© Ludovic MARIN / AFP - Emmanuel Macron et Michel Barnier à l'Elysée, le 31 janvier 2020, quelques heures avant la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Institutions

Le chef de l’Etat veut laisser son Premier ministre sur le devant de la scène et parle désormais de « coopération exigeante » pour décrire sa relation inédite avec Michel Barnier

L'Opinion - 9 septembre 2024 - Par François-Xavier Bourmaud

Les faits -Le président de la République tente de se tenir désormais à distance de la gestion quotidienne des affaires du pays. « Je vais laisser le gouvernement gouverner », a-t-il promis à ses anciens ministres et aux membres du camp présidentiel. Si le risque de censure immédiate est écarté, le danger demeure avec l’examen du budget qui démarre début octobre dans l’hémicycle.

Comme un départ en exil. Après avoir tenu ses Premiers ministres bride courte pendant sept ans, Emmanuel Macron passe bride longue pour Michel Barnier. Il faut laisser le Premier ministre en première ligne. Et se tenir désormais à distance de Matignon pour laisser s’installer ce que le chef de l’Etat décrit comme une « troisième forme de Ve République, après celle, classique, où le président de la République dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale et celle de la cohabitation où l’opposition domine dans l’hémicycle.

Pour qualifier cette « nouvelle ère », Emmanuel Macron a longtemps tourné autour du pot. « Un parfum de cohabitation » ? Pas assez clair. Une « coalibitation » ? Trop compliqué. Une « coexistence exigeante » ? Trop rugueux. Finalement il a trouvé. Ce sera une « coopération exigeante ». La nouvelle expression forgée à l’Elysée pour décrire la période qui s’ouvre. Michel Barnier l’a résumée vendredi soir sur TF1 pour sa première intervention télévisée dans le costume de Premier ministre : « Le Président doit présider, le gouvernement doit gouverner ». Chacun à sa place donc, dans le respect de la Constitution.

Ligne rouge. Signe des temps, Emmanuel Macron avait peu avant renoncé à l’idée d’intervenir lui aussi à la télévision pour s’expliquer sur son choix. Vis-à-vis de son nouveau Premier ministre, le chef de l’Etat s’était montré très clair lors d’un entretien en tête-à-tête : « Vous n’avez aucune ligne rouge sur le fond ». A condition tout de même de rester dans le cadre d’une « coopération exigeante » où le président de la République conserve quelques prérogatives.

Sur l’International d’abord, domaine réservé du chef de l’Etat et étendu aux questions européennes. « Sur ces sujets, il y a de toute façon un alignement général avec le Premier ministre », observe-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron. Sur le respect du bloc central ensuite. Après tout, si la majorité sortante a perdu les élections législatives, elle conserve un groupe important dans l’hémicycle. Il va falloir en tenir compte, le chef de l’Etat veut y veiller. Tout comme il compte enfin retisser son lien avec les Français à coups de déplacements, même si pour l’heure, aucun n’est encore programmé.

Dans la pratique, l’Elysée a déjà coupé les liens avec Matignon. Les deux maisons ne partageront plus de conseillers comme c’était le cas depuis 2017. Le Premier ministre peut choisir lui-même son directeur de cabinet (c’est Jérôme Fournel qui occupait le même poste à Bercy auprès de Bruno Le Maire, qui a été désigné). Les conseillers du Président ne participeront plus aux réunions interministérielles. La réunion de coordination du mardi soir, entre les conseillers en communication de l’Elysée et de Matignon, est supprimée. « L’Elysée ne sera plus une force d’impulsion des politiques publiques », résume un proche du président.

Concrètement, le chef de l’Etat ne tiendra plus de conférence de presse programmatique. La dernière remonte à janvier. Emmanuel Macron venait à peine de nommer Gabriel Attal Premier ministre, lequel n’avait pas encore délivré son discours de politique générale à l’Assemblée nationale. Durant plus de deux heures, le président de la République avait détaillé depuis l’Elysée, et en direct à la télévision, la feuille de route du nouveau gouvernement. Uniforme à l’école, congé de naissance, nouvelle loi croissance, nouvel assouplissement du Code du travail… Tout ou presque y était passé.

Tempête. A Michel Barnier de s’y coller désormais. Emmanuel Macron a prévenu ses anciens ministres et quelques députés qu’il recevait à l’Elysée la semaine dernière après la nomination du nouveau Premier ministre : « Je vais laisser le gouvernement gouverner ». Et affronter la tempête. Si Michel Barnier a l’assurance de ne pas être censuré immédiatement, plusieurs épreuves à haut risque l’attendent. L’examen du Budget tout d’abord, pour lequel le risque de motion de censure existe. La niche parlementaire du RN ensuite, qui compte déposer un projet de loi d’abrogation de la réforme des retraites le 31 octobre. LFI y étant aussi favorable, le risque de censure est toujours présent. Tout comme pour tous les autres textes que défendra le premier ministre d’ailleurs, tant la configuration de la nouvelle Assemblée nationale est explosive. « Le Président ne cherchait pas une non-censurabilité sine die mais immédiate. Malgré les désaccords que nous pouvons avoir avec Michel Barnier, et ils sont nombreux, l’avenir montrera qu’il est en capacité de faire la synthèse, assure un proche du président. Charge à lui d’être à la hauteur ».

Dans cette configuration, Emmanuel Macron n’est pas forcément mécontent de se retrouver en retrait. Cette position en marge du champ politique permet souvent de regagner en popularité. A fortiori quand le contraste est fort avec le Premier ministre. A cet égard, la passation de pouvoir entre Gabriel Attal et Michel Barnier n’est pas passée inaperçue. Notamment la façon dont le nouvel hôte de Matignon a sèchement remis en place son prédécesseur après son discours de départ. Un peu raide. Et annonciateur de cette « coopération exigeante » dans laquelle Emmanuel Macron se lance avec peu d’armes.

Du point de vue institutionnel, il ne lui reste plus que le référendum à brandir en cas de blocage à l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron compte aussi sur son domaine réservé pour continuer à se faire entendre et se montrer à l’action. Il y a moins de coups à prendre que dans la gestion quotidienne du pays qu’il pratiquait jusqu’alors. Et puis en tant que président de la République, il bénéficie aussi d’une voix plus forte que le reste du personnel politique lorsqu’il s’exprime. Ce que l’on appelle à l’Elysée le « magistère de la parole ». En dehors, on désigne plutôt ça comme un « pouvoir de nuisance ». C’est peu. Mais Emmanuel Macron n’est désormais plus au front. A condition de réussir à se tenir en retrait, ce qui n’est pas dans sa nature.