
Institutions
Combien de temps peut-on maintenir la fiction d’une autorité présidentielle quand trois Premiers ministres successifs échouent à se maintenir en l’espace de douze mois ?
L'Opinion - 8 octobre 2025 - Par David Lisnard
En un an, trois Premiers ministres se sont succédé sans parvenir à gouverner. Après Michel Barnier, renversé par une motion de censure en décembre 2024, puis François Bayrou, démissionnaire en septembre 2025 après un vote de défiance, voilà Sébastien Lecornu contraint à la démission quelques heures après avoir formé son gouvernement, signant l’un des mandats les plus brefs de toute la Ve République.
Cette succession révèle un blocage profond. Le pays n’a plus de majorité parlementaire stable, aucun cap politique clair et encore moins une autorité capable d’incarner le pouvoir.
Alternative crédible.
Le Président nomme des Premiers ministres qui ne peuvent pas gouverner et l’Assemblée nationale les fait tomber sans pouvoir proposer aucune alternative crédible. Pendant ce temps, les crises s’accumulent, les décisions sont reportées aux calendes grecques, la France s’affaiblit.
Cette impasse a un responsable et une origine. En changeant de Premier ministre six mois avant les élections européennes, le président de la République s'était privé de cette option au lendemain de sa défaite électorale. Quand, par erreur de jugement, par illusion sur sa capacité à maîtriser le destin politique du pays, il prend la décision irresponsable de dissoudre l’Assemblée nationale et de provoquer, dans le laps de temps le plus court autorisé par la Constitution, des élections législatives, il organise de fait un référendum sur sa propre personne.
Le Président, premier responsable de la paralysie politique actuelle, traîne cette défaite depuis plus d’un an
Le résultat fut sans appel : l’Assemblée issue de ce scrutin traduit le refus des Français de lui accorder une majorité et le Président, premier responsable de la paralysie politique actuelle, traîne cette défaite depuis plus d’un an.
Face à ce constat, une question s’impose : combien de temps un Président peut-il continuer d’exercer le pouvoir quand il a perdu la capacité de gouverner ? Combien de temps peut-on maintenir la fiction d’une autorité présidentielle quand trois Premiers ministres successifs échouent à se maintenir en l’espace de douze mois ?
La légitimité légale d’Emmanuel Macron, élu pour cinq ans, est incontestable.
Esprit.
Mais la légitimité d’un Président ne se résume pas à la légalité de son élection. Elle repose sur sa capacité à incarner l’unité nationale, à rassembler une majorité, à gouverner efficacement. En un mot, elle repose sur la légitimité qu’il tire du peuple. C’est l’esprit de la Ve République.
Or, depuis la dissolution de juin 2024, cette légitimité politique s’est évaporée.Il est de bon ton, aujourd’hui, d’accuser nos institutions. Certains réclament une VIe République. Ils veulent réformer le mode de scrutin, introduire la proportionnelle intégrale, affaiblir l’exécutif, renforcer le Parlement. Ils croient que le problème vient de l’architecture constitutionnelle et que modifier les règles du jeu suffira à restaurer la gouvernabilité.
C’est une erreur. Les institutions de la Ve République sont solides. Elles ont prouvé leur résilience depuis 1958. Elles ont traversé les crises, les alternances, les cohabitations. Elles ne sont pas responsables de notre situation actuelle.
La stabilité politique de 1958 ne provenait pas uniquement des institutions elles-mêmes, mais du leadership de De Gaulle et de la force qu’il tirait du peuple. D’abord par le référendum de 1958, ensuite par l’élection du président de la République au suffrage universel direct
La stabilité politique de 1958 ne provenait pas uniquement des institutions elles-mêmes, mais du leadership de De Gaulle et de la force qu’il tirait du peuple. D’abord par le référendum de 1958, ensuite par l’élection du président de la République au suffrage universel direct, car les institutions valent aussi par la légitimité de celui qui les incarne.
Autorité.
Elles ne fonctionnent que si le Président dispose de l’autorité nécessaire pour diriger le pays, constituer une majorité capable de le faire, ou accepter une cohabitation qui permette au gouvernement de gouverner.
Lorsque cette autorité manque, s’accrocher au pouvoir ne préserve pas les institutions. Cela les affaiblit, les expose et les discrédite.
Quand il perd de peu le référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat en avril 1969, le général de Gaulle décide sur le champ de cesser d’exercer ses fonctions de président de la République. Rien ne l’y obligeait. Sa légitimité légale n'était évidemment pas contestée et sa légitimité politique avait été renforcée moins d’un an plus tôt à l’issue d’élections législatives largement victorieuses.
Mais parce qu’il estimait ne plus avoir la confiance du peuple, parce qu’il considérait que la légitimité politique ne se décrète pas, parce qu’il savait que rien n’est au-dessus du peuple, il choisit de démissionner.
Souveraineté populaire.
Ce geste n’a pas affaibli les institutions. Au contraire. Il a montré que la Ve République n'était pas un régime personnel, mais un système fondé sur la souveraineté populaire. Qui oserait reprocher au Général d’avoir trahi l’esprit de la Constitution en démissionnant ? Personne. Au contraire : il a incarné ce que la fonction présidentielle a de plus noble : la responsabilité devant la Nation.
Il ne s’agit pas de réclamer la démission d’Emmanuel Macron comme le fait l’extrême gauche, qui cède à ses vieux réflexes factieux, mais de lui demander d’avoir une conception assez exigeante du mandat présidentiel pour assumer cette responsabilité à son tour.
Programmer sa démission serait une façon pour lui de sortir par le haut et, surtout, de préserver autant nos institutions que les intérêts du pays.
Une démission programmée permettrait d’organiser une véritable campagne présidentielle, de laisser le temps nécessaire à la confrontation des projets
Une démission programmée permettrait d’organiser une véritable campagne présidentielle, de laisser le temps nécessaire à la confrontation des projets. Des élections législatives suivraient cette élection présidentielle, donnant au nouveau Président une vraie majorité. Retourner au peuple est la seule issue démocratique et républicaine.
Aujourd’hui, le président de la République a le choix entre deux voies.
Blocages.
La première : s’accrocher au pouvoir jusqu’en 2027, laisser les crises s’accumuler, les blocages se répéter, et espérer que le temps finisse par arranger les choses.
La seconde : prendre acte de l’impasse et en tirer les conclusions en préservant nos institutions et en rendant le pouvoir aux urnes, donc au peuple pour doter à nouveau le pays d’un gouvernement capable d’agir.
La première voie peut conduire à l’effondrement et à la crise de régime. La seconde permettrait un renouveau démocratique par un acte gaullien.
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse la personne d’Emmanuel Macron. C’est la capacité de nos institutions à se régénérer qui est en question. C’est la confiance des citoyens dans la démocratie représentative qui est en jeu. C’est la possibilité même de gouverner la France qui est à reconquérir.
Les institutions de la Ve République ont été conçues pour permettre au pays d'être gouverné. Elles le permettent encore, à condition que ceux qui les incarnent sachent s’effacer quand ils ne peuvent plus les faire vivre. C’est cette sagesse républicaine qui devrait s’imposer. Ainsi va la France.
David Lisnard est président de Nouvelle Energie, Maire de Cannes et Président de l'Association des Maires de France
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