L'entrepreneur se retrouverait dans une situation kafkaïenne : contraint de vendre ses parts à bas prix pour s'acquitter d'un impôt sur une richesse virtuelle, explique le cofondateur et directeur général de Mirakl, Philippe Corrot. (Photo Joel Saget/AFP)

Fiscalité

Fondateur de Mirakl, une licorne français spécialisée dans les places de marché en ligne, Philippe Corrot pourfend l'idée de la taxe sur les très hauts patrimoines prônée par Gabriel Zucman. Un « suicide économique » qui braderait notre souveraineté, dénonce-t-il.

Les Echos - 15 septembre 2025 - Par Philippe Corrot (PDG de Mirakl)

Derrière les discours sur la justice fiscale se cache un piège mortel pour l'économie française. La taxe Zucman, censée s'attaquer aux ultra-riches, frappe en plein coeur l'écosystème entrepreneurial qui a propulsé le secteur technologique à 5,5 % du PIB et plus de 1,3 million d'emplois. Cette mesure idéologique menace de détruire en quelques années ce que la France a mis une décennie à construire.

Cette question résume l'absurdité de la taxe Zucman. La valorisation d'une start-up relève de la valeur future d'une idée, d'une croissance potentielle ou d'une innovation, souvent dans un marché naissant. Une licorne valorisée plus d'un milliard peut voir cette estimation revue à la baisse en quelques mois. En 2022, les valorisations technologiques ont chuté de 40 % en moyenne. Cette volatilité rend toute taxation cohérente impossible.

Une situation kafkaïenne pour les entrepreneurs

Le patrimoine d'un entrepreneur est essentiellement composé de parts dans sa société non cotée. Ces titres sont illiquides : impossible de les vendre rapidement pour payer l'impôt. Contrairement aux actions cotées, ces participations nécessitent des négociations complexes avec des acquéreurs potentiels. Cette taxe revient donc à imposer une plus-value latente, non réalisée, sur un actif impossible à liquider qui serait aussi fiscalisé au moment de la cession future. Elle ajoute ainsi une couche de double imposition : les revenus et plus-values ont déjà été taxés et le seront encore lors de toute sortie en liquidité.

L'entrepreneur se retrouverait dans une situation kafkaïenne : contraint de vendre ses parts à bas prix pour s'acquitter d'un impôt sur une richesse virtuelle. Cette vente forcée ouvre la porte aux opportunismes. Des fonds américains ou chinois pourraient racheter nos pépites technologiques, nous privant de notre souveraineté numérique.

Il faut rappeler que tous les patrimoines ne s'évaluent pas de la même façon. Immobilier, actions cotées ou non n'ont ni la même liquidité ni les mêmes règles fiscales. Une taxe uniforme sur « le patrimoine » reviendrait à traiter indifféremment revenus, plus-values, héritages, liquidités, biens professionnels ou non, ce qui est totalement absurde.

L'enjeu dépasse nos frontières. Cette mesure confiscatoire enverra un signal désastreux aux investisseurs internationaux.

La taxe Zucman s'inscrirait dans la longue tradition française d'instabilité fiscale : une loi votée pour des raisons idéologiques, non conforme à la Constitution, qui sera vite amendée et truffée d'exemptions, jusqu'à devenir illisible et inefficace, mais qui entre-temps aura fait des dégâts considérables.

L'assèchement programmé de l'investissement privé

Gabriel Zucman assure que sa taxe ne viserait que 1.800 foyers, mais parmi eux figurent les business angels les plus actifs, ceux qui financent entre autres une part essentielle des start-up. En ponctionnant leur patrimoine, on tarirait une source vitale : ces entrepreneurs-investisseurs réduiraient fortement leurs engagements en capital-risque. Moins d'investisseurs, donc moins de start-up, moins d'emplois.

L'enjeu dépasse nos frontières. Cette mesure confiscatoire enverra un signal désastreux aux investisseurs internationaux. Pourquoi parier sur la France quand l'Allemagne ou l'Irlande offrent des conditions plus attractives ? Nos licornes seraient obligées de délocaliser leur siège, emportant, avec elles, emplois et recettes fiscales.

La proposition de payer cette taxe en actions révèle une méconnaissance de la gouvernance et du mode de fonctionnement d'une entreprise. En quelques années, l'Etat pourrait devenir premier actionnaire d'une entreprise ou même en prendrait le contrôle. Cela n'a aucun sens.

L'ironie est cruelle : taxer la richesse au risque d'appauvrir le pays. La mesure fragiliserait nos champions et faciliterait leur rachat par des fonds étrangers, bradant notre souveraineté. La France avait enfin comblé son retard en innovation, avec 25 licornes créées en cinq ans. Or la taxe Zucman saboterait cette dynamique, sans même régler le problème structurel de la dette. Plutôt que ce suicide économique, il faut préserver la prise de risque, l'audace entrepreneuriale et l'innovation, socle de la croissance de demain.

Philippe Corrot est cofondateur et CEO de Mirakl.

Philippe Corrot