Une manifestation des militants d'Attac pour l'instauration de la taxe Zucman ce jeudi à Paris. Photo Sipa/Cesar Vilette

Fiscalité 

Victor Fouquet : « Le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt interdit précisément de faire ce que propose la taxe Zucman, c’est-à-dire définir une assiette fiscale “sans lien avec les facultés contributives” en y incorporant des revenus qui n’ont pas été effectivement perçus et qui, dans certains cas, pourront ne jamais l’être »

L'Opinion - 12 septembre 2025 - Par Victor Fouquet 

Docteur en droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne qualifié aux fonctions de maître de conférences, Victor Fouquet est spécialisé en fiscalité et en analyse économique du droit. Il a reçu en 2024 le prix de thèse de la Société française de finances publiques pour sa Contribution à la théorie générale de l’impôt sur le revenu (à paraître à la LGDJ dans la Bibliothèque de fiscalité et finances publiques).

Rejetée par le Sénat en juin dernier, la proposition de « taxe Zucman » devrait ressurgir cet automne par voie d’amendements au projet de loi de finances pour 2026. Du nom de l’économiste l’ayant échafaudée, Gabriel Zucman, la taxe consiste en un impôt plancher de 2 % sur les plus gros patrimoines, ceux dont la valeur nette excède 100 millions d’euros. Cet impôt plancher vise à appréhender le revenu dit « économique », notion très élargie amalgamant les contribuables-personnes physiques avec les sociétés qu’ils contrôlent, en agrégeant au revenu déclaré les revenus des sociétés contrôlées par les contribuables, c’est-à-dire les revenus capitalisés ou distribuables non distribués, qui ne sont pas un revenu imposable au sens « juridique ».

L’application d’un taux différentiel est destinée à garantir que le total des impôts acquittés par ces « ultra-riches » au titre de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune immobilière et d’une partie des prélèvements sociaux ne soit pas inférieur à 2 % de la valeur de leur patrimoine, biens professionnels compris. Entre 1 600 et 1 800 foyers fiscaux seraient concernés, pour une recette fiscale oscillant entre 5 et 25 milliards d’euros selon les estimations.

Protection juridique. La « taxe Zucman » est une impasse pour deux séries de raisons : les unes juridiques, les autres économiques, même si elles demeurent en réalité fortement imbriquées, la protection juridique des contribuables répondant plus ou moins implicitement à des considérations d’efficacité économique.

Impasse juridique, d’abord. Loin de « mettre en conformité notre législation fiscale avec le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt », contrairement à ce que répète partout son instigateur, la « taxe Zucman » violerait sans grand doute possible le principe d’égalité devant les charges publiques, du moins si l’on en croit la jurisprudence itérative du Conseil constitutionnel en matière d’imposition confiscatoire.

Tirée de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, l’exigence constitutionnelle de prise en compte des facultés contributives prohibe en effet l’imposition de revenus ou de biens non disponibles, comme le sont par exemple les titres de sociétés cotées en Bourse.

Dans le cadre de son contrôle de proportionnalité, le juge constitutionnel ne prend en compte dans la définition du patrimoine des contribuables que les revenus existants

Dans le cadre de son contrôle de proportionnalité, le juge constitutionnel ne prend en compte dans la définition du patrimoine des contribuables que les revenus existants. Il ne tient autrement dit pas compte des revenus « latents » ou « fictifs », c’est-à-dire les revenus présumés que les contribuables auraient dû percevoir.

Bénéfices « distribuables ». Dans une décision du 29 décembre 2012 à propos de l’ancien impôt de solidarité sur la fortune, le Conseil constitutionnel a ainsi relevé, d’une part, que les bénéfices « distribuables » des sociétés ne dépendaient pas de la décision des seuls contribuables, mais de la majorité aux assemblées générales qui décide de distribuer ou non ces revenus ; d’autre part, que les participations des contribuables dans des sociétés pouvaient servir à des investissements ou à l’amortissement de dettes contractées pour financer ces investissements.

Un an plus tard, le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel de la décision sur la loi de finances rectificative pour 2013 réaffirmait, s’agissant de l’intégration des revenus latents dans le dénominateur du calcul du plafonnement de l’ISF, que : « L’inclusion de ces revenus capitalisés ou distribuables non distribués dans le calcul du plafonnement conduisait à faire peser une charge fiscale totale à l’aune d’un revenu présumé, soit incertain, soit dont le redevable n’a pas la libre disposition ».

Bref, le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt interdit précisément de faire ce que propose la « taxe Zucman », c’est-à-dire définir une assiette fiscale « sans lien avec les facultés contributives » en y incorporant des revenus qui n’ont pas été effectivement perçus et qui, dans certains cas, pourront ne jamais l’être.

En fixant une contribution différentielle à 2 % – taux qui correspond à une imposition du rendement du capital de l’ordre de 50 à 60 % – sans aucun plafonnement, la « taxe Zucman » s’exposerait derechef à une censure du Conseil constitutionnel

Imposition confiscatoire. Corrélativement, il résulte d’une décision du 9 août 2012, où il était question de l’instauration d’une contribution exceptionnelle sur la fortune, l’obligation pour le législateur d’assortir toute imposition sur la fortune d’un mécanisme de plafonnement, sauf à ce que les taux pratiqués soient si faibles qu’ils prémunissent contre le risque d’imposition confiscatoire. Le taux à partir duquel un plafonnement est constitutionnellement requis se situe, d’après la jurisprudence, entre 0,5 % et 1,8 %. 

En fixant une contribution différentielle à 2 % – taux qui correspond à une imposition du rendement du capital de l’ordre de 50 à 60 % – sans aucun plafonnement, la « taxe Zucman » s’exposerait derechef à une censure du Conseil constitutionnel. Le simple fait que des contribuables puissent être amenés, avec un tel taux d’imposition et en l’absence de mécanisme de plafonnement, à voir leurs revenus absorbés ou leur patrimoine aliéné pour pouvoir payer l’impôt est manifestement contraire au principe d’égalité devant les charges publiques.

Impasse économique, ensuite. Les difficultés posées par la « taxe Zucman » tiennent à la spécificité de l’actif « entreprise ». Que l’entreprise soit ou non cotée, sa valorisation dans le cadre d’un impôt sur le patrimoine global n’est jamais aisée. Surtout, la « taxe Zucman » ciblerait les propriétaires de « jeunes pousses » valorisées à hauteur de plusieurs milliards d’euros, mais dont la rentabilité ne suffit pas toujours à dégager un revenu nécessaire au paiement de l’impôt. C’est cet écueil économique qui motive d’ailleurs la jurisprudence protectrice du Conseil constitutionnel.

Mobilité du capital. Si elle est importante, la question de la mobilité du capital et de l’exil fiscal n’est pas la plus essentielle (quand bien même, compte tenu de son seuil et de son assiette incluant les biens professionnels des milliardaires, la « taxe Zucman » constitue un dispositif inédit par son niveau de concentration). Plus fondamentalement, les problèmes posés par cet impôt plancher sont ceux identifiés par l’analyse économique de la fiscalité : la surtaxation du capital, dès lors qu’elle ponctionne le rendement des activités les plus risquées, comme ici la création d’entreprises technologiques ou l’investissement en actions, freine l’offre de capital et décourage la prise de risque entrepreneuriale, favorisant les comportements routiniers au détriment de l’innovation et de la croissance économique.

Si l’on veut bien admettre que les activités innovantes touchées par la « taxe Zucman » présentent des externalités positives, c’est-à-dire des retombées sur l’économie allant au-delà des seuls bénéfices retirés par ses promoteurs, on doit admettre également que c’est toute la collectivité qui pâtirait d’une telle imposition

Or, si l’on veut bien admettre que les activités innovantes touchées par la « taxe Zucman » présentent des externalités positives, c’est-à-dire des retombées sur l’économie allant au-delà des seuls bénéfices retirés par ses promoteurs, on doit admettre également que c’est toute la collectivité qui pâtirait d’une telle imposition (y compris ses finances publiques, une fois faits les ajustements comportementaux).

Autre solution. Une autre mesure, économiquement plus efficace et juridiquement plus protectrice, pourrait être proposée par des parlementaires légitimement soucieux de mettre à contribution les plus fortunés : la suppression de la « purge » des plus-values latentes en cas de cession d’actifs mobiliers (assortie le cas échéant d’un mécanisme de report d’imposition). En cas de transmission par donation ou par succession d’un actif incorporant une plus-value « latente », la valeur retenue pour le calcul de l’impôt est la valeur faciale de l’actif au moment de la transmission. Jusque-là, rien d’anormal.

En revanche, lorsque l’actif en question est par la suite vendu par le donataire ou par l’héritier, la plus-value imposable est calculée par différence entre le prix de vente et le prix retenu précédemment pour le calcul des droits de succession ou de donation. Autrement dit, la part de la plus-value correspondant à la différence avec le prix d’acquisition de l’actif par le défunt ou par le donateur est « purgé » ou effacé sur le plan fiscal, sans rattrapage d’impôt sur le revenu.Cet effacement ou « purge » de la plus-value pose des problèmes d'équité et d’efficacité, en favorisant la rétention d’actifs dans le seul but d’échapper à l’impôt, ce qui nuit du même coup à la bonne allocation du capital. Le coût de ce dispositif pour les finances publiques est évalué à 2 milliards d’euros. Cette « faille » pourrait tout à fait être corrigée : le droit constitutionnel fiscal serait alors respecté et les dégâts pour notre économie de la « taxe Zucman » évités.