Finances publiques
Figure de la macronie du premier quinquennat, le nouveau ministre, qui a entre-temps dirigé Business France, a la lourde tâche de boucler un projet de loi de finances dans un contexte politique et financier pour le moins compliqué.
France Info - 8 octobre 2024 - Par Margot Duguet
Il y a encore quelques semaines, Laurent Saint-Martin écumait les plateaux des médias spécialisés en tant que patron de Business France, organisme chargé de faire rayonner les entreprises françaises à l'étranger. Le 12 août, en plein été et alors qu'Emmanuel Macron est à la recherche d'un Premier ministre, il est l'invité du podcast de BFM Business(Nouvelle fenêtre). "Les investisseurs internationaux ont besoin de stabilité", clame celui qui est à la tête de cette structure depuis janvier 2023. "La politique d'attractivité doit être poursuivie, la France ne doit pas faire un virage sur ces questions-là", martèle-t-il, relayant "l'attente" des patrons sur la nouvelle équipe gouvernementale. Et voilà que le 21 septembre, il est nommé ministre chargé du Budget, directement rattaché à Michel Barnier plutôt qu'au ministre de l'Economie. "Quand le président de la République et le Premier ministre vous appellent et vous proposent ce poste, ça ne se refuse pas", confie-t-il à franceinfo.
A 39 ans, l'ancien rapporteur général du budget, élu sous l'étiquette LREM de 2017 à 2022 dans le Val-de-Marne, signe un retentissant retour aux manettes. Mais à un poste Ô combien délicat. "Je suis conscient de la difficulté, mais l'adversité ne m'a jamais tétanisé, au contraire", assume-t-il, se disant "prêt à relever le défi". "Sa mission est très dure. Pour avoir échangé avec lui, il y a un côté sacerdoce, confie Anne-Laure Cattelot, ex-députée macroniste qui a siégé à ses côtés à la commission des Finances. Il sait qu'il peut se prendre d'anciens amis face à lui."
Le trésorier de la campagne 2022 d'Emmanuel Macron a la charge de boucler le budget pour l'année prochaine, "l'un des plus délicats de la Ve République"(Nouvelle fenêtre), dixit le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, avant une présentation, jeudi 10 octobre, en Conseil des ministres. Face à un déficit record, qui pourrait dépasser les 6% du PIB, Laurent Saint-Martin doit trouver 60 milliards d'euros d'économies, dans un contexte politique éminemment tendu, où le gouvernement ne dispose que d'une très courte majorité relative à l'Assemblée.
"Le vrai patron de Bercy, c'est Jérôme Fournel"
"C'est le bon homme au bon endroit pour résoudre cette équation", veut croire le député Ensemble pour la République (EPR) Charles Rodwell, qui loue un responsable politique "très pondéré, hyper ouvert au dialogue". Il n'est pas le seul au sein de la macronie à saluer les qualités de Laurent Saint-Martin, engagé dès 2016 auprès d'Emmanuel Macron après un rapide passage au PS de 2009 à 2012. "Il a le sens de l'intérêt général, courageux et pragmatique", salue le député EPR Mathieu Lefèvre.
Natif de Toulouse et fan de rugby, Laurent Saint-Martin fut capitaine du XV parlementaire. "C'est un rugbyman et les rugbymen ont toutes les qualités, comme le sens du collectif", sourit Jean-René Cazeneuve, député EPR du Gers qui lui a succédé comme rapporteur général du budget entre 2022 et 2024.
A l'époque, le contexte économique est bien différent : ce fidèle d'Emmanuel Macron est missionné pour traduire dans le budget la politique du quoi qu'il en coûte, afin de relancer l'économie paralysée par la crise du Covid. "Il fallait investir", se souvient Anne-Laure Cattelot, qui note en souriant que l'homme était aussi "aimé" parce qu'il avait "de l'argent" à distribuer.
"Ça a été un bon investisseur. Est-ce que ce sera un bon économe ?"
Anne-Laure Cattelot, ex-députée LREM à franceinfo
A la fin de son premier mandat, Laurent Saint-Martin est candidat à sa réélection dans sa circonscription, mais comme nombre de ses camarades, il est battu. Dans son cas, par le médiatique et jeune chroniqueur télé Louis Boyard (LFI). Il avait auparavant échoué lors des régionales 2021 comme tête de liste de la macronie. En juin, après la dissolution prononcée par le président, Laurent Saint-Martin n'était pas reparti au combat électoral. De quoi faire grincer des dents dans l'ex-majorité.
"Il y a un procès en illégitimité, c'est un peu surprenant d'aller chercher quelqu'un qui s'est fait battre en 2022 et qui n'a pas cherché à se représenter cette année, observe un parlementaire du bloc central. Il arrive dans un jeu de quilles à huit bandes où il n'a pas cette sensibilité de la majorité relative." Surtout, poursuit-on de même source, "Laurent Saint-Martin est faible politiquement. Il est sous tutelle parce que le vrai patron de Bercy, c'est Jérôme Fournel [directeur du cabinet du Premier ministre et ancien directeur de cabinet de Bruno Le Maire]. C'est lui qui a préparé le budget et qui le termine".
La nouvelle donne budgétaire
C'est pourtant bien Laurent Saint-Martin qui incarnera politiquement ce budget 2025. Fidèle partisan de l'économie de marché, pro-business, il est parfaitement aligné avec la politique de l'offre portée par Emmanuel Macron et qui a notamment permis de résorber une partie du chômage. Augmenter les impôts ? Le Laurent Saint-Martin du début de la décennie 2020 y est farouchement hostile. "Je peux vous assurer que sous notre mandature, il n'y aura pas de remontée de la pression fiscale", assure-t-il dans une interview à L'Opinion(Nouvelle fenêtre) datant du 15 avril 2020.
Interrogé sur la résorption du déficit, il affirme alors que cela "devra passer par une croissance plus forte". "On ne va pas faire une relance en mettant des freins fiscaux", ajoute-t-il. Même ligne un an plus tard, alors qu'il s'apprête à porter le projet de loi de finances pour 2022. "Nous avons baissé la pression fiscale pour tous les ménages, il ne faut pas revenir en arrière. Il faut laisser reposer la pâte", déclare-t-il aux Echos(Nouvelle fenêtre). Interrogé sur ses déclarations passées, le Laurent Saint-Martin de 2024 assume.
"Ça ne vous aura pas échappé que depuis 2020 et 2021 la situation s’est dégradée, cela s’explique à la fois par la volonté nécessaire de l’Etat de protéger les Français face aux crises inflationnistes mais aussi du fait d’un ralentissement économique."
Laurent Saint-Martin, ministre du Budget à franceinfo
"La situation n'est plus la même qu'en 2020, elle est vraiment particulière", tente-t-on également de justifier à présent au sein du groupe EPR. Laurent Saint-Martin se retrouve tout de même à devoir défendre 20 milliards de hausses d'impôts, en plus des 40 milliards de réductions des dépenses publiques. Les hausses d'impôts seront partagées entre les Français, avec notamment les 0,3% des ménages les plus fortunés qui seront soumis à une contribution exceptionnelle, et les entreprises. Invité de France 2 jeudi 3 octobre, Michel Barnier a assuré que cela représentait 300 entreprises "qui font plus d'un milliard d'euros de chiffres d'affaires" et qui seraient taxées de manière temporaire, "un an, peut-être deux".
"Je connais très peu d'impôts qui restent exceptionnels, je ne vous cache pas mon interrogation, je vais avoir besoin de garanties", livre, sceptique, le député EPR Denis Masséglia. Au sein des 95 élus du groupe du parti présidentiel, une ligne est désormais "très largement partagée" : "pas de hausses d'impôts, c'est notre fil rouge", dit-on. D'où la position très inconfortable de Laurent Saint-Martin vis-à-vis de sa propre famille politique.
"C'est difficile pour Laurent Saint-Martin vis-à-vis du groupe. Nous, on essaie d'incarner une forme de continuité avec le macronisme".
Un député EPR à franceinfo
"Il n'était pas très bien en petit-déj de l'ancienne majorité" la dernière semaine de septembre, rapporte le même député EPR.
Une pluie de 49.3 ?
Des figures de la macronie n'ont pas hésité à faire savoir publiquement leur opposition. "Je ne voterai pas le budget", a ainsi assuré jeudi sur franceinfo Gérald Darmanin, ancien ministre de l'Intérieur (2020-2024) mais aussi de l'Action et des Comptes publics (2017-2020). "Pour l'instant, le budget tel qu'il est annoncé me paraît inacceptable", a ajouté le député du Nord. Interrogé sur ces propos, Michel Barnier a paru les minorer sur France 2. "Franchement, j'ai très peu de temps, je n'ai pas envie de faire des polémiques", a balayé le Premier ministre.
Mais les troupes macronistes n'en démordent pas. "Je refuse l'ampleur du choc fiscal, qui est celle de François Hollande en 2012. Ce choc serait un risque pour la croissance et donc l'emploi, le signal contraire à celui que nous avons porté avec Emmanuel Macron en 2017", fustige Mathieu Lefèvre. Charles Rodwell, ancienne plume de Bruno Le Maire à Bercy et désormais député des Yvelines, acquiesce.
"La priorité absolue, c'est la réduction des dépenses. En l'état actuel, je ne voterai pas une hausse d'impôts".
Charles Rodwell, député EPR à franceinfo
Questionné sur ces prises de position, Laurent Saint-Martin préfère insister sur les réductions de dépenses : "Les députés EPR qui disent que l'impôt n'est pas la première solution ont raison de le dire. Je partage aussi la nécessité de s'attaquer en priorité aux dépenses de l'Etat (...). Pour chaque euro de contribution supplémentaire, j'imposerai deux euros de dépenses en moins. C'est une vraie rupture et je compte sur la responsabilité des parlementaires pour porter avec moi cet objectif". Sur X, dimanche, le ministre a assuré avoir entendu les nouvelles propositions de Gabriel Attal(Nouvelle fenêtre) et Gérald Darmanin(Nouvelle fenêtre) qui souhaitent moins de hausses d'impôts et plus de "valorisation du travail", et s'est dit ouvert à des "compromis tant qu'ils redressent nos comptes".
Mais y aura-t-il seulement un vote sur le budget ? Il est très fortement permis d'en douter au regard de la composition de l'Assemblée nationale, et alors même qu'Elisabeth Borne avait usé à de multiples reprises du 49.3 pour faire passer les précédents budgets. "Si on n'y arrive pas, on passera par le 49.3, un outil de la Constitution", a désamorcé Michel Barnier sur France 2. Il reste alors une seule interrogation : à quel moment sera-t-il brandi par l'exécutif ? Laurent Saint-Martin fait une promesse : "Le débat aura lieu. C'est important et nécessaire". Et d'ajouter : "Je l'espère le plus calme et serein possible."
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