De fait, la guerre des mots est un élément clé pour préserver l’hégémonie taxo-administrative – car, on le voit aujourd’hui, de moindres rentrées fiscales et le système cale.
Ainsi, à Bercy, une moindre hausse est-elle considérée comme une baisse. Le recul revendiqué des dépenses par Michel Barnier (- 40 milliards d’euros) n’empêchera pas lesdites dépenses de progresser l’an prochain de 41 milliards, à 1 699 milliards (et ce sera déjà un exploit). Ainsi, la suppression d’une niche fiscale est-elle comptabilisée comme une moindre dépense et non comme un alourdissement de l’impôt. Portant toutes sur des tarifs réduits d’accises sur l'énergie, les six niches réduites en 2025 représentent 288 millions d’euros...
Faut-il parler de « sabordage de l'école publique » comme le fait le FSU-SNUipp, parce que le premier degré public va perdre 3 155 postes quand avec la chute des naissances, la France a perdu presque un demi-million d'écoliers en maternelle et primaire depuis 2010 ?
Ainsi, l’arrêt d’allègement de charges n’est-il pas vu comme un renchérissement du coût du travail mais comme une aide publique, donc une dépense en moins. Avec une autre approche, le Haut Conseil des finances publiques considère du coup que la pression fiscale s’accroîtra de 30 et non pas 20 milliards d’euros. Et qu’elle représentera 70 % et non pas 33 % de l’effort total.
Dès lors, le choc fiscal aura bien lieu. Sera-t-il d’une ampleur inégalée ? Selon un bilan élaboré fin 2016 par l’OFCE, les prélèvements obligatoires pesant sur les ménages avaient augmenté de 47,3 milliards d’euros entre 2012 et fin 2017. « Un choc fiscal inédit », affirmait à l'époque le président de l’Observatoire, dont l’effet récessif avait été estimé à 0,8 point de PIB en moyenne par an. François Hollande n’était pas l’unique responsable. Nicolas Sarkozy avait lui aussi activé le levier fiscal en 2011 : 15,5 milliards d’euros de hausses d’impôts, supportées à 80 % par les ménages. Manuel Valls ne voulait pas « que la gauche soit identifiée à l’impôt ». La droite lui dispute le risque.
Faut-il parler d’austérité, de rigueur ?
Avec 30 milliards « d’efforts » (la dépense publique a augmenté de 300 milliards depuis 2019), le choc est caractérisé pour le gouvernement Barnier. L’avenir nous dira s’il est comparable au tournant de la rigueur négocié en 1983 par François Mitterrand. Ou au « Plan Juppé » accepté en 1995 par Jacques Chirac. Ou au big bang fiscal de François Hollande en 2012.
Du premier, a-t-on retenu les leçons du péril d’une relance isolée et de mesures attentatoires à la productivité d’un système productif sursollicité (retraite à 60 ans, puis 35 heures) en économie ouverte ? Du deuxième, a-t-on compris que l’adoption de l’euro interdisait le laxisme permanent ? Du troisième, a-t-on mesuré les conséquences d’une crise de la dette souveraine ? Non, non et non. Morgue et aveuglement se sont ligués pour nous porter au bord du précipice.
Sabordage ! C’est parce que la France refuse la rigueur qu’elle aura l’austérité. Faut-il parler de « sabordage de l'école publique » comme le fait le FSU-SNUipp, parce que le premier degré public va perdre 3 155 postes quand avec la chute des naissances, la France a perdu presque un demi-million d'écoliers en maternelle et primaire depuis 2010 ? Avec 1,2 million d’agents et un budget de 62 milliards d’euros (en hausse de 14 milliards depuis l'élection d’Emmanuel Macron), l’Education nationale dispose en proportion de plus de moyens que la plupart de ses voisins européens sans pour autant briller dans le classement Pisa. Tant que la quantité de la dépense l’emportera sur la qualité, rien ne changera sur l’autoroute de la banqueroute. François Hollande l’a dit avec des mots simples : les Français estiment ne pas en avoir pour leur argent... Il faut pourtant continuer à prendre.
Notre pays n’est pas davantage au bord de la faillite. Mais il faut dénoncer la faillite de gestionnaires coupables de cette étrange défaite. Marc Bloch : « La cause profonde du désastre fut l’incapacité du commandement »
Les cris d’orfraies sur la possible non-revalorisation pour six mois des pensions de retraite relève, de même, d’une logique électoraliste (les seniors votent) qui interdit tout redressement véritable. Pourquoi ? La France affiche le taux de prestations sociales le plus élevé au monde (33 % du PIB), dont la moitié relève des retraites. Quand on veut dégager des économies, impossible de faire l’impasse sur une masse de 380 milliards d’euros – soit trente fois le montant estimé de la fraude sociale, présentée par les tops chefs de la tambouille budgétaire comme la manne à même de financer leurs folies programmatiques, dont l’abrogation de la réforme des retraites...
La vérité est autre : 80 % des retraites sont financées par des cotisations et des impôts, donc 20 % restent à la charge de l’Etat et des administrations publiques – soit 75 milliards d’euros de déficit en 2023. Comme l'écrit fort à propos l'économiste Maxime Sbaihi : « Demander aux actifs de cotiser et de travailler toujours plus sans exiger aussi une part d’effort aux retraités actuels, c’est ajouter l’insulte à l’injustice. »
Pour rassurer les âmes sensibles, la France n’est pas aux portes de l’austérité grecque (les salaires des fonctionnaires avaient baissé de 40 % et les pensions de retraite avaient été divisées par deux). Notre pays n’est pas davantage au bord de la faillite. Mais il faut dénoncer la faillite de gestionnaires coupables de cette étrange défaite. Marc Bloch : « La cause profonde du désastre fut l’incapacité du commandement ». Dénoncer la faillite de ce modèle stato-consumériste usé à force de lâcheté et de renoncement. Jérôme Fourquet : « Tout se passe comme si le modèle économique qui s'était progressivement mis en place dans le pays depuis une quarantaine d’années arrivait aujourd’hui en bout de course et avait conduit à une impasse. »
Mirabeau avait vu juste : « La dette fut le germe de la liberté ; elle a détruit le roi et l’absolutisme. Prenons garde qu’en continuant à vivre, elle ne détruise la nation et ne reprenne la liberté qu’elle nous a donnée. »
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*Rémi Godeau est un journaliste français, rédacteur en chef de L'Opinion depuis mai 2013 après avoir été rédacteur en chef de L'Est républicain à partir de janvier 2008.
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