Dépenses publiques
L’économiste s’inquiète de la confusion des parlementaires entre capital et revenus et dénonce la paresse des débats hexagonaux sur les inégalités.
Le Figaro - 1er décembre 2025 - Par Anne de Guigné
Membre du cercle des économistes, Philippe Trainar est directeur de la Fondation SCOR pour la science. Ce spécialiste de l’analyse des risques déplore les non-dits des débats budgétaires et s’inquiète de l’incapacité des partis politiques à affronter la dérive des finances publiques, et en particulier le colossal déficit du système des retraites.
LE FIGARO. - Nous arrivons au bout des discussions budgétaires, que vous ont inspiré les débats ?
Philippe TRAINAR. - J’en tire deux leçons : la première est l’inexistence persistante d’une culture du risque chez nos parlementaires, qui aiment parler de prévention sur le climat, ou l’Ukraine, mais restent aveugles aux risques immédiats, surtout s’ils sont financiers. Or il est aujourd’hui clair que la dette française est la plus à risque de l’OCDE. Le second enseignement tient à la manière dont les parlementaires ont évoqué durant ces semaines la notion de capital. Les débats sur les inégalités ont donné lieu à une confusion généralisée et volontaire entre revenu et capital. L’objectif des orateurs étant de nourrir l’idée de l’existence d’un gigantesque pactole inexploité à portée de main. Seulement deux pays ont connu des discussions similaires : la Grèce et le Venezuela, et cela s’est très mal terminé pour tous les deux.
Pourquoi dites-vous que notre dette est la plus risquée de l’OCDE ?
Cela apparaît clairement lorsque vous combinez l’ensemble des indicateurs des finances publiques. En France, la dépense publique (57,1 % du produit intérieur brut, ou PIB, en 2024), les prélèvements obligatoires (44,8 %), la dette publique (113 %), la charge d’intérêts (1,9 %) et enfin le déficit public (5,8 %) figurent tous parmi les plus élevés de l’OCDE. Quand vous additionnez toutes ces informations, vous constatez que la France est le pays de l’OCDE où les marges de manœuvre des finances publiques sont les plus étroites. Si jamais nous traversons, à un moment donné, un choc financier, la première dette publique sur laquelle les investisseurs s’interrogeront sera la dette française, avant la dette italienne ou anglaise, d’autant que notre situation politique induit un immobilisme certain.
Quelle serait pour vous l’urgence afin de redresser les finances publiques ?
L’urgence me semble assez simple. Je vois cinq leviers pour résoudre nos problèmes de déficit : l’emprunt, l’impôt, les dépenses publiques, l’activité, et l’inflation. Les deux derniers ne dépendent pas de nous, du moins à court terme. L’emprunt et les impôts sont à éviter, car ils pèsent sur l’activité, l’emploi et les salaires, sapant ici les fondements du redressement des finances publiques. Ne reste que la dépense publique, qui atteint un niveau insoutenable en France. Au sein de toutes les dépenses, se distinguent les dépenses sociales, et au milieu d’elles, les dépenses des retraites. Si on ne prend en compte que les véritables ressources sociales fléchées sur les retraites, que sont les contributions sociales et la CSG, hors impôts fléchés et subventions d’équilibre explicites ou implicites, il demeure un déficit de notre système de retraite de l’ordre de 5,3 % du PIB en 2024. Les retraites sont donc responsables de l’essentiel de notre déficit public. Nous avons collectivement organisé un vaste système de déport du déficit des retraites vers le déficit de l’État.
Il existe deux moyens simples pour réduire le déficit des retraites : il faut soit baisser les pensions, soit accroître l’activité. Autrement dit, faire exactement l’inverse que ce que le projet du gouvernement propose, avec l’appui du Parti socialiste : un report de la réforme des retraites et des augmentations d’impôt, complétées de petites économies éparses.
Comment expliquer le déni français sur ce sujet ?
Je vois d’abord l’incapacité des partis politiques à s’adapter au déplacement des plaques tectoniques électorales : les partis n’ont pas changé et ils peinent à répondre aux nouvelles aspirations des Français. Cette incapacité nourrit un certain clientélisme, une course en avant pour tenter de rattraper par des promesses irréalistes un électorat qui vous échappe. Le système de protection sociale ne me paraît, ensuite, non pas mal géré, mais tout simplement pas géré. Il existe trop de rentes de situation qui étouffent toute incitation à maîtriser les comptes. Je crois qu’il est vraiment temps de réformer en profondeur les institutions de la protection sociale.
Je regrette enfin que toutes nos difficultés soient considérées à l’aune d’un égalitarisme aussi facile que douteux. Les débats sur les inégalités en France me paraissent en effet particulièrement paresseux. Les discours se contentent de jouer essentiellement sur le ressentiment. Ils restent à la surface de l’analyse économique : il n’y a aucun effort pour définir et quantifier ce que sont des inégalités inefficaces, injustes et inéquitables.
Qu’est-ce qui pourrait nous réveiller ?
Je crains que ce soit le dur contact avec la réalité qui finisse par nous réveiller, et cela s’annonce peu agréable. D’autant que l’endettement nous a permis de déplacer dans le temps cette échéance, mais plus le rendez-vous est repoussé, plus il s’annonce violent. Nous nous sommes lancés dans une course vers l’abîme. La pire issue serait un scénario à la grecque, avec un recours aux institutions internationales. Cela a coûté à la Grèce 10 à 20 % de son PIB, soit 10 à 20 % du niveau de vie des habitants. Quand je vois, en France, la sensibilité des discussions au sujet de mesures portant sur 0,1 % de niveau de vie, cela fait frémir. Une version plus douce serait que les injonctions européennes finissent par porter leurs fruits, même si elles peuvent aussi provoquer un mouvement d’exaspération. La dernière solution, la meilleure, serait que des personnes responsables dans le pays osent dire la réalité sur la qualité de nos politiques publiques, et que les Français acceptent la voie d’un redressement.
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