Tribune

Le vice-président de la commission des finances de l’Assemblée nationale explique dans une tribune au « Monde » que la pérennisation d’un cadre exceptionnel pour les finances publiques aurait fragilisé l’économie française et pénalisé des millions de contribuables.

Le Monde - 6 février 2025 - Par Philippe Brun

La loi spéciale et les services votés ne constituent pas un budget, comme l’a affirmé Eric Coquerel, le président (LFI) de la commission des finances, dans une tribune au Monde publiée le 4 février. Il s’agit même d’une carte blanche laissée au gouvernement pour appliquer un programme encore plus austéritaire. En l’absence de loi de finances, la Constitution et les dispositions organiques prévoient les dispositions nécessaires pour assurer la continuité des services publics de manière transitoire afin d’éviter un shutdown à l’américaine.
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La loi spéciale permet ainsi au gouvernement de percevoir les impôts et de répartir les crédits dans le cadre des services votés, définis par la loi organique comme « le minimum de crédits que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement ».

Or le cadre actuel des services votés est extrêmement strict : entre 50 % et 75 % des crédits ouverts sont bloqués, aucune création nette d’emplois dans la fonction publique n’est autorisée et il est impossible d’engager toute subvention ou nouvelle dépense d’investissement. L’honnêteté commande aussi de dire que nous, parlementaires, ne disposons d’aucun moyen pour contraindre le gouvernement à ouvrir davantage de crédits, puisque les services votés sont fixés par voie réglementaire.
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Dès lors, empêcher la France de se doter d’un budget pour 2025 revenait à accepter un dessaisissement total du Parlement et à laisser le gouvernement appliquer un programme bien plus austéritaire que la loi de finances pour 2025, aussi imparfaite soit-elle.

Aucune alternative

Cela veut dire des classes sans professeur remplaçant, des demandes de prestations traitées moins rapidement ou des agences qui ferment l’accueil au public. ⁠Cela signifie aussi l’impossibilité de financer le recrutement de nouveaux stagiaires, d’apprentis, de services civiques, d’emplois aidés, d’adultes-relais dans les quartiers, l’absence de versement des aides très attendues aux agriculteurs et aux secteurs économiques en difficulté.

Il est quand même paradoxal d’entendre le président de la Commission des finances appeler de ses vœux un tel rétrécissement des compétences de l’Assemblée nationale !

Quelle alternative au vote du budget proposait donc M. Coquerel ? Aucune. Si le budget 2025 avait été rejeté par la voie d’une motion de censure, le gouvernement démissionnaire aurait prolongé le régime très restrictif des services votés, conduisant de facto la France à subir un choc profond d’austérité jusqu’à mi-2025 et l’adoption incertaine d’un nouveau budget. Fallait-il laisser le gouvernement réduire toutes les dépenses dans le simple espoir de contraindre le président de la République à la démission ?

Face à la hausse du chômage et au ralentissement économique, l’adoption d’un budget pour la France était nécessaire pour ne pas ajouter de la crise à la crise.

Les chiffres tombent les uns après les autres et dressent un constat implacable de contraction de l’activité : le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de près de 4 % sur un an, les faillites d’entreprises atteignent des niveaux records depuis la crise financière tandis que la désindustrialisation se poursuit inexorablement.

Des mesures justes et indispensables

Dans ce contexte, l’adoption du budget est indispensable pour soutenir l’économie. Les entreprises ont besoin de visibilité sur le cadre fiscal applicable pour investir et embaucher. Pour maintenir l’investissement local, dont dépendent de nombreux secteurs de notre économie, nous avons obtenu de préserver les ressources des collectivités en réduisant les coupes dans leur budget et en maintenant le fonds vert à son niveau prévu en 2024. La revalorisation des retraites et la suppression de la baisse du remboursement des médicaments, que nous avons obtenues, sont également des mesures justes et indispensables pour préserver le pouvoir d’achat et la consommation.

En outre, sans budget, 18 millions de foyers français auraient vu leur impôt augmenter. En effet, l’avis rendu par le Conseil d’Etat le 10 décembre 2024 encadre strictement le champ de la loi spéciale en l’empêchant l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation. Sans budget, 380 000 nouveaux foyers fiscaux, principalement des travailleurs ou des retraités modestes, seraient devenus imposables et 17 millions de foyers auraient vu leur charge fiscale augmenter.

Pour y remédier, le président de la Commission des finances évoque une « loi portant diverses dispositions d’ordre financier » qui indexerait le barème de l’impôt sur le revenu, reconduirait certains crédits d’impôts, prolongerait les prêts à taux zéro et adopterait les mesures promises de soutien aux agriculteurs : un budget pour l’année 2025 en somme ! On voit mal comment un accord aurait pu se dégager entre insoumis et macronistes sur le périmètre des crédits d’impôt et des dispositifs à proroger.

Pour toutes ces raisons, il est irresponsable de dire que la France pourrait très bien fonctionner sans budget. Alors que Donald Trump, tout juste arrivé à la Maison Blanche, multiplie les mesures pour attaquer notre économie, nous ne pouvions pas condamner la France à la paralysie. Le budget qui vient d’être adopté, répétons-le, n’est pas le nôtre. Mais son rejet, loin d’être indolore comme veulent le croire certain, aurait affaibli l’économie et conduit notre pays à l’impuissance politique à l’heure où les nuages s’amoncellent à l’horizon.

Philippe Brun est vice-président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.