Gabriel Zucman, l'économiste français qui veut faire payer les ultrariches.  - F. Walschaerts / AFP

Fiscalité

Pourquoi il ne faut pas recréer un ISF.

Ifrap - 17 juin 2025 - Par Samuel-Frédéric Servière

Lorsqu’en début d’année la proposition de loi avait été déposée à l’Assemblée nationale, relative à un impôt plancher de 2% sur le patrimoine des ultrariches, d'Eva SAS et Clémentine AUTAIN, nous nous étions alors émus de l’effet catastrophique à attendre de ce projet de taxation des patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros sur l’attractivité et l’entrepreneuriat français. Depuis, la PPL a été adoptée à l’Assemblée nationale puis examinée au Sénat où elle vient d’être rejetée le 12 juin 2025. Heureusement (n'en déplaise à certains). Mais ce rejet n’empêche pas le Gouvernement de réfléchir à une nouvelle taxe sur le patrimoine des ménages :  une contribution différentielle sur le patrimoine de 0,5%, excluant les œuvres d’art, l’actif professionnel, les bois et forêts et les pactes Dutreil (75%). En clair rétablissant l'ISF. Une mesure potentiellement délétère pour notre économie. Tout cela pour 2 milliards de recettes en plus. Au lieu de faire 2 milliards d'économies...

La taxe « Zucman », une idée saugrenue et mal ficelée :

Le 12 juin au Sénat, la proposition de loi SAS/AUTAIN a été rejetée par 188 voix contre 129. Il faut dire que la proposition d’instauration d’un impôt plancher de 2% sur le patrimoine des « ultrariches » possédait déjà quelques vices constitutifs qui valent la peine d’être énumérés :

  • Tout d’abord le projet de nouvelle taxe imposerait les revenus non pas fiscaux, mais économiques : soit une notion « élargie » du patrimoine incluant le rendement des actifs professionnels. Or comme le montre le Sénat, « la valorisation année après année de l’ensemble du patrimoine détenu par les contribuables (…) constitue une gageure » qu’il s’agisse de l’estimation de la valeur d’actions cotées ou non.

  • Ensuite, le calcul différentiel lui-même de la taxe, qui s’appuie sur l’écart entre le montant de la taxe de 2% assise sur l’ensemble des actifs des contribuables concernés et la somme des montants effectivement acquittés par ces derniers sur leurs revenus (économiques) pour l’ensemble des impositions directes (IR, IFI, prélèvements sociaux)… Or ce calcul ne tient pas compte de l’IS déjà payé par l’entreprise sur ses bénéfices, ce qui ne cadre pas avec l’hypothèse de départ selon laquelle les détenteurs de ces patrimoines en auraient la pleine maîtrise… Dans cette hypothèse ils ont bien déjà payé de l’IS via leur structure, IS qui doit aussi être comptabilisé[1]Si ce dernier était pris en compte, le rendement final de la mesure ne serait plus que de 2 à 3 Md€[2]. Soit très voisin de l’actuelle et temporaire CDHR pour 2025…

  • La mesure pourrait tout simplement ne pas être constitutionnelle. En effet, le Conseil constitutionnel s’agissant de l’ISF avait admis un taux de 0,5% exceptionnel sans plafonnement, tandis qu’un taux de 1,8% n’a été accepté « que sous la condition d’être assortir d’un tel dispositif ». On peut donc en déduire que le Conseil constitutionnel censurerait toute mesure de taxation du patrimoine avec un taux situé entre 0,5% et 1,8% sans dispositif de plafonnement en fonction des revenus[3]. Permettant d’amoindrir l’imposition des personnes dont le rendement du patrimoine bien qu’important serait faible voir négatif (pertes financières/dépréciations boursières, etc.).

  • Il y aurait par ailleurs sans doute une rupture devant les charges publiques, dans la mesure où le dispositif induirait un risque d’illiquidité pour les contribuables visés, impliquant l’aliénation forcée d’une partie du patrimoine du contribuable afin de régler sa créance fiscale. Certes un mécanisme d’étalement sur 5 ans du paiement est prévu, mais il semble là encore trop court.

  • La question de la liquidité, du paiement et de l’absence de plafonnement de la créance fiscale fragiliserait d’autant plus les entreprises dont la valorisation est d’abord fondée sur l’estimation de revenus non pas actuels, mais futurs. Les contribuables les plus déstabilisés seraient les fondateurs/créateurs des entreprises récentes et en forte croissance (start-ups, entreprises à fort potentiel de croissance, jeunes licornes, etc.) « qui ne perçoivent pas un revenu aujourd’hui », mais dont la valorisation repose sur les bénéfices et les dividendes à venir. Sur ce segment les « dégâts » seraient importants, jugulant les efforts à investir en France ou/et produisant un comportement d’exil massif des entrepreneurs

Le projet de taxe dite « Zucman »

Dans une note parue en juin 2023 Quels impôts les milliardaires paient-ils ?[4], l’IPP (institut des politiques publiques), les auteurs de l’étude faisaient le constat « d’une forme de régressivité des revenus au sommet de la distribution. » Pour parvenir à ce résultat, les auteurs ne prenaient pas en considération le revenu fiscal des contribuables concernés, mais leur revenu économique compris comme « l’ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal » que ceux-ci soient constitués par distribution ou non distribués. En les exposant à l’ensemble des impôts directs, ils arrivaient ainsi à constater une forme de régressivité au-delà des 0,1% des foyers fiscaux les plus aisés (46% au 99,9ème fractile, mais 26,2% seulement pour les 0,0002% les plus fortunés (99,9998ème fractile). 

Cette réflexion était étendue à l’ensemble du monde un an plus tard (juin 2024) par l’économiste Gabriel Zucman à la demande de la présidence brésilienne du G20[5] avec la proposition de création d’une taxation de 2% du patrimoine net des plus fortunés (centimillionnaires et milliardaires), incluant l’actif professionnel, pour un rendement de 20 milliards d’euros pour la France, avec une marge d’erreur de 25%. Conscient des difficultés de paiement liées à des problématiques de liquidité, l’auteur proposait d’effectuer des dations en paiement via des transferts de titres au Trésor, celui-ci pouvant les mettre en vente sur le marché réglementé. Soit ni plus ni moins qu’un mécanisme institutionnel d’expropriation.

La critique principale de la taxe Zucman repose sur ses prédicats initiaux : l’assimilation de la personne physique avec la société qu’il contrôle, sans prise en compte de l’IS qu’il acquitterait par ce biais ; la notion de revenu économique qui implique la présomption que le non-versement de dividende procèderait de la volonté d’évitement de l’impôt – alors qu’il peut s’agir d’un choix d’investissement de long terme dans l’appareil productif et le capital humain (augmentations salariales) ; enfin la « regressivité » mise en avant est toute relative, car dès que les fonds seraient versés sous forme de dividendes ou de plus-values ils seraient immédiatement taxés. La démarche Zucman vise donc à taxer les plus-values latentes et les dividendes non distribués, ce qui s’apparente là encore à une démarche anti-économique et préjudiciable à la stratégie de développement des entreprises.

Le projet de taxe différentielle du Gouvernement, ou la tentation de reconstituer l’ISF :

Le projet du Gouvernement, actuellement encore à l’étude, viserait à imposer là encore une imposition différentielle[6] sur le patrimoine mobilier de 0,5%[7] hors actifs professionnels, bois et forêts, œuvres d’arts et prise en compte des Pactes Dutreil (à l’instant où nous écrivons ces lignes). Comme l’évoquait la ministre des comptes publics Amélie de Montchalin, « l’idée est de s’assurer que la somme des impôts payés par un foyer fiscal – impôt sur le revenu, contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, impôt sur la fortune immobilière et prélèvement forfaitaire unique » soit bien égale à 0,5% de son patrimoine taxable. Dans le cas contraire, le foyer fiscal devrait payer la différence. 

L’assiette serait assez proche de celle de l’ISF puisqu’il s’agirait de l’ensemble du patrimoine net constitué des actifs mobiliers et immobiliers[8] dont on aurait retranché certains actifs : actifs professionnels, participations dans les JEI (jeunes entreprises innovantes) ou PME innovantes (éventuellement sous condition de détention de 6 ans), les investissements dans les bois et forêts et les œuvres d’art. Par ailleurs les actifs sous pactes Dutreil seraient exonérés dans la limite de 75%, et à 50% pour les participations minoritaires dans les entreprises (si la participation représente 50% ou plus du patrimoine taxable et sous condition de détention pendant 6 ans). Enfin la résidence principale bénéficierait d’un abattement de 30%. 

Les contribuables éligibles seraient ceux dont le patrimoine dépasserait les 2 millions d’euros, représentant 60.000 foyers fiscaux environ, avec une possibilité de lisser le paiement de la taxe sous 5 ans. 

Puisque l’immobilier aurait déjà été pris en compte dans le cadre de l’IFI, la taxation se comporterait comme un ISF-différentiel et avec les mêmes tares congénitales : pas de conjugalisation, un patrimoine fixe non réévalué de l’inflation chaque année, une complexité certaine… par ailleurs contrairement à l’ISF d’antan la mesure ne serait pas plafonnée puisque son taux ne serait que de 0,5%[9], débouchant sur un nouveau exil lent et à bas bruit des contribuables les plus aisés[10].

D’autres options sont sur la table…

En lieu et place de cette contribution différentielle, il pourrait il y avoir d’autres mécanismes anti-abus, comme une adaptation à la hausse de la CEHR (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus), une mesure de taxation des sociétés holdings patrimoniales (avec sans doute en ligne de mire le critère de holding animatrice), etc… voir faire perdurer l’actuelle CDHR prévue pour 1 an dont le rendement tournerait entre 1,4 à 1,5 Md€ au lieu des 2 Md€ prévus. 

Conclusion :

La taxe Zucman représente un cas paroxystique de « taxation en chambre » susceptible de satisfaire des appétits politiques, mais se moquant des conséquences économiques. Heureusement son spectre est pour l’heure écarté. Malheureusement, la question reste posée de la future usine à gaz constituée par le retour d’un ISF-différentiel dès 2 millions d’euros de patrimoine. L’ISF représente une aberration, un ISF-différentiel non plafonné le serait encore plus. La France présente une fiscalité du capital et des revenus du capital déjà beaucoup plus lourde (67 milliards de plus par an) par rapport à ses voisins  européens… Pourquoi vouloir taxer encore davantage ? De 2 milliards de plus ? Au lieu d’aller chercher 2 milliards d’euros d’économies pérennes en compensation ?


[1] En effet, de deux choses l’une, soit le contribuable est réputé passif et il n’a donc pas la peine de maîtrise des flux dont on le crédite par ailleurs pour justifier la taxation différentielle, soit il est actif, mais alors il paie déjà via ses personnes morales, l’IS ou l’IR (pour les structures hors champ TVA), et ces deux impositions devraient elles aussi être incluses dans les impositions directes déjà acquittées au titre de la taxe différentielle.

[2] Emmanuel CAMUS sénateur, rapport sur la PPL instaurant un impôt plancher de 2% sur le patrimoine des ultrariches, n°689 du 4 juin 2025. 

[3] Lire de façon comparée les décisions du CC, n°2011-638 DC du 28 juillet 2011 relative à la loi de finances rectificative pour 2011, et CC, n°2012-662 DC du 29 décembre 2012, loi de finances pour 2013

[4] https://www.ipp.eu/publication/16253/

[5] G. Zucman, A blueprint for a coordinated minimum effective taxation for the ultra-high-net-worth-individuals, juin 2024. 

[6] https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/06/12/la-taxe-sur-les-ultrariches-fetiche-pour-la-gauche-repoussoir-pour-la-droite_6612463_823448.html

[7] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/taxe-sur-les-hauts-patrimoines-la-piste-de-bercy-au-parfum-disf-2170210

[8] Mais avec prise en compte de l’IFI donc de la composition immobilière du patrimoine qui serait de facto exclue dans la majorité des cas de la contribution différentielle sur le patrimoine.

[9] Cf nos développements précédents relatifs à la jurisprudence en la matière du conseil constitutionnel.

[10] Ce qu’avait voulu limiter la première présidence d’Emmanuel Macron en cherchant au contraire à libérer le capital mobilier… tout en réprimant (et c’est un tort) le capital foncier.