Fiscalité
L'exécutif veut remplacer la contribution différentielle sur les revenus par un impôt différentiel assis sur le patrimoine des plus fortunés. Objectif de Bercy : lutter contre la « sur-optimisation ». Quels sont ces « montages complexes » dans le viseur ? Est-ce la bonne manière de taxer la richesse ? Eléments de réponses.
Les Echos - 19 janvier 2025 - Par Marie-Eve Frénay
Gouvernement cherche milliards d'euros. L'objectif réaffirmé le 14 janvier par François Bayrou reste de diviser par deux le déficit public pour le ramener à 3 % en 2029. Pour ce faire, le Premier ministre a assuré vouloir privilégier la baisse des dépenses publiques. Mais face au tollé que cette position peut déclencher à la gauche de l'hémicycle, un prélèvement supplémentaire supporté par les foyers fortunés reste sur la table.
Dans un premier temps, la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) proposée par le gouvernement Barnier à l'automne dernier jouerait ce rôle . Mais dans un second temps, le nouvel exécutif aspire à remplacer la CDHR par une imposition assise, non pas sur les revenus, mais sur le patrimoine des plus fortunés. Baptisée contribution différentielle sur les hauts patrimoines (CDHP), cette surtaxe pourrait viser quelques centaines ou milliers de foyers disposant d'un patrimoine supérieur à 100 millions d'euros, pour une recette annuelle estimée à 2 milliards d'euros.
Retour d'un impôt plancher sur la fortune
Rien n'est fait mais au regard des premières informations circulant, la CDHP serait calculée par différence entre d'une part l'impôt sur le revenu, la flat tax, la CEHR voire l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) et d'autre part un pourcentage du patrimoine. Le taux de 0,5 % a été évoqué. En d'autres termes, si, durant une année fiscale, les ménages fortunés s'acquittent d'un total d'impôts inférieur à 0,5 % de leur patrimoine, ils devraient verser un complément au Trésor public afin d'atteindre ce niveau plancher. Dans une proposition de loi déposée le 7 janvier, les Ecologistes suggèrent une imposition minimale de 2 % du patrimoine.
« Contrairement à la CDHR, la CDHP serait une contribution pérenne dans le temps. C'est un mécanisme qui participe davantage à la justice fiscale. Il nous semble plus adapté à la lutte contre la sur-optimisation », justifie aux « Echos » le cabinet d'Amélie de Montchalin, ministre en charge des Comptes publics. Pourquoi ? Notamment parce que cette contribution serait susceptible de contrer le plafonnement de l'IFI, analyse un avocat fiscaliste ayant présidé l'IACF.
Ce plafonnement s'applique aux contribuables dont le cumul de l'IFI de l'année en cours et des impôts sur les revenus de l'année précédente dépasse 75 % de la totalité des revenus de l'année précédente. En cas de ressources faibles au regard de la situation patrimoniale, « ce système du plafonnement limite dans certains cas fortement l'IFI, indique cet expert de la fiscalité patrimoniale. Et cette optimisation s'opère chez des personnes qui ont placé leurs actifs dans des structures assujetties à l'impôt sur les sociétés », complète-t-il.
Les holdings dans le collimateur
C'est le cas des sociétés holdings. C'est-à-dire des structures qui s'interposent entre le patrimoine (immobilier, financier, sous forme de liquidités…) et la ou les personnes physiques qui le détiennent. Ceux-ci ne le contrôlent plus directement mais possèdent les parts du holding l'abritant. Tant que leurs revenus restent dans ces holdings, ils supportent très peu d'impôts par rapport à la fiscalité s'appliquant aux distributions versées directement aux particuliers.
Illustration : quand les dividendes vont sur les comptes en banque personnels des actionnaires, ils sont imposés par défaut et pour leur entièreté au prélèvement forfaitaire unique de 30 %. Mais dans le cadre du régime mère-fille où les dividendes remontent d'une filiale vers la société holding, les dividendes peuvent n'être imposés que pour 5 % de leur valeur et sont soumis à l'impôt sur les sociétés au taux plafond de 25 %.
D'ailleurs de l'aveu même de la ministre des Comptes publics, cette CDHP vise effectivement la « sur-optimisation » mettant en jeu des holdings, comme l'a indiqué le 6 janvier Amélie de Montchalin sur France 2. Mais cette piste de surtaxe et l'expression de « sur-optimisation » questionnent voire agacent de nombreux fiscalistes. « J'attends que la ministre m'en donne une définition précise », fustige un ingénieur patrimonial haut placé.
« Cela donne l'impression que les détenteurs de holdings sont présupposés être des fraudeurs. Or, comment peut-il y avoir « sur-optimisation » si le montage est permis par la loi ? », s'interroge également Karine Lecocq, associé-gérant chez Lazard Frères Gestion. Sachant que dans certaines situations, le contribuable n'est pas seul décisionnaire dans la création du montage. « Je ne connais pas d'industriels ou de fonds d'investissement qui veulent entrer au capital d'une société, aux côtés directs de l'actionnaire historique, sans créer un holding », souligne Karine Lecocq.
« Il est vrai que certains doivent abuser des possibilités de cette structuration en faisant financer tout et n'importe quoi par leur holding, nuance Sarah Maubert Mendez, avocate associée et fondatrice chez Ceno Avocats. C'est pour cela qu'il faut peut-être d'abord intensifier les contrôles parce que cela reste un véhicule pertinent pour organiser son patrimoine , à l'intérêt pas uniquement fiscal, et qui, on l'oublie souvent, coûte cher en frais de fonctionnement », met-elle en avant.
Effets pervers du périmètre
Si cette CDHP est mise en place, « elle nécessite, en tout cas, des précisions pour éviter des effets pervers », ajoute Sarah Maubert Mendez, notamment concernant la définition du patrimoine pris comme assiette de référence. « L'idée qui germe n'est pas sotte car il peut apparaître normal qu'il soit fixé un niveau de contribution minimale à une personne détenant un patrimoine hors norme. Le problème est que pour contrer ce type de mesure, il est possible que les conseils d'administration décident des versements de dividendes, économiquement discutables au regard de la situation de la société, pour éviter à certains associés de payer l'impôt différentiel », met en garde un avocat fiscaliste connaisseur des politiques de distribution.
Pour éviter, en partie, cet écueil, Bercy indique d'ores et déjà que les actifs professionnels n'entreront pas dans le champ de la CDHP. Il renvoie toutefois aux discussions parlementaires pour préciser la notion d'actif professionnel. Dans le cadre de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), remplacé en 2018 par l'IFI, une définition de ce type existait.
La jurisprudence avait, en effet, abouti à distinguer les parts d'un holding patrimonial, assujetties à l'ISF, des parts d'une société holding animatrice entrant dans le périmètre des biens professionnels exonérés. Les parlementaires (ou les juges) pourraient s'appuyer sur cette distinction, existant aussi pour le Pacte Dutreil, pour la CDHP.
Durcir les « niches » existantes
Si l'objectif est de décourager la création de holdings dans le seul but fiscal et de préserver ceux ayant une stratégie véritable de réinvestissement, les fiscalistes interrogés suggèrent d'autres pistes. Comme durcir le report d'imposition mis en place par François Hollande en 2012.
A l'heure actuelle, en cas d'apport-cession de titres à un holding, l'investisseur bénéficie d'une exonération d'impôt sur la plus-value, sauf s'il transfère son domicile fiscal hors de France ou si son holding cède les titres avant 3 ans sans réinvestir, sous 2 ans, au moins 60 % du produit de la vente dans une activité économique. « Bercy pourrait regarder la temporalité de ces apports-précessions ou augmenter le pourcentage à réinvestir. Cela complexifierait la mise en oeuvre de cette stratégie et inciterait certains à vendre directement les titres sans passer par l'étape de la société holding », anticipe Karine Lecocq.
Autre piste : « Je pense qu'une réflexion peut être menée pour augmenter le taux de réintégration en cas de distribution sous le régime mère-fille. Il n'a pas été revu depuis le passage du taux d'impôt sur les sociétés de 33,33 % à 25 % », suggère quant à elle Sarah Maubert Mendez. « Il en va de même pour la niche Copé », renchérit cette avocate fiscaliste. Utilisé par les holdings, ce dispositif, qui fait d'ailleurs régulièrement l'objet d'amendements en loi de finances, permet de ne payer l'impôt sur les sociétés que sur une petite fraction, l'équivalent de 12 %, des plus-values de cession de titres.
Avant toutefois d'être davantage fixés sur les arbitrages ministériels et le périmètre de cette nouvelle contribution patrimoniale, les ménages fortunés vont devoir encore patienter. D'après Bercy, la CDHP ne pouvant être intégré au Budget en cours de discussion, elle pourrait être proposée soit dans une loi spéciale après le vote du Budget 2025, soit plus probablement à l'automne, à l'occasion du projet de loi de finances pour 2026.
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