Immigration
Auditionné au Sénat, le ministre de l’Intérieur a appelé à tourner la page d’un accord migratoire qu’il juge « obsolète » face à une Algérie « arrogante ». Une position qui, selon lui, n’engage pas encore tout le gouvernement.
Le JDD - 28 novembre 2024 - Par Jules Torres
C’est une petite bombe lâchée par Bruno Retailleau devant les sénateurs ce mercredi 27 novembre. Le ministre de l’Intérieur, connu pour sa rigueur et son franc-parler, s’en est pris frontalement à l’accord franco-algérien de 1968, ce texte historique qui accorde aux ressortissants algériens des facilités de séjour et d’emploi en France. Un droit qu’il qualifie désormais d’« exorbitant » et qu’il ne juge plus justifié. « Cet accord, révisé à trois reprises mais jamais remis en cause sur le fond, est aujourd’hui en décalage total avec les réalités migratoires et diplomatiques », a martelé Bruno Retailleau devant les membres de la mission sénatoriale sur les accords internationaux.
Le contexte joue en sa faveur : les relations franco-algériennes se sont considérablement dégradées ces derniers mois. L’arrestation récente de l’écrivain Boualem Sansal en Algérie ou encore la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ont ouvert de nouvelles fractures avec Alger. « Nous avons tendu la main, à maintes reprises. Peut-être est-il temps que chacun vole de ses propres ailes », a déclaré le ministre.
Une immigration d’installation pointée du doigt
Pour Bruno Retailleau, les avantages de cet accord ont transformé l’immigration algérienne en une immigration « d’installation », contrairement à celles du Maroc ou de la Tunisie, davantage tournée vers les études ou l’emploi temporaire. Chaque année, ce sont plus de 200 000 visas qui sont délivrés aux Algériens, mais seuls 2 000 laissez-passer consulaires sont acceptés pour le retour des sans-papiers. « Une différence de flux édifiante », selon lui, d’autant plus marquée que 40 % des occupants des centres de rétention administrative en France sont de nationalité algérienne.
La dénonciation de cet accord, si elle venait à être décidée, n’irait pas sans heurts. Le gouvernement algérien, en embuscade, invoque souvent l’accord d’Évian pour maintenir les avantages en cas de rupture. Une hypothèse balayée par Retailleau : « Nous retomberions sur notre droit commun, pas sur les dispositions d’Évian. Cette menace est infondée. » Pour autant, cette déclaration n’engage pas encore le gouvernement dans son ensemble. Le ministre s’est empressé de préciser qu’aucun arbitrage n’a encore été rendu par le Premier ministre. Mais au sein de la droite sénatoriale, nombreux sont ceux qui saluent ce positionnement musclé.
Les oppositions, elles, ne cachent pas leurs réticences. La sénatrice socialiste Corinne Narassiguin a rappelé que le lien entre la France et l’Algérie dépasse de loin la question des accords migratoires. Même au sein des Républicains, certains appellent à la prudence. La sénatrice Sophie Briante Guillemont, représentant les Français de l’étranger, a souligné les risques pour les 30 000 expatriés vivant en Algérie, souvent en première ligne lors des crises bilatérales.
Avec cette prise de position, Bruno Retailleau marque un nouveau jalon dans le débat migratoire en France. Si le gouvernement hésite encore à franchir le pas, le ministre semble convaincu qu’un tournant est inéluctable. « Ce n’est plus une question de politique, mais de souveraineté nationale », conclut-il. Une chose est certaine : la question de l’accord franco-algérien de 1968 ne restera pas longtemps dans les tiroirs.
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