Finances publiques
Ce texte permettra à l’État d’assurer un «service minimum», a rappelé la ministre chargée des Comptes publics, Amélie de Montchalin. Mais en fonction de sa durée d’application, il aura des effets néfastes. Notamment pour les contribuables.
Le Figaro - 23 décembre 2025 - Par Julie Ruiz
Le projet de loi de finances (PLF) 2026, dans sa version initiale, comptait plus de 80 articles qui s’étalaient sur près de 400 pages. La loi spéciale, présentée dans la soirée de lundi en Conseil des ministres, n’en contient que trois. Le premier autorise l’État à prélever les impôts selon les modalités votées avec le précédent budget. Le deuxième permet de flécher certaines de ces recettes vers les villes, départements et régions afin que ceux-ci puissent assurer leurs missions. Le troisième, absolument nécessaire, donne mandat à l’État pour emprunter sur les marchés financiers. Ce texte, qui devrait être adopté à une large majorité par les parlementaires d’ici mercredi (au plus tard), évite à la France le scénario d’un « shutdown » à l’américaine. Reste que la loi spéciale n’est qu’un « service minimum », a rappelé la ministre chargée des Comptes publics, Amélie de Montchalin, dimanche sur BFMTV.
Car sur le plan des dépenses, la loi spéciale permet simplement au gouvernement de renouveler par décret, chaque mois, les enveloppes des administrations (ou « services votés »). Techniquement, malgré l’inflation, celles-ci ne doivent pas dépasser les crédits ouverts par le précédent PLF. Début 2025, lorsqu’une loi spéciale avait été adoptée en urgence à la suite de la censure du gouvernement Barnier, une circulaire interministérielle disposait que « ces services votés doivent être entendus non pas au sens de la loi de finances 2024 dans son entier, mais comme le minimum de crédits indispensables pour poursuivre l’exécution des services publics ». Ainsi, si la même lecture de la loi spéciale s’applique pour 2026, l’État ne pourra engager aucune dépense nouvelle avant l’adoption d’un budget en bonne et due forme.
Pour ce qui est des fonctionnaires, par exemple, les nouvelles mesures de revalorisation salariale avaient toutes été mises en attente début 2025. De plus, « les départs d’agents ne seront remplacés qu’à hauteur des besoins strictement nécessaires pour assurer la continuité des services publics », expliquait le document signé de la main de Michel Barnier le 12 décembre 2024. Les investissements publics, quant à eux, avaient été drastiquement limités. « Seuls continueront à être financés les projets déjà en cours de réalisation et les projets faisant l’objet d’un besoin urgent et avéré », ordonnait la note. Enfin, toutes les autres dépenses modulables (subventions, appels à projets, etc.) ont été suspendues pendant l’application de la loi spéciale. En cette fin d’année, même si certaines voix dans l’opposition plaident déjà pour une application plus souple, l’État semble se diriger vers un régime sec.
Dans ces conditions, « on ne peut pas dire aux gens que ça va être une année en parenthèse, une année en pause » car « les enjeux de logement, les enjeux de défense, les enjeux de narcotrafic, les enjeux agricoles nécessitent qu’on ait une action », plaide la ministre chargée des Comptes publics, qui espère l’adoption d’un « vrai budget » d’ici fin janvier. Effectivement, sans ce texte, les 6,7 milliards de crédits supplémentaires prévus pour l’armée ne pourront pas être débloqués ; l’agenda des commandes et les recrutements (+ 800 postes dans le PLF 2026) seront mis en suspens. Les autres ministères régaliens (Intérieur, Justice), qui devaient bénéficier de moyens supplémentaires en 2026, rencontreront des difficultés similaires. Sur les recrutements de professeurs, le recours prolongé à la loi spéciale pourrait aussi poser problème. « Le concours en fin de licence est nouveau (…). Donc, si je n’ai pas de budget, si on n’a pas de PLF 2026 qui est adopté, pour l’instant, je ne sais pas organiser ce concours », expliquait le ministre de l’Éducation nationale, Édouard Geffray, sur France 2 il y a quelques jours.
Impôt sur le revenu
Pour les particuliers, le régime des services votés ne sera pas sans conséquences. Les propriétaires qui avaient pour projet de réaliser des travaux, par exemple, devront composer avec une nouvelle suspension du dispositif MaPrimeRénov’ à partir du 1er janvier. Ce guichet d’aides à la rénovation énergétique, très utilisé - près de 80 000 dossiers sont en cours d’instruction -, avait déjà été fermé début 2025, lors de la précédente loi spéciale, puis partiellement pendant l’été.
Si la loi spéciale devait s’étirer jusqu’au printemps, les contribuables risqueraient également d’en payer le prix. Traditionnellement, les tranches du barème de l’impôt sur le revenu sont revalorisées chaque année dans le budget à hauteur de l’inflation. Pour 2026, le gouvernement avait pour ambition de geler le barème, mais les députés ont voté contre cette mesure. Si la France ne se dote pas d’un PLF suffisamment tôt avant la campagne de déclaration, cette désindexation aurait bien lieu. Elle générerait environ 1,9 milliard d’euros de recettes supplémentaires pour les caisses de l’État et ferait entrer environ 200 000 nouveaux foyers dans l’impôt sur le revenu. Certains avantages fiscaux qui nécessitaient d’être prorogés dans le PLF 2026 (comme l’exonération des pourboires) pourraient s’éteindre au 1er janvier. Enfin, comme l’an dernier, le recours à une loi spéciale pose un problème de rétroactivité pour les mesures fiscales censées être mises en place en 2026. Passé le 1er janvier, certaines ne pourront pas être mises en œuvre, ce qui va sans doute générer des pertes de recettes durables pour l’État.
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